Doucement les mots reprennent le dessus, prennent le devant de la scène de notre vie relationnelle et de l’expression des enfants, des ados. Et ce n’est pas rien. Cet engouement pour les mots se propage, nos écrits se décomplexent en 140 caractères ou dans des billets plus longs adressés à des proches, adressés à on ne sait qui, à qui voudra les lire, se reconnaissant dans les brèves phrases ou les textes emplis d’adjectifs, réveillant des échos dans d’autres lieux, d’autres esprits. « Ecrivez régulièrement de petits textes, plus vous écrirez, moins vous aurez peur » nous invite David Cordina dans le portrait qui lui est consacré dans nos colonnes. Passer à l’écrit n’est pas anodin, ne plus craindre ses maladresses, s’exposer pour le jour d’après mieux coucher sur l’écran pensées futiles ou idées lumineuses est une gymnastique nouvelle où le lâcher prise amène des saveurs inconnues.
La publication numérique est devenue une pratique pédagogique initiée par des enseignants de plus en plus nombreux en primaire, en secondaire, dans l’enseignement supérieur. Ecrire pour être lu se traduit par une attention particulière pour être compris et ne pas gêner cette compréhension par des entorses aux règles syntaxiques ou orthographiques. L’erreur même peut être explorée pour apprendre un peu plus de ce que nous renvoient nos propres écrits. Ecrire en mode participatif, écrire en correspondance, écrire pour s’interroger, écrire pour partager, les motifs pédagogiques d’expression sont multiples et tendent tous vers un même pari : celui de donner à chacun une place qui le relie aux autres.
Le monde numérique induit un espace de liberté où se frayer un chemin n’est pas forcément chose aisée. Les embûches sont disséminées et l’expression peut s’avérer acide, empreinte de méchanceté. Le monde numérique est un univers où les règles sont avant tout celles que l’on s’impose, dictées par le savoir-vivre où acquises lors d’une pratique encadrée. Les enfants, les adolescents ont depuis belle lurette investi ce nouvel espace, devançant les adultes dans leurs propres pratiques, désertant les lieux virtuels où les parents se font légion pour en conquérir d’autres. Le Café vous racontait lundi le nouveau refuge des amoureux transis ou des plaisantins à la rime facile : Spotted.
On peut s’effrayer de cette émergence de l’expression publique. On peut aussi s’en réjouir. La réconciliation avec les mots est une belle nouvelle pour peu que l’éducation fournisse les clés d’une expression maitrisée dans la forme et dans le fond. Savoir ce que l’on écrit, avoir conscience que ce qui est publié laisse des traces quasi indélébiles, qu’un bon mot jeté en pâture sur la place publique virtuelle peut blesser autrui, engager sa propre responsabilité : publier en mode numérique peut aussi stimuler une attention citoyenne et une attention tout court pour les autres et envers soi.
S’emparer des mots est un exercice poétique, revendiquer un droit à poser ses mots un quasi acte politique. Avant l’émergence du numérique, le rap a redonné goût à l’expression à des jeunes qui d’emblée s’en sentaient exclus, les clés du système et de la représentation ad hoc leur étant confisqués pour n’être pas nés du bon côté du fleuve. On a vu, et l’on voit encore brandir, des cris d’effroi devant une expression foisonnante, désordonnée. Mais lisez ces lignes extraites du «Vide en soi » d’Oxmo Puccino et laissez de côté les a priori :
« Passée l’inconsolation : le silence livre
Une peine aux pages closes, desquelles on s’délivre
Par des mots qui prennent la peine et la divise »
Les mots se transforment en armes pacifiques si on les lit, si on les écoute et par-dessus tout si un écho positif répond à leurs propos. L’école est pleine d’initiatives qui saisissent à bras le corps les promesses du numérique dédiées à l’expression. Alors, laissons naitre les poètes, faisons confiance aux mots pour susurrer à nos claviers, à nos écrans des horizons où la poésie aurait toute sa place. La poésie c’est la vie avec le sel du recul et les lignes de l’imaginaire. Les craintes, ne les ignorons pas, mais faisons tout pour que progressivement l’agressivité se sente incongrue dans les textes que l’on partage.
Monique Royer