Pour combattre l’échec scolaire et favoriser le bien-être des élèves l’école de la République ne devrait-elle pas être à l’écoute de Maria Montessori ? Céline Alvarez, professeur des écoles ayant suivi une formation Montessori AMI 3-6 ans, mène cette expérimentation dans sa classe et le neuroscientifique, Stanislas Dehaene, est convaincu que les intuitions de Maria Montessori se trouvent confirmées par les avancées des sciences cognitives et de la psychologie expérimentale.
Montessori en zep publique
Dans la classe de maternelle multi-niveaux de Céline Alvarez, dès cinq ans les élèves savent lire, écrivent en cursive, comptent jusqu’à 1000, maîtrisent le système de numération décimal et le sens des quatre opérations. Ils font du tutorat pour les plus jeunes et sont tous autonomes, sereins et investis dans leurs apprentissages. Ces enfants ne sont ni surdoués ni privilégiés. L’école maternelle publique Jean Lurçat est au cœur du Luth à Gennevilliers : les barres et la ZEP aux portes de Paris.
Cette réussite, Céline Alvarez l’attribue aux préceptes de la pédagogie Montessori. La classe abonde d’un riche matériel pédagogique étalonné par la première femme-médecin italienne. Mme Alvarez, qui s’est imprégnée des écrits de Maria Montessori explique ainsi sa démarche : « Les avancées en sciences cognitives corroborent les travaux de Maria Montessori. Grâce à un environnement adapté, nous permettons aux enfants de s’approprier spontanément, avec joie et enthousiasme, les éléments fondamentaux de notre culture. »
Cette expérimentation est menée avec brio par C. Alvarez aidée à plein temps par Mme Anna Bisch avec le soutien de la DGESCO, elle a été lancée avec le soutien de l’association Agir pour l’école. Les élèves sont placés dans un environnement où tout est pensé pour favoriser le développement de leurs fonctions exécutives et cognitives. L’enseignante circule dans le classe et parle doucement, elle est entièrement mobilisée par l’observation des élèves. Son attention est consacrée au suivi individuel de chaque enfant et non à l’encadrement des ateliers. Les élèves évoluent librement entre les situations d’apprentissage proposées et qui correspondent au stade de développement de chaque enfant. Le cycle d’attention est dicté par leurs aptitudes individuelles. Il n’est pas interrompu par les récrés ou autres activités obligatoires. Tout nouvel apprentissage s’effectue sous le principe du préceptorat. Mme Alvarez définit ainsi son rôle : « Mon travail est de cerner les besoins et progressions individuelles, afin de proposer la bonne activité au bon moment, pour chaque enfant. J’interviens quand cela est nécessaire pour accompagner ou guider, je manifeste ma présence pour celui qui en a besoin, en revanche, je veille à passer inaperçue pour celui qui a trouvé un objet de concentration. »
Mme Alvarez met aussi l’accent sur les compétences sociales acquises grâce au cadre de la classe. Les enfants autonomes sont davantage dans l’autorégulation comportementale et dans la collaboration.
Mme Alvarez souhaiterait étendre l’expérimentation réussie de sa classe : « Nous savons scientifiquement aujourd’hui que ces applications sont efficaces, que leur introduction précoce est bénéfique pour le développement de l’enfant et qu’elles aident considérablement à la prévention de l’échec scolaire. »
Pour Stanislas Dehaene une pédagogie qui colle aux neurosciences
Le neuroscientifique Stanislas Dehaene, professeur de psychologie cognitive au collège de France, prête une attention particulière à l’expérimentation menée par Céline Alvarez. Avec sa collègue Manuella Piazza, également neuroscientifique et chargée de recherche à l’INSERM, ils sont venus observer la classe et envisagent d’écrire un livre, avec la participation de l’enseignante, afin d’apporter un nouvel éclairage aux principes de la pédagogie Montessori à la lumière des sciences cognitives.
Que retenez-vous de particulièrement significatif dans la pédagogie Montessori ?
« Je citerai en premier le fait de prendre en compte le rythme de l’enfant. J’apprécie également la rigueur de l’enseignant qui choisit le moment où l’enfant est prêt. Le fait que le choix de l’activité soit opéré par l’enfant maximise et renforce sa motivation et contribue à la mise en place d’un contexte de renforcement positif. L’enfant est très concentré – et l’on sait que cette attention augmente considérablement l’acquisition et la rétention des informations. La méthode Montessori oblige sans cesse à être actif, à explorer de lui-même, quitte à faire de nombreuses erreurs. Cela correspond aux idées actuelles selon lesquelles l’erreur est un signal essentiel de l’apprentissage qui permet aux représentations cérébrales de s’ajuster et à l’enfant de se rendre compte de ce qu’il y a à apprendre.
Ensuite, du fait du mélange de niveaux, les plus jeunes sont motivés par le travail des plus grands. Lorsque les plus grands expliquent comment ça marche aux plus jeunes, la classe est bénéficiaire. L’enfant à qui on enseigne bien-sûr mais aussi l’enfant en avance parce qu’il est emmené à formuler son savoir, à choisir le bon vocabulaire et à prêter attention à l’état mental d’un autre qui n’a pas encore bien compris. Cette entraide entre les enfants explique aussi que, même dans une classe nombreuse et alors que les enfants font chacun des activités différentes, la maîtresse n’est pas saturée et dispose de temps pour suivre et aider ceux qui en ont besoin.
Enfin, le matériel et l’environnement enrichi propres aux classes Montessori participent à l’extraordinaire stimulation des enfants auxquels on présente ainsi des activités concrètes qui étayent leurs intuitions. Le matériel Montessori fourmille d’idées intelligentes et profondes, particulièrement pour éveiller aux mathématiques.
Quels sont les éléments de convergence entre l’état des connaissances actuel et les intuitions de Maria Montessori ?
« Les sciences cognitives mettent l’accent sur une manière active d’enseigner qui consolide les apprentissages. La méthode Montessori fait aussi confiance à la capacité d’abstraction de l’enfant, tout en le soutenant en permanence par du matériel concret qui « recycle » les compétences dont notre cerveau a hérité au cours de son évolution. Par exemple, pour comprendre la base 10 du système de numération, l’enfant utilise des supports différents : des perles, les symboles des nombres, des cubes, des bûchettes. Il s’agit d’éclairer un concept abstrait par de multiples angles concrets.
Il y a également le rôle du vocabulaire, l’enseignant a recours dès le départ à un vocabulaire précis et technique. Par exemple, l’enfant reconnaît le triangle obtusangle et le nomme déjà, en manipulant ce « gros mot » avec gourmandise.
Au sujet de la lecture, les enfants sont emmenés de manière rationnelle en commençant très tôt par le toucher et le tracé des lettres, puis les jeux phonologiques, et enfin l’apprentissage des correspondances lettres-sons. Céline Alvarez a adapté la méthode Montessori aux spécificités de la langue française, d’une manière qui suit très fidèlement les principes cognitifs que mes collègues et moi avons énoncé dans notre livre Apprendre à lire (Ed. Odile Jacob). »
Quelles leçons pouvons-nous en tirer pour l’école aujourd’hui ?
« C’est avant tout une extraordinaire démonstration que dès cinq ou six ans, en ZEP, tous les enfants peuvent apprendre à calculer et à lire. L’éducation nationale doit se recentrer sur les fondamentaux cognitifs. L’école doit enseigner ce que le cerveau n’apprend pas spontanément. »
Ange Ansour
Quelques liens sur les travaux de Stanislas Dehaene :
Pour aborder les mathématiques de manière à la fois rigoureuse et ludique :
Quelques ouvrages de Stanislas Dehaene pertinents pour les enseignants :
Apprendre à lire : des sciences cognitives à la salle de classe, Ed Odile Jacob
La bosse des maths, Ed Odile Jacob
Les neurones de la lecture, Stanislas Dehaene et Jean-Pierre Changeux, Ed Odile Jacob