« Transformations de l’école et recompositions des rapports local/national », c’est autour de ce thème qui interroge les relations entre la mise en place, au plan local, dans les établissements scolaires, mais aussi dans les collectivités locales que s’est réuni, à la Sorbonne les 8 et 9 avril, un colloque organisé par le GRESCO (Centre de Recherches et d’études du Centre-Ouest). Comment les objectifs nationaux de lutte contre les inégalités peuvent-ils se traduire localement ? Réussissent-ils dans leurs missions ?
Une table ronde tentait d’abord d’apporter des éléments de réponse à la question de la spatialisation des problèmes sociaux et éducatifs. Sylvain Brocholini , en montrant quelle dialectique de régulation se joue entre les deux échelons, constate combien il est difficile de cerner la part d’autonomie du local dont on a tendance à surestimer le poids. Les politiques menées en France, qui postulent une nouvelle répartition des rôles, les objectifs nationaux rationalisant les initiatives locales, posent crûment la question de l’évaluation. Une recherche menée dans huit pays d’Europe sur les politiques d’éducation prioritaire aboutit aux mêmes résultats sur la question de l’évaluation : partout, ou presque, les échelons locaux sont mis en avant afin que les acteurs montent des projets et évaluent les effets de leurs actions, alors que la rationalisation au niveau national, peu évaluée, accentue les inégalités ; la rhétorique de l’évaluation est prise dans un rapport hiérarchique : l’injonction au local n’est pas respectée au national. Des variables régionales peuvent être observées, par exemple la région parisienne est à la fois la région la plus riche et la plus grande productrice d’inégalités du fait d’une grande disparité entre établissements et des concurrences qui s’y jouent.
Sur cette question des variables locales, Jean-Christophe François souligne qu’elles tiennent compte d’une composition sociale : en plus d’appartenir à une catégorie sociale, la famille relève d’un environnement social. Ce qui pose la question de l’homogénéité ou de l’hétérogénéité de cet environnement social, existe-t-il des barrières à franchir ? Il s’agit de réconcilier un peu sociologie et géographie. Beaucoup de sociologie entre dans les variables locales ; associé au voisinage, au local, le social reprend beaucoup d’importance par la catégorie socioprofessionnelle, l’âge, le sexe.
Choukri Ben Ayed, postule une prégnance du contexte local dans le rapport à l’école dans les classes populaires. Ainsi, l’étude de trajectoires d’élèves met en avant le caractère déclenchant de petites péripéties du type réconfort ou disqualification. Certaines familles populaires maitrisent l’espace, opèrent des stratégies de contournement, d’évitement, mais les déterminants sociaux reviennent à un moment du parcours. Il est important d’observer en quoi les classes populaires sont dépendantes des contextes et des lieux. Des effets de va-et-vient se jouent entre des tentations de scolariser le social afin de réduire le poids des inégalités scolaires et la tendance à la déscolarisation du scolaire. Les collectivités sont prises entre une construction de l’offre éducative et la fragmentation de l’espace scolaire, sans qu’un lien puisse être établi, les collectivités ne sont pas seules et les inégalités ont des causes complexes.
Agnès Van Zanten ajoute que les transformations de l’école doivent beaucoup à l’intervention des collectivités locales qui prennent un rôle de plus en plus important en proposant des contenus, et envisagent d’intervenir avec les communautés éducatives contre le décrochage ; elles revendiquent d’être actives, d’agir dans l’école. Les acteurs locaux se constituent en compétences mais aussi en lobbys, qui se coordonnent pour infléchir les politiques nationales. Elle revient sur « l’intégration infériorisante » : malgré tout un travail au niveau local pour produire de l’intégration, un certain nombre de facteurs empêche une réduction des inégalités. Une proportion des offres éducatives est captée par quelques établissements, des options, ou des aides numériques, revendiquées comme facteurs d’intégration, produisent des hiérarchies au niveau local et des inégalités.
L’atelier « Agrégation des dispositifs locaux : réduction ou accroissement des inégalités » a exposé successivement plusieurs dispositifs locaux. En étudiant l’aide aux devoirs dans le canton de Vaud, en Suisse, Eugen Stocker et Karine Benchali Daepper ont montré que les effets peuvent être différents selon les choix de configurations, et notent que se pose la question de la formation et du recrutement des « surveillants ». Son étude des internats d’excellence amène Carole Daverne à conclure par « Peut mieux faire ». Beaucoup de moyens ont été mobilisés, mais pour quel effet : certains élèves, porteurs d’un projet, s’en sortent bien, certains utilisent le dispositifs comme une stratégie pour obtenir ce qu’ils veulent, alors que d’autres ne s’en sont vraiment pas emparés comme d’une chance.
Stéphane Bonnéry, dans son étude de l’empilement des dispositifs, remet en cause des évidences prégnantes dans le discours : l’essentialisation, la nécessité du détour, du ludique, de la motivation, du recours à des activités culturelles, qui occultent l’absence d’aide véritable dans les apprentissages et les pratiques scolaires. Et Fabrice Dhume termine ce tour d’horizon des dispositifs par la question de l’ethnicisation et de la discrimination dans la mise en place des stages en entreprise dans l’enseignement professionnel. L’histoire de la mise en place de ces stages met en évidence la prégnance d’un discours entrepreneurial qui minore l’enjeu pédagogique ; le problème de la discrimination est lié à la logique du placement, de la bonne image à donner à l’entreprise et de l’entreprise.
Cet atelier se conclut sur cette question : les dispositifs aident-ils à lutter contre les inégalités, ou servent-ils seulement à gérer les inégalités. Les collectivités doivent répondre à des besoins, gérer au mieux les problèmes des habitants sur leur territoire, mais, ce faisant, en parant au plus pressé et au plus proche, contribuent-elles vraiment à réduire les inégalités en matière d’éducation ?
Viviane Youx