Scolariser des enfants Roms, c’est possible. C’est le message que George Pau-Langevin a fait passer vendredi 22 février à Triel (78). Dans cette commune gérée par la droite, la scolarisation des enfants Roms ne pose problème ni à la municipalité, ni aux enseignants, ni aux parents d’élèves. Pas davantage aux enfants qui travaillent et jouent ensemble. La ministre rappelle la valeur du vivre ensemble, un peu perdue de vue à Ris-Orangis, Saint-Fons et peut-être même parfois Place Beauvau…
Comment faire honte à ses amis quand ils s’oublient ? C’est peut-être la réponse à cette question que George Pau-Langevin est allée chercher à Triel (78) le 22 février. Dans cette ville de 12 000 âmes, dans l’ouest parisien, une dizaine d’écoles scolarisent les enfants des pavillons. A la sortie de la ville, une dizaine de bidonvilles, camouflés sur les anciens terrains d’épandage des eaux usées de Paris, abritent des Roms et des enfants du voyage. Un campement regroupe des caravanes alignées en forme de coeur. C’est là que survivent une cinquantaine de familles Roms avec leurs enfants. 29 sont scolarisés à l’école élémentaire des Hublins au milieu de 260 enfants français. Et c’est ce que G. Pau-Langevin est venue voir.
Triel c’est d’abord le monde à l’envers
Au lendemain des affaires de Ris-Orangis et de Saint-Fons, où des maires PS ont refusé de scolariser les enfants Roms avec les têtes blondes, le maire UMP de Triel, Joel Mancel, le député UDI Arnaud Richard, les élus territoriaux du secteur, tous de l’opposition, vantent leur politique d’intégration des Roms. Oubliés les propos de N Sarkozy. Ou encore la décision de la Halde en 2009 pour obliger la ville de Triel à scolariser ces mêmes enfants. « Il n’y a pas de problème particulier avec ces enfants », dit le maire « On peut s’enorgueillir de ce qu’on fait » , proclame A Richard. Même le sous-préfet semble être avoir été choisi pour aller dans ce tableau : c’est l’ancien directeur de cabinet de X. Darcos…
Une scolarisation adaptée
A l’école des Hublins, les enfants Roms sont scolarisés avec les camarades français de leur âge, quel que soit leur niveau en français, tous les matins. L’après-midi ils sont confiés à Xavier Tisserant, un maître spécialisé, soutenu par le Casnav. « Les enfants sont bien intégrés », affirme une maitresse « du matin », Marina Mendy. X Tisserant évoque l’hétérogénéité de son groupe : certains enfants étaient de bons élèves en Roumanie mais doivent apprendre le français. D’autres, à 10 ans, n’ont jamais été scolarisés. « Ce sont des enfants volontaires qui veulent apprendre », dit leur maître. Il ne cache pas son admiration pour un des enfants qui devrait aller loin. L’après-midi les enfants travaillent à leur rythme sur des logiciels comme Lectra pour travailler la lecture et le français. D’après X Tisserant, deux choses sont déjà acquises : les enfants jouent avec les enfants français et ils commencent à emprunter des livres en autonomie. Des parents témoignent de leur satisfaction de voir leurs enfants à l’école.
La valeur du vivre ensemble
« On ne peut pas accepter dans un pays comme le notre qu’il y ait des classes spécifiques et des écoles spécifiques pour les enfants Roms », affirme G Pau-Langevin. « Il y a des problèmes particuliers. Il faut que les enseignants soient aidés et qu’ils adaptent leur pédagogie. Mais on voit qu’une fois qu’on a fait cet effort, c’est tout à fait possible de scolariser ces enfants dans des classes ordinaires et par conséquent ça montre que c’est la voie que nous devons adopter », poursuit-elle.
» C’est la même politique qui a fait qu’on a mis dans des écoles ordinaires les enfants porteurs de handicap en se disant qu’avec un accompagnement particulier ils pouvaient vitre avec les autres et que non seulement c’est bien pour eux mais c’est bien pour les autres aussi de voir qu’on peut vivre ensemble en étant porteur de différences ».
Et la réalité bien comprise
La ministre ajoute deux autres arguments. « Je comprends que pour une commune c’est une charge et une difficulté. Mais notre rôle en tant qu’Education nationale c’est de dire que tous les enfants qui vivent dans ce pays ont droit d’être scolarisés et de dire à leurs parents que tous les enfants qui vivent dans ce pays ont l’obligation d’être scolarisés… Ca correspond à l’idée de la société française que portent les enseignants. On ne peut pas porter un idéal d’égalité et ne pas prendre les moyens pour que cette égalité soit effective ». Enfin elle pose la question de la rentabilité. « On a vraiment la conviction que les moyens (supplémentaires nécessaires à cette scolarisation) qui sont limités évitent des dépenses infiniment plus importantes ultérieurement quand on doit faire face à de jeunes adultes non scolarisés et qui ne connaissent pas les règles. C’est un effort à faire mais qui évite des difficultés beaucoup plus grandes par la suite ».
Un avenir encore incertain
Justement l’avenir scolaire de ces enfants reste fragile. « Le problème c’est le passage au collège », souligne Monique Peyremaure, IEN de la Casnav (Centre Académique pour la Scolarisation des enfants allophones Nouvellement Arrivés). Les familles ont peur du collège pour leurs enfants. Les enseignants des collèges ne savent pas comment s’y prendre. Dans le département on tente une formule hybride : les cours du CNED avec des moments de scolarisation en collège. Il y a aussi ces absences que souligne la professeure des écoles. Il faut dire que les enfants sont installés à 5 kilomètres de l’école, au bout d’un chemin de terre non carrossable d’un kilomètre et que le transport scolaire est encore attendu. Sédentarisés depuis 2008, ils n’ont toujours ni électricité, ni eau, ni toilettes. Les enfants apprennent sans chauffage et lumière et vivent dans un environnement très fortement pollué. Les associations de soutien profitent de la présence du sous-préfet pour l’interpeller sur leur avenir d’adulte. Qui des cartes de séjour ? Même régularisés, les Roms européens sont sous juridiction spéciale. Ils ne bénéficient d’aucune aide sociale et ont des limitations importantes dans l’accès au travail. Face à toutes ces pesanteurs, G Pau-Langevin est venue féliciter tout le monde. Le sous-préfet qui depuis cet été veut l’intégration. Le maire qui joue le jeu. Et les enseignants « qui se battent et prennent les problèmes à bras le corps ». Un regard dans la classe de M. Mendy montre que ce n’est pas en vain.
François Jarraud