Vieille revendication du mouvement syndical, le « plus de maîtres que de classes » fait partie des grandes mesures de la loi d’orientation. Vincent Peillon en fait une mesure phare en promettant d’y consacrer pas moins de 7 000 nouveaux postes. Dans une longue étude, Bruno Suchaut fait bénéficier les lecteurs du Café pédagogique d’une analyse complète des dispositifs qui sont à l’origine de cette mesure. Il pose ainsi les conditions d’une utilisation efficace. Il répond aussi à nos questions sur ce travail.
Le Ministère a prévu de déployer environ 7000 enseignants en surnombre dans les écoles en privilégiant les zones prioritaires. C’est beaucoup mais est-ce à la hauteur de l’enjeu ?
Cette dotation témoigne d’une réelle volonté politique puisqu’elle correspond au tiers des créations de postes d’enseignants titulaires du premier degré prévues au cours du quinquennat, ce n’est donc pas négligeable. Mais, même si dans le cas où cette mesure porterait ses fruits, elle ne suffira pas, à elle seule, à atteindre l’objectif d’amélioration de la qualité de l’école. D’autres leviers d’efficacité, plus généraux, doivent aussi être mobilisés dans une politique globale.
On a peu d’expériences de mise à disposition d’enseignants en surnombre. La dernière grande expérience a eu lieu en Cours préparatoire en 2002 et elle n’avait pas fait la preuve de son efficacité. A t on d’autres expériences évaluées ?
En 2002, les moyens supplémentaires ont servi à réduire les tailles de classe dans les CP dans le cadre d’une expérimentation. Les résultats peu encourageants publiés par la D.E.P.P. en 2005 ont été réexaminés plus récemment par Pascal Bressoux et Laurent Lima avec une méthodologie plus robuste. Cela a permis d’éliminer les biais liés au fait que les enseignants affectés dans les CP à effectifs réduits étaient, en moyenne, beaucoup moins expérimentés que ceux qui avaient en charge des CP à effectifs ordinaires.
Les nouvelles analyses produisent des résultats bien différents puisqu’ils font apparaître un effet positif et marqué de la réduction de la taille de la classe sur les progressions des élèves. En ce qui concerne les enseignants surnuméraires, on ne dispose en France que d’une seule évaluation d’un dispositif s’adressant aux élèves du cycle III en grande difficulté. Mis en place dans de département de l’Aube dans les années 2000, ce dispositif nommé ARTE (Aide à la Réussite de Tous les Elèves) a été évalué par l’IREDU (Piquée, Suchaut). Les résultats ne sont pas favorables au dispositif puisque les élèves bénéficiaires n’ont pas progressé davantage que ceux qui fréquentaient des classes témoins.
On entend parler aussi beaucoup de PARLER. Est ce vraiment évalué ?
Ce programme a fait l’objet d’une évaluation très sérieuse par le laboratoire des sciences de l’Education de l’Université de Grenoble. L’enseignement explicite et structuré dont ont bénéficié les élèves soumis au programme a porté ses fruits puisque leurs performances ont été, non seulement nettement meilleures que celles du groupe témoin, mais également très proches d’un échantillon d’élèves représentatif au niveau national. Ce type de programme est très prometteur pour lutter contre l’échec scolaire, et on peut envisager que les dotations en enseignants supplémentaires puissent permettre de le développer dans les écoles concernées par la nouvelle mesure.
Qui seraient ces enseignants en surnombre ? Doivent-ils être formés spécialement ? Doivent-ils être des formateurs pour leurs collègues comme on l’entend dire parfois ?
Des expériences étrangères faisant intervenir des assistants d’éducation avec les enseignants dans les classes (projet S.T.A.R. aux USA, projet D.I.S.S. en Angleterre) ont été évaluées scientifiquement avec un protocole exemplaire. Les résultats sur les progrès des élèves sont très décevants et interrogent sur les modalités de la co-intervention pédagogique et son efficacité. Un risque réel est que les enseignants responsables de la classe accordent moins d’attention aux élèves en difficulté, laissant ainsi à l’autre adulte la responsabilité de leur prise en charge.
Cela peut même conduire à ce que ces élèves, comme dans le cas d’une prise en charge externe, soient séparés du curriculum principal de la classe. Cela constitue d’autant plus un risque dans le cas où ce sont des assistants d’éducation (donc pas des enseignants chevronnés) qui sont utilisés comme adulte supplémentaire. La co-intervention doit donc être pensée en termes de complémentarité et en définissant précisément les tâches de l’enseignant supplémentaire, ce qui nécessite sans doute de la part du tandem d’avoir un certain entraînement dans ce domaine, et une formation spécifique.
A quelles conditions leur intervention peut-elle être efficace ?
Un élément essentiel de la réussite du dispositif est de penser l’action de l’enseignant supplémentaire en parfaite liaison avec les pratiques des enseignants titulaires de l’école ; dans la mesure, bien entendu, où ces pratiques mobilisent elles-mêmes des facteurs classiques d’efficacité comme la maximisation du temps d’engagement de l’élève sur la tâche ou encore la planification et la structuration des activités dans le temps. On sait aussi que le travail en petits groupes facilite les stratégies d’enseignement efficaces pour les élèves en difficulté à condition qu’un programme précis soit mis en place, pour l’apprentissage de la lecture notamment.
L’éducation nationale sait-elle accompagner de nouveaux dispositifs ?
La centralisation de l’organisation scolaire française ne facilite pas toujours la régulation des mesures qui touchent aux aspects pédagogiques. Il est évident que ce nouveau dispositif devra faire l’objet d’un pilotage qui, tout en étant très balisé, ne doit pas développer des procédures lourdes. Trois niveaux de pilotage et d’évaluation peuvent être envisagés, chacun ayant des objectifs spécifiques. Au niveau national en mettant en place un protocole d’évaluation de la mesure basé sur le développement d’une expérimentation. Au niveau de la circonscription, les I.E.N. aidés des conseillers pédagogiques pourraient être chargé de veiller à la cohérence et à la pertinence des projets mis en places dans les écoles et assurer un pilotage de proximité tout au long de l’année scolaire. Au niveau de l’école, les équipes pédagogiques pourraient observer et analyser les progrès réalisés pas les élèves, mais aussi identifier les difficultés spécifiques rencontrées dans les apprentissages pour ajuster les interventions pédagogiques.
A l’époque où De Robien était ministre, T. Piketty avait montré qu’on pouvait à moyens égaux augmenter le niveau des élèves en zone prioritaire en diminuant fortement le nombre d’élèves par classe quitte à les augmenter dans les quartiers favorisés. On serait là devant une situation pédagogique classique et donc peut être plus à la portée du système éducatif. Qu’en pensez-vous ?
Dans l’absolu, ce serait sans aucun doute la politique la plus pertinente à conduire, mais cela ne va pas sans soulever un certain nombre de questions en matière de faisabilité à court terme, dont une redéfinition de la carte scolaire et les procédures d’affectation des enseignants dans les écoles.
Propos recueillis par François Jarraud