Enfin une ville moyenne qui dit oui à sa réforme ! A Narbonne, le 22 février, Vincent Peillon est reçu en ami par Jacques Bascou, maire de Narbonne. « Il faut foncer si on a comme objectif l’intérêt de l’enfant ». La rencontre entre le Ministre de l’Education et les élus locaux de l’Aude sur la réforme des rythmes scolaires démarre sur une note chaleureuse. Dans un département rural historiquement de gauche, la réunion a permis aussi l’expression de divergences sur fond de confrontation entre volonté politique et réalités de terrain.
Alors que nombre de grandes villes misent sur la rentrée 2014 pour mettre en œuvre les 4,5 jours de classe dans le primaire, le maire de Narbonne explique d’emblée qu’ici le choix est fait. Même si c’est en tâtonnant, dès la rentrée prochaine, une organisation sera mise en place pour que les élèves narbonnais aillent à l’école le mercredi matin. Jacques Bascou le clame haut et fort, le projet lui tient à cœur : « l’école doit être vue non pas comme un lieu de sélection mais comme un lieu d’épanouissement ». Pour lui, l’école n’est pas en dehors de la société, du quartier et la politique éducative locale doit répondre à des questions qui touchent la parentalité, la santé, la culture. Le changement des rythmes scolaires est alors une opportunité de réinterroger cette politique, de la réinvestir, de « développer le bien vivre ensemble, le lien social » en rassemblant tous ses acteurs. Le maire de Narbonne se réfère à l’appel de Bobigny pour souligner l’urgence à exercer sa responsabilité d’élu.
Qu’est ce qui conduit à choisir la rentrée 2013 ou la rentrée 2014 pour mettre en œuvre le changement de rythmes scolaires ? La concertation avec les parents et les enseignants répond Magali Vergnes, maire de Névian, commune de 2000 habitants proche de Narbonne qui mise sur 2014. « Les parents craignent que les écarts se creusent entre Narbonne où plein d’activités seront proposés aux enfants et les communes plus petites où la diversité des ateliers sera moins grande ». A l’inverse, le maire de Duilhac-sous-Peyrepertuse, commune de 150 habitants, après consultation de l’ensemble des parents d’élèves, se prononce pour un changement dès 2013. Depuis six ans, une politique de l’enfance et de la jeunesse est mise en œuvre dans le cadre de l’intercommunalité. La réforme des rythmes scolaires permettra d’aller plus loin pour rendre attractif le territoire, gommer les différences entre enfants ruraux et enfants citadins par une mutualisation des activités proposées au niveau intercommunal.
Patrick Maugard, maire de Castelnaudary et Président de l’Association des Maires de l’Aude, résume les obstacles rencontrés par les communes : pour les villes moyennes et grandes, la contrainte est budgétaire ; pour les petites communes ce sont les compétences qui viendront à manquer. Cependant, « l’immense majorité des maires est pour la réforme » affirme t’il. Christian Théron, maire de Roquefort des Corbières, rappelle les choix qu’impliquent les modifications dans la semaine des écoliers. « On aura du mal, on fera mais au détriment d’autres investissements que l’on ne fera pas ». « Nous allons être confrontés à des questions très terre à terre » surenchérit le maire de Fleury d’Aude relayant les inquiétudes des associations culturelles et sportives sur les incidences sur leur organisation.
Narbonne est une étape pour Vincent Peillon dans son périple pour convaincre les communes de mettre en place la réforme dès la rentrée 2013. « J’ai comme l’intuition que ce sera plus facile d’y aller en 2013 ». Les témoignages et les questions mettent de l’eau au moulin de son argumentation, rôdée, pédagogique. Au passage il salue l’investissement des communes rurales, leur engagement dans l’école. Il remarque que contrairement à ce que l’on pouvait penser au départ, le passage aux quatre jours et demi sera plus massif en territoire rural que dans les villes. Il glisse un tacle à la ville de Lyon, si engagée dans la préparation de la réforme et qui finalement recule pour reporter son application en 2014. Le Ministre saisit les arguments qui parlent aux élus d’ici : la liberté d’action, la mutualisation des moyens et la question financière. Pour lui, le changement d’organisation propose une répartition différente des heures consacrées aux activités péri-scolaires. Les temps dévolus le mercredi matin au centre de loisirs seront placés sur d’autres moments de la semaine, disséminés chaque jour. L’organisation sera plus compliquée mais le dispositif n’impliquera pas un transfert financier plus important des moyens entre état et commune. «Quand on est passé aux quatre jours, il y a eu transfert et là je n’ai rien entendu » glisse le ministre. Il mentionne dans la foulée le fonds de 250 millions d’euros créé pour réduire les inégalités territoriales concernant les activités périscolaires. Argument ultime, il cite l’exemple de Denain et Roubaix, deux villes particulièrement pauvres en recettes fiscales qui ont choisi 2013.
« Ne nous mettons pas la pression ; si ce n’est pas 2013, ce sera 2014 » lance le Ministre aux maires inquiets de devoir décider si vite d’une mesure dont les conséquences financières, organisationnelles, leur paraissent encore floues. On sent tout de même que pour lui, l’adhésion rapide des communes est en enjeu politique voire personnel. Il savoure le témoignage de Jacques Bascou, l’engagement d’André Viola, président du Conseil Général, à adapter les transports scolaires aux nouveaux horaires de cours. Il vante les bienfaits de la concertation locale, de la mutualisation des moyens et des imaginations sur un même territoire pour réinventer une école qui réduit les inégalités au lieu de les aggraver. Il invoque la possibilité de construire en faisant, de perfectionner le dispositif au fur et à mesure de sa mise en œuvre. Il prône une liberté d’action laissée aux maires et l’absence de modèle imposé. Les trois quart d’heure par jour sont une moyenne rappelle t’il. « Si vous voulez faire autrement vous pouvez ».
Vincent Peillon cherche aussi à tendre la main aux enseignants opposés au projet. A son arrivée, il est d’ailleurs accueilli par une délégation de professeurs des écoles protestant contre des fermetures de classes. Il prend le temps de leur répondre, soucieux de retisser le dialogue. «Tout le monde voudrait que je tombe dans le syndrome Claude Allègre » plaisante t’il. Et pour prendre à contrepieds les prévisions de rupture avec le monde enseignant, il réclame une compréhension des revendications et des réticences aux maires qui soulignent l’opposition des professeurs exprimée lors des conseils d’école.
« Je suis le ministre qui leur demande de venir travailler une demi-journée de plus ». La réforme est pour lui l’opportunité d’ouvrir l’école, de lui faire quitter ses oripeaux de forteresse pour développer une concertation, un dialogue avec les acteurs locaux de l’éducation. En se référant au mouvement de contestation parisien, et aux paroles désobligeantes prononcées envers les animateurs périscolaires, il souligne : «tellement de gens méprisent d’autres gens, il faut se parler, se rencontrer ». L’heure est donc à la compréhension, à l’ouverture. Ses propos traduisent aussi son impatience, à voir les choses bouger sur le terrain. « Si vous n’y allez que l’année prochaine, ce n’est pas grave, si vous y allez cette année ce sera mieux et ça me fera plaisir » lance t’il souriant en guise de conclusion. Vincent Peillon quitte le château de Monplaisir sous les applaudissements. Sans doute n’aura-t-il pas pleinement convaincu les plus réticents mais la halte s’avère chaleureuse avant de poursuivre son chemin vers Montpellier, ville socialiste qui s’est prononcée pour une application de la réforme en 2014.
Monique Royer