A l’issue de son passage, les 27 et 28 février, devant la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, la loi d’orientation voit ses traits accentués. C’est bien une refondation « pédagogique » de l’Ecole qui est voulue par la majorité et sur bien des points les amendement des députés ont choisi d’aller plus loin que Vincent Peillon. La commission a par exemple entériné la fin des devoirs à la maison au primaire, l’orientation choisie par les familles ou encore la réduction des vacances d’été.
La commission aura siégé durant plus de 15 heures pour faire le tri parmi 661 amendements déposés par toutes les formations politiques, à l’exception du Front national qui n’a manifesté aucun intérêt pour la refondation de l’Ecole. Le résultat de ce travail c’est la « petite loi », c’est à dire le texte modifié par la commission qui sera la base des débats en séance de l’Assemblée nationale. Les députés pourront alors proposer d’autres amendements. Mais la discussion partira du texte voté par la commission le 28 février. Or il va plus loin que la loi de Vincent Peillon et accentue nettement la rupture avec la vision de l’école qu’a porté la droite durant 10 ans.
Une réforme « pédagogique »
Les députés ont renforcé l’orientation donnée par Vincent Peillon sur bien des points. Ils ont par exemple réintroduit officiellement « les sciences de l’éducation » dans la formation des futures écoles ESPE.
S’agissant des rythmes, la loi précise que la semaine de 36 semaines de cours « devra évoluer au cours des prochaines années » sans fixer de date précise.
Les députés ont ajouté deux lignes pour prononcer « l’interdiction formelle » des devoirs à la maison au primaire.
Un nouvel article 25ter précise que « les choix d’orientations et de formations sont de la responsabilité des élèves et de leurs parents ou leur représentant légal ». Ce passage de la décision aux parents est confirmé dans l’alinéa suivant où les élèves et les parents « déterminent » l’orientation.
Le comité des parents supprimé
La commission a beau ajouter une phrase pour défendre la co-éducation (annexe), elle supprime le « comité des parents » dans les écoles et estime que l’expression des parents doit se faire dans le seul conseil d’école. Pour l’opposition, le député UMP B. Apparu soulèvera la contradiction, en vain.
L’école du socle ?
Les députés ont peu touché aux articles qui donnent la priorité au primaire. Ils se sont bornés à ajouter le numérique et l’histoire-géographie dans les enseignement de base de l’école. Ils contraignent aussi le ministère à faire un rapport annuel sur la scolarisation en maternelle pour les moins de 3 ans.
Par contre ils ont beaucoup travaillé sur le collège. La commission n’a pas entériné, même au plan de l’expérimentation, l’école du socle. Mais le collège est présenté nettement comme dans le prolongement du primaire et adossé au socle. « Dans la continuité de l’école primaire et dans le cadre de l’acquisition progressive du socle commun de connaissances, de compétences et de culture, tous les enfants reçoivent dans les collèges une formation secondaire accordée à la société de leur temps » (art 32bis).
La question du collège unique a été tranchée en promouvant un collège unique mais pas uniforme… « À chacun (des collégiens), des enseignements complémentaires peuvent être proposés afin de favoriser l’acquisition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Au cours de la dernière année de scolarité au collège, ceux-ci peuvent préparer les élèves à une formation professionnelle et, dans ce cas, comporter éventuellement des stages contrôlés par l’État et accomplis auprès de professionnels agréés » (art33). Si la loi supprimé la loi Cherpion et les DIMA, elle instaure en 3ème des dispositifs spéciaux qui rappellent les 3èmes professionnelles.
La commission accorde aussi aux collèges une marge d’autonomie dans la gestion de la DHG, chaque collège devrait en affecter une partie à sa guise.
Enfin, la commission a décidé d’ouvrir les collèges sur leur environnement comme la loi le proposait pour les lycées. « Le président du conseil général peut autoriser l’utilisation de locaux et d’équipements scolaires des collèges, pendant les heures ou les périodes au cours desquelles ils ne sont pas utilisés pour les besoins de la formation initiale et continue, par des entreprises, par des organismes de formation et, pour les besoins de l’éducation populaire, de la vie citoyenne et des pratiques culturelles et artistiques, par des associations. Ces activités doivent être compatibles avec la nature des installations, l’aménagement des locaux et le fonctionnement normal du service » (art 14bis).
Le lycée a fait l’objet de peu d’amendements. La commission a modifié un article sur les épreuves du bac pour permettre des épreuves pluridisciplinaires (TPE par exemple).
Les régions et l’enseignement professionnel
La commission a renforcé le rôle des régions dans la carte des formations professionnelles en obligeant nommément l’Etat à l’appliquer.
Les éducations à…
La commission longuement reçu les syndicats et tous les acteurs de l’école. Cela se ressent dans les modifications apportées au texte.
Ainsi l’éducation artistique et culturelle est renforcée : elle doit concerner tous les élèves « de la maternelle à la terminale » et se faire en lien avec les projets éducatifs locaux.
La commission introduit dans les finalités de l’Ecole l’éducation à la santé (art 4bis) en y adjoignant une formation des enseignants sur les jeux dangereux. Les langues régionales, le créole ont été défendus dans les débats de la commission et sont renforcés. L’éducation environnementale et l’alimentation biologique sont aussi introduits dans l’Ecole sans qu’on sache si la première remplacera l’éducation au développement durable.
Le numérique retoqué
Le « service public de l’enseignement numérique » inscrit dans la loi Peillon a suscité à la fois beaucoup d’intérêt et de craintes. Ainsi la commission a donné de la place au numérique en l’inscrivant dans les missions de l’école primaire, en soulignant ses capacités d’innovation. Mais les députés ont aussi été sensibles aux craintes. Crainte de voir l’ordinateur remplacer le professeur, ce qui vaut la précision que le numérique ne peut se développer « au détriment des cours ». Crainte de voir le service public se substituer à l’offre des éditeurs privés. La loi précise que le service public doit proposer « une offre diversifiée ». Enfin le rapporteur à supprimé l’expression « service public de l’enseignement numérique » pour créer un « service public du numérique éducatif » subordonné au service public d’enseignement.
L’éducation prioritaire
La commission a renforcé l’éducation prioritaire en jouant sur les moyens. « L’égalité des territoires passe par une affectation prioritaire des moyens attribués en faveur des territoires en difficulté » (annexe).
Les ESPE vont prolonger les IUFM
Les futures écoles supérieures du professorat et de l’éducation recevront directement les personnels des IUFM, stipule l’article 57 de l aloi. Les futurs enseignants devront apprendre à « dépister les troubles du comportement » chez les élèves.
Les conseils
La commission insiste sur deux qualités des futurs Conseil national des programmes et Conseil supérieur de l’évaluation : ils doivent avoir un conseil d’administration équilibré entre hommes et femmes et surtout être « indépendants ».
Les mouvements d’éducation populaire introduits dans le système
La commission soutient dans plusieurs articles les mouvements d’éducation populaire. Elle le dit clairement dans un paragraphe en fin de l’annexe. « Le secteur associatif, ainsi que le mouvement d’éducation populaire, sont des partenaires essentiels de l’école. Ils font partie intégrante de la communauté éducative dont les actions sont déterminantes pour l’enrichissement de l’environnement éducatif des élèves. Ces acteurs méritent amplement d’être reconnus dans leur diversité et pour la qualité de leurs interventions. Le partenariat qui les associe à l’école doit être développé dans le respect et en fonction des capacités et des compétences ainsi que de l’objet défendu par les partenaires qui le constituent. Seront associées à toutes les instances de concertation des différents acteurs participant à l’encadrement des élèves à la fois les associations de parents et celles relatives à l’éducation populaire » (annexe). C’est le dernier point qui colorie « pédagogiquement » la nouvelle rédaction de la loi.
Une version définitive ?
La « petite loi » sera mise en débat à l’Assemblée nationale à partir du 11 mars. De nombreux parlementaires ont déjà décidé de défendre des amendements en séance. Car bien des questions n’ont pas été tranchées même à l’intérieur de la majorité par exemple sur l’école du socle. Les débats devraient durer au moins jusqu’au 19 mars à l’Assemblée. La loi devra ensuite passer devant le Sénat. L’adoption définitive ne devrait pas se faire avant fin juin – début juillet. D’ici là de beaux débats nous attendent…
François Jarraud