« Il y a toujours une partie intacte, un fil sur lequel on peut tirer ». Ce constat à la fois dur et plein d’espoir, Joseph Rossetto le tire de son expérience de principal d’un collège mobilisé contre le décrochage. Au point d’être un des très rares établissements qui accueille les décrocheurs de moins de 16 ans, ceux que la vie n’a pas épargné. Avec eux comme avec les élèves ordinaires, la conviction de son équipe c’est que la culture permet de trouver et de fortifier ce fil de vie. D’où une famille de dispositifs que le principal finance avec le soutien de la Fondation de France.
Fausse impression. A première vue le collège Guy Flavien, dans le 12ème arrondissement parisien, entouré d’immeubles, est au fond d’une impasse. Or tout le travail du collège, avec sa quarantaine de professeurs, c’est justement de sortir de la nasse scolaire ceux que le collège laisse souvent tomber. « Je parle pour tous les élèves et pas pour certains. Quand je réussis, je réussis avec eux », nous dit Céline Baliki, professeure de lettres en charge du dispositif pour élèves déscolarisés. Le collège est un véritable laboratoire de dispositifs de lutte contre le décrochage à différents niveaux.
Groupes de compétences
La lutte contre le décrochage se traduit déjà dans l’organisation pédagogique. Le collège fonctionne avec des groupes de compétences dans les disciplines fondamentales de façon à apporter une aide aux élèves les plus en difficulté. A Guy Flavien on ne croit pas trop au soutien et aux PPRE. Par contre l’enveloppe horaire de maths et français est utilisée pour réunir les élèves en groupes de compétences. Les groupes les plus nombreux accueillent les élèves qui sont à l’aise avec les enseignements et qui vont avancer sans être ralentis. Les élèves les plus en difficulté travaillent les fondamentaux en tout petits groupes avec un enseignant. Cette organisation a porté ses fruits. Les enseignants sont mobilisés. Le taux de réussite au brevet atteint 85%. Le taux de décrocheurs, qui atteignait 30% des élèves , est fortement diminué.
De la culture partout
Mais on ne raccroche pas qu’avec des fondamentaux. Pour J. Rossetto les mots, la culture est un médium pour transformer les jeunes adolescents , les faire grandir. Aussi le collège multiplie les ateliers. La fierté du collège et le chouchou de J Rossetto c’est l’atelier Khaos. Tous les jeudis soirs et parfois le samedi, une trentaine de collégiens de 4ème et 3ème préparent un spectacle qui sera chorégraphié et filmé. A partir des Troyennes de Sénèque, les ateliers de théâtre, danse, cinéma et écriture puisent dans le mythe antique de quoi inventer un monde nouveau, celui dont les enfants de Troie rêvent. Le passage par le drame antique initie à la misère humaine et aux moyens de la dépasser par l’art et le vivre ensemble. La trentaine d’élèves qui participent au projet iront dans le Péloponnèse, en Grèce, jouer et filmer le spectacle. « Parmi les objectifs des ateliers artistiques », nous dit J. Rossetto, « il y a la nécessité de donner aux élèves des espaces de création, de responsabilisation, d’expression et de les faire réfléchir sur les grands problèmes du monde aujourd’hui. La connaissance et la culture sont posées comme les instruments permettant l’accès à la pleine humanité, à la compréhension du monde ».
Les ateliers sont aussi un bon point de contact avec les familles. Et ce contact est essentiel pour l’orientation des élèves, un autre point fort dans le collège. Marginaux, les ateliers « tiennent la page ». Ils permettent au collège de tenir, de nourrir l’implication des élèves, la flamme intellectuelle des enseignants et finalement de faire passer les connaissances.
Raccrocher les jeunes déscolarisés
Depuis 2009, à la demande de l’académie, le collège accueille une structure pour élèves déscolarisés de moins de 16 ans. Si les plus de 16 ans sont suivis et disposent d’un éventail de solutions (micro lycées etc.), les jeunes en obligation scolaire mais en réalité dans la rue sont encore un territoire inconnu de l’institution. Personne ne sait combien ils sont. Le collège Flavien en accueille une dizaine à charge de les aider à se construire un avenir. « »Ce sont des adolescents ayant subi des défaites, profondément inscrites en eux. Ils s’accrochent à leurs blessures. Ce sont des enfants extrêmes qui ne tiennent pas dans le cadre de l’école si bien qu’ils sont régulièrement exclus des collèges ou finissent de ne plus y aller », nous dit J. Rossetto. Il y a des décrocheurs passifs, tellement absentéistes que les apprentissages deviennent trop compliqués. Décrochés avec l’école ils sont aussi à la marge de la société souvent avec des problèmes de drogue. Il y a des élèves qui sont présents absents. Trop absents en cours même s’ils sont là et imposent leur présence, le casque sur les oreilles et le verbe à fleur de peau. Ils encombrent la classe alors qu’ils n’ont pas acquis les fondamentaux qui permettraient de lui donner sens. Ils ne savent pas lire couramment par exemple. Il y a ceux que la vie a fortement abimé et qui partent en vrille au quart de tour. Tous ces jeunes finissent dans la rue.
Pour eux, J Rossetto a bati un dispositif particulier. Ces jeunes sont accueillis dans les locaux du collège mais avec un accueil particulier et un horaire décalé. Ils sont la tous les après-midi encadrés par une petite équipe de professeurs convaincus : Céline Baliki, Bouchaïb El Fahid et Mme Roese. Sauf le jeudi après-midi où les jeunes sont en stage en entreprise. Car l’objectif final c’est de leur proposer une orientation professionnelle. Mais l’objectif premier c’est de leur faire accepter les contraintes d’une structure sociale, de reprendre les fondamentaux et de rafistoler l’image qu’ils peuvent avoir d’eux-mêmes. « On a l’exigence du travail scolaire mais avec la bienveillance », explique J Rossetto. « C’est dur et jamais acquis car ces jeunes sont extrêmement abimés ». « Chaque lundi, il faut tout reconstruire en fonction de ce qui s’ets passé le week-end », témoigne C Baliki. « Quand on ne maitrise pas le langage on n’arrive pas à faire face à soi-même, on rejette les autres ». En français, C Baliki leur fait travailler l’expression orale et écrite en favorisant el détour artistique. Ainsi travailler le fantastique amène les jeunes à parler de leurs émotions, à mettre des mots sur l’imaginaire, à reconstruire de la communication et un univers alors qu’ils sont dans la fermeture et le désordre. Si le collège n’arrive pas à raccrocher tous les jeunes il a bon espoir de le faire pour les trois quarts.
L’aide de la Fondation de France
Pour ces différents dispositifs, le collège bénéficie du soutien de l’académie. Mais J Rossetto est allé solliciter la Fondation de France et son dispositif en faveur des collégiens. C’est ainsi qu’il peut rémunérer les intervenants artistiques qui participent pour beaucoup à la réussite du collège. « Ce qui me passionne c’est la transformation des élèves », avoue J Rossetto. Pour lui enseigner et éduquer marchent ensemble. « Ma passion c’est la transmission », dit C. Baliki.
François Jarraud