« C’est un premier pas dans la bonne direction après combien de pas dans la mauvaise ? ». Vincent Peillon ne s’est pas privé d’une ultime pointe après le vote par lequel l’Assemblée nationale a adopté, le 19 mars, en première lecture, la loi de refondation. Le marathon parlementaire reprendra en juin au Sénat. Jusqu’au bout l’opposition aura dénié à cette loi son caractère novateur. Pourtant, même si la loi reste dans les généralités, elle met en place des principes nouveaux.
Cette loi est-elle si partisane ?
Partisane la loi ? Vincent Peillon s’en défendait. arguant des 300 amendements inscrits finalement dans le texte dont quelques uns de l’opposition. Après 54 heures de débat parlementaire, la loi de refondation a été adoptée à une large majorité par les députés. Même si Vincent Peillon avait su dialoguer avec l’opposition et trouvé des compromis lors des débats, l’Ecole n’a finalement pas réussi à rassembler au delà des clivages partisans pour ce vote final. C’est peut-être Olivier Falorni, le tombeur de S Royal à La Rochelle, qui a été le plus dithyrambique à propos de ce texte, en le comparant à « une arme pour les hussards noirs du 21ème siècle ». B. Pompili, élue écologiste, a souligné le caractère positif de ce texte mais elle invite déjà les sénateurs à l’amender sur les langues régionales par exemple. L’opposition a marqué son refus du texte dans des termes sans ambiguité. Frédéric Reiss (UMP) parle « d’un lifting idéologique plus qu’une refondation de l’Ecole ». Il juge la loi « bavarde » et déplore que l’éducation nationale ne prenne plus « sa part de la baisse des dépenses publiques ». Pour lui, la loi passe à coté du principal enjeu d’une refondation : le statut des enseignants. C’est sans doute Rudy Salles (UDI) qui aura été le plus sévère. Il parle à propos de l’éducation nationale de « démagogie qui coûte ». « Depuis 30 ans on ne pense qu’aux moyens et les résultats se dégradent… Quel gâchis que cette loi blafarde et bavarde ».
Le vote final est donc très tranché. La loi a été adoptée par 320 voix contre 227. Ont voté pour la totalité des députés PS et RRDP et 16 écologistes sur 17, M. Molac, un peu chahuté lors du débat sur les langues régionales s’abstenant. Ont voté contre tous les députés UMP (moins un), UDI et les non-inscrits F.N. et assimilés. Tout en reconnaissant des « avancées », François Arsensi (GDR) déplore le socle commun et parle de « dénationalisation » de l’éducation nationale. Il annonce l’abstention du Front de Gauche « pour pourvoir avancer avec audace »…
Priorité au primaire et école du socle
Le texte défend pourtant une vision de l’Ecole cohérente et marquée. La loi marque d’abord la priorité au primaire avec 14 000 postes créés dans le premier degré dont 7 000 pour le « plus de maitres que de classes » et les rased et 3 000 pour la scolarisation des moins de trois ans, ces deux dispositifs ciblant les zones défanvorisées. L’école maternelle est redéfinie. Le lien GS – CP raffermi. La loi défend l’école du socle en instituant un conseil école – collège. Le socle commun est réaffirmé.
Le collège unique est confirmé mais sous une forme non uniforme. « Il est donc nécessaire de réaffirmer le principe du collège unique à la fois comme élément clé de l’acquisition, par tous, du socle commun et comme creuset du vivre ensemble. Le collège unique est organisé autour d’un tronc commun qui nécessite des pratiques différenciées adaptées aux besoins des élèves ». À chacun des collégiens, « des enseignements complémentaires peuvent être proposés afin de favoriser l’acquisition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Au cours de la dernière année de scolarité au collège, ceux-ci peuvent préparer les élèves à une formation professionnelle et, dans ce cas, comporter éventuellement des stages contrôlés par l’État et accomplis auprès de professionnels agréés » (art33). Si la loi supprime la loi Cherpion et les DIMA, elle instaure en 3ème des dispositifs spéciaux qui rappellent les 3èmes professionnelles. Un parcours d’orientation et découverte du monde professionnel est introduit. Le brevet doit être conforme au socle.
Priorité au prioritaire ?
La loi a beau affirmer que » l’égalité des territoires passe par une affectation prioritaire des moyens attribués en faveur des territoires en difficulté pour permettre un rééquilibrage », elle renvoie à d’autres textes une véritable réflexion et un plan pour l’éducation prioritaire. Tout au plus affirme -t-elle que « l’allocation des moyens devra donc être revue au profit d’une autre approche tout en poursuivant un effort budgétaire spécifique pour les établissements de l’éducation prioritaire : il s’agira de différencier, dans le cadre de leur contrat d’objectifs, les moyens en fonction des spécificités territoriales, sociales et scolaires de chacun des établissements ainsi que selon le projet d’école ou le contrat d’objectifs ».
La formation des enseignants rénovée
La loi crée les ESPE en lieu et place des IUFM dès la rentrée 2013. 27 000 postes sont ciblés sur les ESPE, les futurs enseignants bénéficiant à nouveau d’une année de stage rémunérée. Ces écoles réunissent tous les personnels de l’éducation, universitaires inclus et la formation comprend les sciences de l’éducation. « Elles fournissent des enseignements disciplinaires et didactiques mais aussi en pédagogie et en sciences de l’éducation ». La définition des concours et des formations ne relève pas de la loi et on n’en saura pas plus. La continuité avec les IUFM est quand même marquée grace au transfert automatique des personnels IUFM vers les Espe.
Un service public du numérique éducatif
La loi crée ce service qui doit » mettre à disposition des écoles et des établissements d’enseignement des services numériques permettant de diversifier les modalités d’enseignement » et » proposer aux enseignants une offre diversifiée de ressources pédagogiques ». Lors des débats, le gouvernement s’est engagé à ne pas se substituer à l’offre privée. il investira dans son déploiement. L’introduction d’un enseignement de l’informatique a été repoussée mais « une option « informatique et sciences du numérique » sera ouverte en terminale de chacune des séries du baccalauréat général et technologique ». La loi donne aux régions et aux départements la gestion du matériel informatique. Elle » favorise l’utilisation de connexions de données filaires » aux dépens du wifi au nom du principe de précaution. L’exception pédagogique n’est pas sérieusement modifiée, les amendements les plus favorables en ce sens ont été écartés.
La morale laïque et civique remplace l’instruction civique
» L’enseignement de la morale laïque, tout comme l’instruction et l’éducation civiques, participe de la construction d’un mieux-vivre ensemble au sein de notre société. Ces enseignements visent notamment à permettre aux élèves d’acquérir et comprendre l’exigence du respect de la personne, de ses origines et de ses différences, mais aussi l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que les fondements et le sens de la laïcité, qui est l’une des valeurs républicaines fondamentales. »
De nouvelles commissions
La loi recrée le Conseil supérieur des programmes en charge de la définition des programmes et du socle. La structure sera semi indépendante. Même statut pour le Conseil de l’évaluation de l’école qui aura une mission de surveillance et d’évaluation du système. Dans ces deux instances la majorité des membres est désignée par le ministre.
De nouvelles relations avec les collectivités territoriales
La loi leur transmet la maintenance du matériel informatique. Elle leur donne la possibilité d’utiliser les locaux des collèges et lycées en dehors des heures de cours. La loi reconnait le développement des activités périscolaires. Elle donne aux régions la main mise sur la carte des formations professionnelles, les ouvertures et fermetures de ces formations.
La place des parents minorée
La loi a beau parler de co-éducation, en fait elle est restée dans l’optique, largement partagée, de l’école Jules Ferry, méfiante envers les parents. La loi supprime le comité des parents au primaire. Alors que la commission avait donné un pouvoir décisionnaire aux parents dans l’orientation, le texte final le retire. De la même façon, pour les enfants handicapés, la loi donne la possibilité à l’école de contacter directement la MDPH pour modifier les termes de la scolarisation.
De nouvelles pratiques pédagogiques ?
S’agissant des rythmes, la loi précise que la semaine de 36 semaines de cours « devra évoluer au cours des prochaines années » sans fixer de date précise. « L’interdiction formelle des devoirs écrits à la maison pour les élèves du premier degré » est inscrite dans la loi. L’éducation artistique et culturelle est renforcée : elle doit concerner tous les élèves « de la maternelle à la terminale » et se faire en lien avec les projets éducatifs locaux. La commission introduit dans les finalités de l’Ecole l’éducation à la santé (art 4bis) en y adjoignant une formation des enseignants sur les jeux dangereux. Les langues régionales, le créole ont été défendus dans les débats de la commission et sont renforcés. L’éducation environnementale et l’alimentation biologique sont aussi introduits dans l’Ecole sans qu’on sache si la première remplacera l’éducation au développement durable.
L’essentiel reste à venir
Mais la loi s’est fort peu aventurée sur le terrain du quotidien de l’éducation. Celui-ci dépend largement des décrets et circulaires qui seront prises par le gouvernement. A l’issue du débat avec l’Assemblée, les parlementaires ont fort peu cadré le gouvernement qui dispose maintenant d’une large marge de manoeuvre pour prendre les dispositions de son choix. C’est donc dans le dialogue avec les syndicats et les enseignants que va se construire la réalité du changement. D’où l’expression de Vincent Peillon. La loi d’orientation n’est qu’un « premier pas ». Le ministre souhaite que ce soit « dans la bonne direction ».
François Jarraud