Voilà un livre qui parle de choses importantes pour l’Ecole. D’abord d’une chose souvent tue par pudeur : l’attachement des enseignants à leurs élèves, une condition sine qua non de leur formation. Ensuite de l’exclusion pratiquée par l’Ecole. On sait que près de 140 000 jeunes la quittent sans réelle formation. Et que la particularité du système éducatif français c’est que ce tri scolaire est avant tout social. Aussi les réflexions de cet ouvrage sur l’intégration de tous les enfants, et d’abord de ceux issus de la grande pauvreté, ont une importance réelle pour répondre à la crise du système éducatif. Mais c’est d’abord sur un terrain profondément humain qu’ATD Quart Monde nous entraine dans l’univers d’une école qui serait vraiment inclusive.
L’ouvrage propose d’abord des expériences d’enseignants membres d’ATD Quart Monde. Elles parlent du parcours de chacun, de ses pratiques professionnelles, du militantisme social et du retour sur cet itinéraire. Il est question de rencontre, de démocratie à ‘école, de dialogue et de liberté. Chaque itinéraire aborde la question de la rencontre avec la très grande pauvreté. C’est une expérience que beaucoup de jeunes enseignants font en début de carrière sans aucune préparation. Dans cet ouvrage ils observeront comment elle peut être porteuse de valeurs pour l’Ecole et pour son développement professionnel.
Au bout de cet itinéraire, Régis Felix, ancien principal de collège, responsable du secteur école d’ATD Quart Monde, fait le point sur les principes et les pratiques qu’ATD souhaite partager avec les enseignants. Pour Régis Félix et son mouvement, à l’Ecole, les plus pauvres doivent être servis en premier. Et les parents les plus pauvres aussi. Voilà qui interroge un système éducatif construit sur le mérite et la sélection. Régis Félix s’en explique.
Donner la priorité aux plus démunis, aux exclus n’est-ce pas abandonner toute progression pour les élèves de sa classe ?
Surement pas. Ce n’est pas l’abandon d’une ambition. Très clairement le livre ne donne pas la priorité au bien-être sur l’acquisition des savoirs. Mais si on ne donne pas cette priorité à l’enfant le plus exclu il est certain qu’il restera en marge. Nivèle-t-on le niveau en faisant attention à ceux qui sont en échec ? Je ne le crois pas. Il faut une pédagogie qui appuie tout le monde. C’est pour cela qu’on défend une pédagogie coopérative. C’est une pédagogie où l’enfant qui vient à l’école avec une boule au ventre trouve sa place. Evidemment cela ne suffit pas mais c’est la condition indispensable. Pour mordre le savoir il faut déjà être intégré.
Pour les enseignants cela veut dire bâtir une séquence pédagogique dans laquelle on sait qu’il y aura une place pour tous. Si on n’y réfléchit pas avant le cours on n’y arrivera pas. On s’est( trop habitué à ce que le dernier de la classe passe par perte et profit.
Vous recommandez l’alliance avec tous les parents. Pourquoi ?
Quand des parents ne sont pas respectés à l’école, quand l’enfant entend parler mal de ses parents on met l’enfant dans un conflit de loyauté. Il est tiraillé entre culture scolaire et culture familiale. Cela l’empêche d’apprendre à l’école et au collège il explose.
Mais le rôle de l’école n’est ce pas de libérer l’enfant de sa famille ?
En effet pour entrer dans les savoirs il y a cette coupure à faire mais à condition que les parents soient respectés.
Vous défendez la lutte contre les préjugés et vous dites qu’il faut accepter les autres modèles de société. Mais jusqu’où ? N’ets ce pas abandonner toute ambition ?
Les enseignants viennent souvent des classes moyennes, de milieux favorisés. Ils ont une grande méconnaissance des jeunes issus de la grande pauvreté. Ils arrivent en zep devant des enfants dont ils ne connaissent pas la culture. On souhaite que la formation des enseignants comprenne une ouverture sur le milieu social des élèves. Il faut que les enseignants quand il sont déroutés par le comportement des élèves ne se retranchent pas derrière un jugement de valeurs. On a tous envie que les jeunes accèdent à notre culture. Mais il ne faut pas plaquer nos références sur des jeunes qui ont vécu une enfance différente d ela notre. On n’a pas à juger la manière dont vivent des enfants.
Mais la culture scolaire est une culture de classe sociale…
Pour nous les contenus scolaires ne représentent qu’un type d’intelligence et de savoirs. Quand les jeunes netrent au collège on leur demande d’abandonner des compétences d’intelligence conceptuelle, manuelle que l’école ne reconnait pas. Il faut pourtant autant d’intelligence pour réparer une mobylette que pour suivre un cours de maths. Si avoir le bac c’est renier ses parents, c’est grave.
Vous défendez une posture d’effacement chez les enseignants. Peut-on diriger une classe ainsi ?
Ce qui est important c’est que l’élève co-construise le savoir. Le bon professeur n’est pas forcément celui qui anticipe les questions et a réponse à tout mais celui qui laisse les élèves formuler leurs questions et chercher les réponses.
Cette posture, ces positions éthiques suffisent-elles pour faire réussir les élèves ?
Ce sont des conditions nécessaires mais pas suffisantes. Il faut aussi de la didactique, un savoir solide. Mais sans ces positions éthiques on n’arrive pas à transmettre à tous les élèves.
Aujourd’hui où en est le mouvement ATD dans l’univers scolaire ?
De nombreux enseignants participent au mouvement ATD Quart Monde, environ 200. On a un réseau école vivant et on rassemble des expériences comme celle des relations école – parents à Rennes.
Quelles relations avez-vous avec le nouveau ministre de l’éducation nationale ?
On est très attentif à l aloi d’orientation. Ce texte rompt avec les orientations de ces dernières années. On défend un amendement qui fixerait des buts à l’école, dans l’article 3. On demande qu’il affirme que la coopération remplace la compétition à l’école. On va tenter de peser avec nos partenaires dans ce débat.
Propos recueillis par François Jarraud
Régis Félix, Tous peuvent réussir ! Partir des élèves dont on n’attend rien. Editions ATD Quart Monde – Chronique sociale, 2013.