Avec J Cornet nous entrons dans le contenu de l’ouvrage et ce qui peut sembler, à première vue, des contradictions. Nous entrons donc dans les convictions pédagogiques des auteurs.
» Enseigner pour émanciper » propose une initiation progressive au métier d’enseignant. C’est un livre pour les formateurs ou pour les enseignants ?
On a tous les deux, Noëlle de Smet et moi, une expérience de formateur dans le cadre d ela formation continuée des enseignants et de la formation initiale. On a écrit ce livre pour qu’il puisse aider les formateurs. Mais on souhaite aussi qu’il soit utile aux enseignants qui auront envie de le lire. Chaque chapitre pose un problème. Chaque lecteur peut se mettre en situation et essayer les différentes solutions proposées comme s’il était en formation. On essaie de ne jamais avoir LA bonne réponse mais d’alimenter une analyse des situations et des références des lecteurs. Ce sont toujours des cas très concrets, critiques, tirés de l’expérience. On est convaincu que c’est la bonne façon de se former.
Dans la première séquence vous dites que l’enseignant doit se déplacer pour ne plus être l’enseigneur. Mais n’est ce pas abandonner le terrain et faire baisser le niveau des élèves ?
C’est le reproche que l’on fait habituellement au courant pédagogique. Or en fait c’est tout le contraire. Le déplacement n’exclut pas la directivité. Le professeur reste el garant de ce qui se passe dans la classe. Se déplacer c’est parfois se mettre en retrait, parfois être en position centrale et transmissive. Ce qui est central c’est l’exigence et la reconnaissance. Il faut toujours plus exiger et toujours plus reconnaître, même si c’est contradictoire. La vraie question que doit se poser l’enseignant c’est pas le « il faut que ». C’est « qu’est ce qui dans ce moment va lui permettre d’apprendre ».
Vous abordez dans un chapitre le désir d’apprendre. Comment l’éveiller ?
On se contenterait déjà de ne pas étouffer ce désir comme le fait si bien l’école traditionnelle. Et on accepte l’idée qu’il y a une part imprévisible dans chaque enfant que je ne peux maitriser. Aussi plus que susciter le désir, je peux prévoir la porte d’entrée dans le savoir. Il faut multiplier ces portes accepter que chaque enfant ne réponde pas à la même question que son voisin, multiplier les « pièges à désir » mais en ne niant pas que l’élève est un sujet.
L’ouvrage aborde la question de l’autorité. Comment l’installer ?
Il y a des lois scolaires qui sont universelles et non négociables. La première c’est qu’on vient à l’école pour travailler. Ca ne se discute pas. Bien sur dans certaines conditions on peut être dans l’incapacité de travailler. Mais il faut affirmer cette idée. L’autre loi c’est que dans la classe personne en doit nuire à autrui. Afficher ces deux lois change la donne déjà dans la classe. A partir de là tout est négociable et l’autorité peut se construire.
C’est ce qui se passe vraiment en Belgique ? Sinon comment un enseignant peut aller vers cet idéal dans un établissement concret ?
Au primaire, la plupart du temps le maitre est seul dans sa classe et peut fixer ses règles. Si ca déstabilise l’équipe finalement c’est plutôt intéressant. Pour le secondaire c’est plus difficile. La règle c’est « ne restez pas seul » (F. Oury). Réfléchir à ces questions c’est entrer dans l’éthique de la profession. Reconnaitre que l’élève est un sujet et non un objet. et qu’il a toujours , après ces deux lois, le dernier mot. Souvent dans l’école on réagit négativement. On manie la bâton mais pas la carotte. Or on peut jouer sur l’identité du groupe, l’identification collective ou encore sur les normes du groupe pour améliorer le climat de classe.
Vous parlez beaucoup de la classe. Or la tendance aujourd’hui est à sa destruction par son éclatement et la « personnalisation ». Pourquoi ce groupe est important pour vous ?
Pour tous les enfants qui ont du mal à entrer dans la culture scolaire, l’école relève de l’acculturation. Le changement de culture ne sera possible que dans le collectif. Il n’y a pas d’acculturation individuelle. L’école doit proposer un collectif acculturant sinon seuls ceux qui ont en héritage la culture de l’école vont réussir.
La question de la personnalisation renvoie à un paradoxe où sont enfermés les enseignants. Ils doivent à la fois faire réussir tous les élèves et assurer un tri social. La façon habituelle de sortir de cette injonction paradoxale c’est de médicaliser l’échec scolaire. Cette façon de voir est proche des visions des groupes privilégiés qui pensent que ce qui compte c’est le changement individuel de l’enfant tout seul par lui-même. Cet idéal suppose des ressources culturelles, psychologiques que tous les enfants n’ont pas.
Vous mettez l’accent sur l’importance du savoir et de la directivité. Vous êtes contre la pédagogie de projet ?
On ne la défend pas systématiquement. Il en faut mais il faut aussi d’autres approches. La pédagogie de projet est excellente pour des apprentissages qui disparaissent d ela vie des enfants : le rapport au temps ou au monde. Mais il y a d’autres pédagogies. Par exemple la situation problème. On ne doit pas écarter la réflexion didactique. Dans ce livre on puise dans différentes pédagogies avec Freinet mais aussi Bonnéry. On a emprunté au groupe Freinet de Mons en Bareul l’idée que la classe est une communauté de production de savoirs. Les apprentissages se font dans un groupe de production. Cela modifie le rapport au savoir.
On se pose la question du sens de ce qu’on fait à l’école. Le sens que l’enfant donne à ce qu’il fait. Bonnéry a bien montré qu’il faut y être attentif car certains élèves sont dans l’exécution des consigne set non dans leur compréhension. Le travail sur le sens est donc important. Il faut observer les enfants, en prendre conscience , sortir de son centrisme.
Nos références sont donc Freinet. Mais aussi la pédagogie institutionnelle. Egalement les travaux d’Escol. On intègre la didactique moderne. Car pour nous il n’y a pas de contradiction entre ces courants. Ils sont compatibles. On croit dans la méthode naturelle de Freinet mais on organise la classe même si ce n’est pas « naturel ». Il y a de la place chez Freinet pour la didactique.
Vous militez à Changements pour l’Egalité. Comment définiriez vous ce groupe ?
On est un mouvement pédagogique qui ne repose pas sur une seule orientation. Par contre on a un projet politique : lutter contre les inégalités scolaires. C’est cela qui nous soude.
Propos recueillis par François Jarraud