« Régionalisation rampante » de la formation des enseignants, « bricolage », « imprécision » : le GRFDE, un groupe qui réunit des formateurs et chercheurs en sciences de l’éducation, revient sur la note d’information envoyées par les deux ministères concernés aux présidents d’université. Le GRFDE dénonce « une école supérieure qui n’en est pas une et des contenus de formation qui risquent de renouer, en de multiples occurrences, avec les vieux démons des anciens CPR et du début des IUFM ». Il déplore « la disparition d’un cadrage national effectif de la formation des enseignants… Si les éléments de cadrage apportés par les prochains textes ne sont pas plus précis et contraignants, cette réforme pourrait faire émerger un paysage très disparate d’une académie à l’autre en septembre prochain. Ainsi, à l’insu de la société, pourrait se défaire l’unité territoriale de la formation des enseignants, ouvrant sur une régionalisation rampante de celle-ci ». Une réflexion qui devrait toucher les sénateurs qui analyseront en juin la loi de refondation.
Alors que la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République a été adoptée en première lecture à l’Assemblée Nationale en mars, alors que le texte sera examiné vers la fin mai au Sénat et devrait être présenté en seconde lecture à l’Assemblée au plus tôt en juin prochain, la réforme de la formation des enseignants continue de se mettre en place contre vents et marées, à marche forcée, sans cadre législatif et dans une grande opacité qui conduit à des projets très disparates d’une académie à l’autre. C’est ce que montre notamment l’évaluation que les deux ministères concernés ont faite des 27 « dossiers de préfiguration » des ÉSPÉ : si, pour 11 académies, le projet leur convient pour l’essentiel, pour 7 académies (dont de très grosses académies comme Versailles, Lille, Toulouse, Bordeaux, Nantes) tout est à revoir, tandis que 9 autres sont dans une situation « intermédiaire ».
Une plus grande cohérence résultera-t-elle de la « Note d’information » qui a été adressée début avril aux présidents d’université et aux recteurs par la directrice générale pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle (DGSIP) au Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche (MESR), Mme Bonnafous, et le directeur général de l’enseignement scolaire (DGESCO) au Ministère de l’éducation nationale (MEN), M. Delahaye ? Ce texte de trois pages d’une écriture serrée, organisé en cinq parties, constitue en effet le « cadre national des formations liées aux métiers du professorat du premier et du second degré et de l’éducation » (1) et, selon les auteurs de la note, il « traduit l’ensemble de principes de la réforme en cours sur la formation initiale des enseignants et des personnels de l’éducation. Il s’appuie sur les consultations et sur les travaux menés avec les diverses organisations représentatives. Il complète un ensemble de documents déjà publiés ou en voie de publication ». Il peut donc être considéré comme le document fondateur de la nouvelle formation des enseignants. Il devrait pouvoir guider les présidents d’université et les recteurs dans la conception des nouvelles modalités de la formation initiale des enseignants et CPE et éclairer les équipes pédagogiques dans la conception des nouveaux masters dans lesquels les candidats au métier seront invités à s’inscrire à compter du 1er septembre.
Malheureusement, ce cadre est creux, ouvert à tous les vents. C’est ce que montre une lecture attentive des cinq parties de cette note officielle.
La première partie, intitulée « dispositions générales », énonce des généralités relatives à la formation des métiers du professorat du premier et second degrés et de l’éducation sanctionnée par un diplôme national de master mention « Métier de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation » (MEEF). Celui-ci comprendra un tronc commun et des thèmes d’éducation transversaux sur les grands sujets sociétaux offerts à tous les étudiants se destinant aux métiers de l’enseignement et de l’éducation. Le fait que le « tronc commun » soit découpé en « domaines » (« processus d’apprentissage des élèves », « prise en compte de la diversité des publics », « méthodes de différenciation pédagogique », etc.), risque d’induire des réponses spécialisées de la part des Sciences Humaines et Sociales et d’aboutir à ce que nous avons trop connu dans les IUFM : un saupoudrage de conférences qui tombaient à plat, ne faisant pas assez référence à des enseignements, à des pratiques, aux premières expériences professionnelles des stagiaires…
De plus, on ne connaît pas l’importance de ce tronc commun et des thèmes d’éducation transversaux par rapport à celle des connaissances disciplinaires et didactiques. Rien n’est même dit sur ces enseignements disciplinaires et didactiques, comme s’il n’y avait pas là un réel sujet d’inquiétude pour l’ensemble des formateurs y compris ceux qui sont investis dans la formation des professeurs des écoles. Il reviendra donc aux acteurs locaux de déterminer les pondérations entre ces différents aspects de la formation.
La note indique que la formation est organisée « par les universités » alors que la loi en préparation confie explicitement cette mission aux futures ÉSPÉ. Soulignons aussi qu’une précédente version de cette note, en date du 21 mars, mentionnait explicitement les ÉSPÉ et que celles-ci ont totalement disparu de la présente version « opérationnelle » du début avril. Devant l’émoi provoqué par cette modification, le MESR et le MEN ont expliqué que celle-ci était purement technique : les ministères travaillant « à droit constant », on ne peut pas parler des ÉSPÉ, alors qu’elles n’existent pas encore. Pourtant, dans chaque académie, les acteurs de la formation sont mobilisés sur la création de ces ÉSPÉ et les ministères viennent de leur retourner une évaluation des « dossiers de préfiguration » avant l’accréditation de ces écoles d’un nouveau genre. Pourtant, dans chaque académie, les acteurs de la formation sont également mobilisés sur un scénario de formation avec concours au milieu du master en rupture avec le droit actuel. En somme, les universités et les recteurs sont explicitement invités à anticiper le cadre législatif et réglementaire à venir tandis que les ministères ne seraient pas en droit de le faire…
Dans un communiqué au ton inédit (2) , la Conférence des directeurs d’IUFM (CDIUFM) ne se dit pas du tout rassurée par l’explication livrée par les deux ministères et y voit plutôt un révélateur des difficultés profondes que rencontre la réforme. Elle redoute que les deux ministères abandonnent en chemin l’exigence de professionnalisation de la formation des enseignants. Elle s’alarme : « Les directeurs que nous sommes, les personnels des instituts de formation, les spécialistes de l’éducation sont aujourd’hui très inquiets de ce que peut produire le processus en cours : une école supérieure qui n’en est pas une, dans de très nombreux cas, et des contenus de formation qui risquent de renouer, en de multiples occurrences, avec les vieux démons des anciens CPR et du début des IUFM. » Elle invite les parlementaires à réagir : ils croient créer dans chaque académie une École supérieure du professorat et de l’éducation (ÉSPÉ) mais, « il ne s’agit pas d’une école au sens où les députés et les sénateurs entendent ce terme quand ils votent la loi ». Il pourrait s’agir en effet de simples structures administratives, autant dire des coquilles vides. La lecture de certains dossiers de « préfiguration » des ÉSPÉ justifie pleinement cette crainte.
La note ministérielle indique que la formation est assurée par « des équipes pédagogiques relevant de diverses composantes et associant des professionnels du milieu scolaire ». Mais, comme elle ne précise pas l’importance relative des interventions des diverses catégories de formateurs, cela n’engage guère les décideurs locaux. Ils pourront déplacer le curseur à volonté, depuis une intervention symbolique des praticiens-formateurs jusqu’à une coopération systématique avec eux.
Elle confirme que les concours sont organisés au cours du second semestre du master et que les lauréats de ces concours ayant validé leur première année de master bénéficieront d’une « formation alternée » en deuxième année de master. La note ministérielle prétend que le projet incarne une « formation progressive et intégrée » alors qu’elle officialise un scénario découpé en deux parties (une première année de bachotage suivie d’une seconde année qui sera nécessairement focalisée sur le stage en responsabilité), nous ramenant à ce qui existait avant 2009 (3) . Simultanément, le terme « alternance » n’est employé que pour évoquer la seconde année et le stage en responsabilité.
La durée de ce dernier, sous forme de fraction de l’obligation réglementaire de service (26 h par semaine pour les professeurs des écoles, 18 h pour les professeurs des lycées et collèges), n’est pas déterminée dans cette note de cadrage. On apprend d’ailleurs que les conditions de ce stage seront redéfinies chaque année par une circulaire. Le ministère de l’éducation nationale veut-il ainsi garder la main sur cette durée ? Faudra-t-il attendre chaque année la circulaire pour aménager (ou pas) le M2 en fonction des variations de cette durée.
Pour les lauréats du concours déjà titulaires d’un master, ou de tout autre diplôme qui en confère le grade (et qui n’auraient donc pas un master MEEF), le texte indique qu’ils « suivront une formation organisée par les universités et adaptée au vu de leur parcours antérieur ». Avec quels moyens humains le feront-elles en M2, alors que cette situation peut concerner dans chaque académie de très petits groupes d’étudiants (exemples : des lauréats du concours de PE ayant des masters de SES ou de Philosophie), voire des cas purement individuels ? Quant au contenu de cette formation adaptée, la note dit : « Ils devront valider les compétences nécessaires à l’exercice du métier. » Or, on pouvait croire que le concours, avant l’année de M2, était essentiellement fondé sur l’évaluation de ces compétences, au bénéfice de l’employeur. De quelles compétences les auteurs parlent-ils ?
Dans cette première partie, rien n’est dit sur le devenir des étudiants reçus au concours et collés à la première année de master ou ceux, bien plus nombreux, reçus à la première année de master et collés au concours. Pourtant, les extrapolations disponibles laissent penser que des milliers d’étudiants seront concernés : en moyenne 3 candidats sur 4 ne sont pas reçus, et pour le concours de professeurs des écoles, en 2010 et 2011, il y avait 6 candidats présents pour un poste à pourvoir. Comme l’indique une récente note de la DEPP, on peut anticiper aussi que la plupart de ceux-ci souhaiteront persévérer en M2 et repasser le concours au terme de cette seconde année (4) . Il y a là un très sérieux problème d’adaptation de l’année de M2 pour « reçus-collés » qui n’est pas anticipé par la note ministérielle. De plus, comme, à terme, ces étudiants auront plus de chances de réussir le concours (5), c’est ce parcours qui deviendra progressivement le parcours « normal ». Cette question est donc loin d’être marginale. Les auteurs veulent-ils laisser les universités trancher, en permettant tacitement à celles qui le souhaitent d’interdire aux candidats ayant échoué au concours de s’inscrire en M2 ? La réponse du gouvernement ne peut pas être : « Je m’en lave les mains ». Il laisserait ainsi s’installer de graves inégalités entre les étudiants des différentes académies.
La deuxième partie sur « l’architecture de la formation initiale » n’apporte pas plus de précision. Il y est affirmé que la formation, articulée sur les quatre semestres du cursus de master, permet d’acquérir « un haut niveau de compétences professionnelles tant disciplinaires que didactiques et scientifiques, ainsi que celles spécifiquement liées au contexte d’exercice du métier ». Adossement et initiation à la recherche, stages d’observation et de pratique accompagnée, analyse de pratiques, enseignements communs et différenciés, maîtrise d’au moins une langue étrangère, compétence en TICE, connaissance des méthodes pédagogiques innovantes s’ajoutent à la formation disciplinaire et didactique, au « tronc commun » portant sur des connaissances transversales et aux enseignements sur les « sujets sociétaux ». Mais les poids respectifs de ces très nombreux éléments constitutifs du master MEEF ne sont pas indiqués et, là encore, ce sont les acteurs locaux qui ont à fixer la pondération des différents blocs et des ECTS correspondants ainsi que les volumes horaires de formation en M1 et en M2. Ils ne peuvent même pas s’appuyer sur les maquettes des différents concours, qui, à la mi-avril, ne sont toujours pas connues ! On assiste ainsi à la disparition d’un cadrage national effectif de la formation des enseignants.
Cet ensemble a-t-il une cohérence ? Peut-il tenir dans un master de 600 heures à 750 heures, au lieu de 900 aujourd’hui, avec une première année centrée sur la préparation du concours et une seconde centrée sur le stage à mi-temps ? Quelle formation pourra-t-on prévoir en M2 si cette année comporte environ 250 heures de cours, soit à peine plus d’une journée par semaine, en plus des heures dues pour le service d’enseignement ? Quel temps restera-t-il pour mener une recherche ? Le ton rassurant de la note ministérielle ne suffit pas à lever les doutes.
Enfin, il est fait allusion, sans aucune autre précision, à la « mise en place de passerelles entre différents parcours » à l’issue des deux premiers semestres. Passerelles vers quelles autres formations ? Celles-ci existent-elles ou seront-elles improvisées le moment venu ? Les deux ministères font comme si ces questions ne se posaient pas, annoncent des écoles qui ne se limiteront pas à la formation d’enseignants et demandent aux universités de tracer elles-mêmes le chemin. Ce n’est pas la note du 10 avril de la DGSIP (6) sur les mentions de master qui leur permettra d’y voir plus clair. Certes, cette note-ci introduit une mention : « Pratiques et ingénierie de la formation » qui « a pour objet de diversifier les débouchés de la formation au-delà des emplois à pourvoir dans l’Éducation nationale ». Mais, en dehors du numérique et de la formation de publics spécialisés (comme les « séniors »), elle ne donne guère d’exemples consistants de ces « autres débouchés ».
Cette deuxième partie entretient le flou et les approximations sur un grand nombre d’éléments en lien avec l’architecture des masters que les universités cherchent à élaborer dans la perspective d’un passage imminent devant leur CEVU, puis leur CA. Alors que la rentrée est bientôt là, ces éléments de « cadrage » n’aident pas vraiment les équipes pédagogiques à faire ce travail. Avec une « architecture » aussi lâche, tout se passe comme si les ministères s’accommodaient par avance d’une très grande disparité interacadémique, voire interuniversitaire.
La troisième partie, sur « les stages », rappelle l’importance de ceux-ci comme éléments centraux de la formation dont « les modalités sont définies par une circulaire annuelle », autre élément qu’il faudra attendre. Ils peuvent être « précédés par des activités de sensibilisation dès la licence » ou par « des stages de découverte de l’ensemble des métiers mis en œuvre au sein des établissements scolaires du premier et du second degré comme c’est le cas pour le dispositif d’Emploi d’Avenir Professeur ». Les conditions d’accompagnement des « bénéficiaires » des EAP ne sont pas précisées. La note n’invite même pas les recteurs et les universités à organiser cet accompagnement.
Le « temps du stage » en responsabilité « doit être conciliable avec la formation de master ». Cette phrase est très surprenante : tandis que les responsables ministériels ont toujours parlé d’un mi-temps, cette note laisse entendre que cette durée pourraient être modulée. Quelle serait alors la variable d’ajustement ? Mais il se pourrait que les auteurs envisagent la répartition des journées de stage dans la semaine. Il conviendrait que les deux ministères clarifient rapidement ce point.
Il est indiqué que les stagiaires bénéficieront d’un tutorat. La nouveauté est dans l’affirmation selon laquelle ce tutorat est effectué par un binôme reliant « la structure d’accueil à la structure de formation ». On ne peut que se réjouir de cette clause. Elle constitue en effet une des conditions de la qualité de la formation (elle fait partie des exigences mentionnées dans le projet du GRFDE). Mais ces stages et les modalités de la mission confiée à ce tutorat en binôme feront l’objet de conventions et les conventions-types sont encore à venir.
Rien n’est dit sur l’articulation entre les stages et la formation disciplinaire, didactique et pédagogique, alors qu’il s’agit là du point le plus crucial dans la perspective de la formation professionnelle des enseignants. Il n’y a, dans ce passage, aucune référence à l’initiation à la recherche, alors que dans la partie suivante, il est dit que le mémoire « prend appui sur le stage en alternance » auquel il est très lié pour la validation du master.
Enfin, alors que cette note de cadrage s’adresse aux présidents d’université et aux recteurs, on attendait qu’elle pose quelques conditions concernant le choix des lieux de stage par les services académiques. Il n’en est rien et c’est un autre motif d’inquiétude. Ce choix devrait en effet s’inscrire dans une logique de formation. Rappelons que, sur ce sujet, le GRFDE a proposé l’amendement suivant au projet de loi : « Les stages en responsabilité […] ont tous une visée de formation. Les services académiques, dans le cadre de conventions conclues pour la formation des enseignants avec les ÉSPÉ et les autres composantes universitaires, proposent donc les lieux et conditions de stage les plus adaptés aux objectifs de formation. Durant leur stage, qu’il soit filé ou massé, les stagiaires y remplacent des enseignants titulaires à qui l’administration propose simultanément soit des stages de formation continue soit, pour la même durée, des missions pédagogiques au sein de l’établissement scolaire. Les services académiques s’interdisent d’utiliser les stagiaires comme moyen de remplacement d’enseignants en congé maladie ou maternité ou pour compléter l’équipe pédagogique d’un établissement scolaire quand un poste est vacant. » Pourquoi les ministères ne reprendraient-ils pas ces formulations dans une note de cadrage ?
Une quatrième partie intitulée « mémoire de master, stage en alternance et qualification professionnelle » tient en une quinzaine de lignes. Là encore, l’imprécision règne. Le mémoire « doit avoir un contenu disciplinaire et de recherche en relation avec la finalité pédagogique et les pratiques professionnelles ». Il « prend appui sur le stage en alternance et sur d’autres enseignements ».
On trouve dans cette partie l’un des rares éléments chiffrés de ce texte : la validation du stage en alternance confère a minima 20 crédits du master (sur un total de 120 ECTS, dont 60 en M2). N’y a-t-il pas là une disproportion alors qu’il s’agira de la moitié d’un service d’enseignement sur une année complète ? En outre, l’évaluation de la « période d’alternance » pour l’obtention du master doit porter sur le mémoire de master, sa soutenance et l’activité du stagiaire en situation professionnelle. N’est-ce pas confondre des domaines de compétences assez différents ? En tout cas, 20 ECTS, cela paraît faible au regard de tous ces éléments. Enfin, la note dit que « tout ou partie de ces éléments pourra servir de support à l’évaluation de la qualification professionnelle du fonctionnaire stagiaire par l’employeur et sous sa responsabilité ». Cette phrase ne prête-t-elle pas à confusion entre ce qui relève de l’évaluation dans le cadre d’un diplôme délivré par l’université, telle la soutenance d’un mémoire, et ce qui relève de la procédure de titularisation par l’employeur ? Sa formulation peut aussi laisser penser que les critères de qualification pourront varier d’une académie à une autre, ce qui serait une atteinte à l’égalité dans le traitement des fonctionnaires stagiaires.
Pour l’essentiel, ces deux dernières parties ne font que renforcer l’impression de flou qui émanait déjà des deux premières. Au lieu du « cadrage » attendu, on a plutôt le sentiment d’assister à l’effacement du cadre national de la formation des enseignants.
Seule, la dernière partie sur le « public visé » a le mérite de la précision : « ce texte est applicable aux étudiants inscrits en première année de master MEEF à compter de la rentrée universitaire 2013. Il s’applique aux enseignants stagiaires à compter de la rentrée universitaire 2014 ». Mais l’on ne sait toujours pas où les étudiants de première année de master MEEF devront s’inscrire (en ÉSPÉ, dans une UFR, les deux à la fois ?).
Tout cela rend la réforme difficilement lisible pour les étudiants. Or, il faudrait que le nombre de ceux qui s’inscriront dans les nouveaux masters en septembre augmente de manière spectaculaire pour que l’on puisse entrevoir la fin de la crise du recrutement. Apparemment, on n’en prend pas le chemin. C’est en tout cas ce qu’ont dit les DRH des rectorats lors d’un récent colloque à Paris, très inquiets pour le recrutement des enseignants dans les prochaines années (7) .
Vers la régionalisation de la formation et du recrutement ?
À cinq mois de la rentrée scolaire, les équipes pédagogiques des futurs masters MEEF demandaient des clarifications et des orientations précises pour concevoir ces formations. Elles resteront sur leur faim. Ce que l’on retient finalement de ce texte dit de « cadrage », c’est davantage ce qui n’est pas dit et peut-être même pas encore pensé. Les contradictions et difficultés ne sont pas évoquées. Les auteurs semblent croire que l’harmonie dans les mots suffira à les dépasser. En fait, les acteurs locaux de la formation des enseignants sont contraints de naviguer à vue dans une brume épaisse, tout en espérant qu’au bout du compte — étrange inversion des rôles ! — les futurs textes législatifs et réglementaires s’avèreront conformes aux projets qu’ils sont en train d’élaborer.
Ces bricolages déconcertants, hors de tout cadre juridique, laissent augurer un démarrage difficile, pour ne pas dire chaotique, de la réforme Peillon-Fioraso. Mais il y a peut-être plus grave : si les éléments de cadrage apportés par les prochains textes ne sont pas plus précis et contraignants, cette réforme pourrait faire émerger un paysage très disparate d’une académie à l’autre en septembre prochain. Ainsi, à l’insu de la société, pourrait se défaire l’unité territoriale de la formation des enseignants, ouvrant sur une régionalisation rampante de celle-ci.
La réforme Darcos-Pécresse a ébranlé l’unité de la formation des enseignants. Toutefois, les concours placés en M2 jouaient le rôle d’un cadre national pilotant par l’aval les deux années du master. Avec la réforme voulue par Vincent Peillon, sans cadrage national sérieux des masters et avec des concours placés en fin de première année de master, cette unité résiduelle volerait en éclats, assurément au moins pour la deuxième année de master.
Mais ce paysage ne serait pas forcément pour déplaire à de nombreux responsables politiques qui militent pour une régionalisation de la formation des enseignants inscrite dans la loi, incluant celle de tous les concours de recrutement.
Devant ces périls, le GRFDE appelle les parlementaires à se saisir du fond du dossier et à promulguer les amendements qu’il leur a soumis le mois dernier (8). Ils inscriront ainsi dans la loi une réforme de la formation des enseignants digne de ce nom, qui ferait honneur à la tradition pédagogique et universitaire de notre pays, qui assurerait l’égalité de tous les candidats au métier et, par là même, celle du service public d’éducation sur tout le territoire.
Groupe Reconstruire la Formation Des Enseignants (GRFDE)
Notes :
1 À lire ici : http://grfde.eklablog.com/une-note-du-men-mesr-qui-demande-debat-a81157326
2 À lire ici : http://www.cdiufm.fr/positions-publiques/article/ecole-et-formation-professionnelle
3 Toutefois, en deuxième année, selon les indications déjà données officiellement, le stage durera 50 % de l’ORS au lieu de 33 à 40 % avant 2009. Il faut lui ajouter en outre l’obligation de mener une recherche qui n’existait pas à cette époque.
4 Note 2012-28 à lire ici : http://cache.media.education.gouv.fr/file/2012/87/3/DEPP-NI-2012-28-concours-recrutement-personnel-enseignant-second-degre-2011_237873.pdf
5 Selon cette note, « près de 80 % des lauréats de 2011 avaient déjà tenté le CRPE en 2010. »
C’est ce que montre aussi la note citée ci-dessus : « Les ”redoublants” réussissent mieux… ».
6 http://grfde.eklablog.com/une-note-du-mesr-sur-les-mentions-du-master-meef-a82375364
7 http://iufmparis.canalblog.com/archives/2013/04/06/26855287.html
8 Pour connaître les 7 amendements proposés par le GRFDE :
http://grfde.eklablog.com/le-grfde-propose-sept-amendements-au-projet-de-loi-d-orientation-a79858273