Dans la lutte contre les discriminations, les manuels scolaires doivent mieux faire. C4est le message qu’a fait passer le 19 avril, le thinktank République et diversité. Au terme d’un an de travail en lien avec le Syndicat national de l’édition, République et diversité conclue que la question des discriminations « est prise au sérieux » par les éditeurs scolaires mais que des « améliorations » sont nécessaires sur les questions de l’égalité entre hommes et femmes, de la diversité des origines et de l’orientation sexuelle. Preuves à l’appui, les préjugés et les stéréotypes sont encore bien présents dans les manuels.
Peut-on commencer un article par un gros mot ? En voici un : « clitoris ». D’après le thinktank République et diversité, présidé par Louis-Georges Tin, en ce début du XXIème siècle, le clitoris reste ignoré de certains manuels de SVT. Si globalement des progrès ont été réalisés par les éditeurs scolaires dans la lutte contre les stéréotypes, on reste encore confondus devant les choix éditoriaux de certains manuels. Le grand progrès c’est que les éditeurs s’associent à la traque et affrontent les problèmes. Le 19 avril ils organisaient avec République et diversité une restitution des travaux de recherche sur la diversité dans les manuels scolaires de SVT, histoire-géo et français.
Un système scolaire inégalitaire
« Le système scolaire qui se veut égalitaire au lieu de compenser les inégalités les accroit », a déclaré en ouverture du colloque George Pau-Langevin, ministre déléguée à la réussite éducative. « L’école qui est pétrie de morale laïque, qui veut lutter pour l’égalité se retrouve en train de laisser perdurer des situations de discrimination ». La ministre en donne des exemples criants. « On n’a qu’à aller en lycée professionnel voir les jeunes qui y sont et on comprend pourquoi pour eux ça correspond à une logique discriminatoire. Visuellement on a une impression de mécanisme discriminatoire alors que la discrimination est totalement bannie du système éducatif ». G Pau-Langevin a jugé « utile » le travail de République et diversité et proposé de demander à l’Inspection générale un rapport sur le sujet, d’inclure un indicateur pour chaque établissement sur ce qui est fait contre les discriminations et d’actualiser la formation des enseignants. Très impliquée, la ministre relève une difficulté majeure : la tradition française se refuse à voir la discrimination systémique et indirecte.
Les hommes encore un peu plus égaux que les femmes…
« L’école est le lieu stratégique où le stéréotype sexiste peut être reproduit ou déconstruit » a rappelé Anne Sophie Godfroy, maitre de conférences à l’Université paris Est Créteil. Or dans les manuels scolaires la discrimination entre hommes et femmes est encore implicite. « Tout se passe comme si les programmes étaient écrits au masculin » et rendaient invisibles les femmes. Dans les manuels de lettres, les femmes sont rares tout comme dans les manuels d’histoire. Il y a peu de femmes parmi les personnages historiques mais aussi le thème des femmes est peu abordé : rien sur les paysannes au Moyen-Age ou les ouvrières au XIXème siècle par exemple. L’histoire des rapports sociaux de sexe reste à faire. En SVT, Odile Fillod, cogniticienne de l’EHESS, montre que les manuels n’hésitent pas à dévaluer la femme dont la sexualité est rapprochée de celle des animaux. La description du corps de la femme ignore souvent la pilosité et le clitoris.
L’homosexualité, la grande absente des manuels scolaires
« L’homosexualité est un mal qu’on fait advenir en le prononçant ». Louis-Georges Tin résume bien la position des manuels scolaires sur cette question. Ils sont exempts d’homosexuels et d’homosexualité. Pourtant en français, de Rimbaud et Verlaine à la Chanson de Roland il y aurait matière à aborder le thème. LG Tin rappelle aussi que le procès intenté à Baudelaire portait sur Les lesbiennes et que ne pas en parler c’est compléter l’oeuvre des juges. En histoire, la naissance de l’homophobie au XIIème siècle, la persécution des homosexuels dans l’Allemagne nazie sont absentes des maneuls. En SVT, selon O Fillod, l’homosexualité est aussi invisible et la sexualité assimilée à la reproduction.
La colonisation sous évaluée…
O Fillod relève à propos de l’origine, les mêmes biais que pour le sexisme dans les manuels de SVT. Les êtres humains sont par défaut blancs. Les non blancs sont rares dans les fiches métiers et dans les illustrations ce sont plutôt des sportifs quand les blancs sont médecins… En histoire, Carherine Cooquery-Vidrovitch relève de grossières erreurs sur l’histoire africaine. Ainsi en 5ème le programme officiel parle du Monomotapa au lieu du Zimbabwe ! L’esclavage a longtemps été tabou. Et les mots piégés sont encore en usage comme « les grandes découvertes » ou « l’afrique noire ». Globalement l’importance de la colonisation dans l’histoire de France est sous estimée.
Les éditeurs face au défi de l’égalité
Pour le Syndicat national de l’édition, Sylvie Marcé, présidente du SNE, assure que « les éditeurs sont très attentifs à la vision de la société donnée dans les manuels », ce qui justifie son association aux recherches de Diversité et république. Mais « ce n’est pas simple ». En effet, le débat entre les chercheurs et les responsables d’édition a mis en avant des difficultés réelles parfois épistémologiques, parfois matérielles.
Face aux critiques de République et diversité, trois responsables de collection ont mis en avant à la fois des arguments matériels et épistémologiques. Matériellement les conditions d’écriture des manuels sont extrêmes. La recherche documentaire utilise souvent des documents déjà publiés et donc vecteurs de stéréotypes. Les éditeurs estiment que la relecture des manuels par un oeil averti pourrait les améliorer. Mais il y aussi des problèmes plus fondamentaux. « Je ne sais pas faire apparaître les femmes dans l’histoire quand elles n’ont joué aucun rôle dans des sociétés sexistes », remarque G Le Quintrec, responsable de manuels d’histoire. Pour LG Tin on peut alors faire remarquer leur absence.
République et diversité devrait publier prochainement un rapport complet sur ses observations avec des recommandations précises. Elles rejoindront celles déjà publiées par le Centre Hubertine Auclert à propos de l’égalité hommes – femmes.
François Jarraud