Par François Jarraud
« Pendant trente ans, on a vécu avec l’idée que la mixité réglait en soi les questions d’égalité. Il faut en revenir à l’épreuve des faits. Il ne suffit pas de mettre des garçons et des filles ensemble pour que règne l’harmonie et l’égalité entre filles et garçons ». Cette réflexion de Jean-Louis Auduc, auteur de « Sauvons les garçons ! », éclaire la situation de l’Ecole française : pour avoir cru que la mixité allait de soi, l’Ecole est devenue une arme dans une guerre des genres qui se prolonge bien après la fin de la classe.
Les filles ont apparemment l’avantage
Pourtant dans une société où les hommes l’emportent, l’Ecole semble être un territoire dominé par les femmes. Les jeunes têtes blondes le découvrent très vite : 81% des enseignants du primaire sont des femmes et, si leur domination s’atténue au secondaire, c’est encore le cas de près de deux enseignants sur trois au collège et au lycée. La proportion est respectée pour les autres adultes en contact avec les jeunes : 69% des CPE, plus de 80% des personnels d’orientation sont des femmes. L’Ecole est bien leur royaume.
On se gardera bien d’établir un lien direct entre ce cadre et les résultats scolaires. Mais un fait est là : les filles dominent nettement les garçons sur le plan scolaire. Cela se voit dès l’école primaire. En CM2, les filles sont meilleures en français et en maths : 91% maitrisent les compétences de base dans ces deux disciplines contre 85% des garçons en français. Dès le CM2, 15% des garçons sont en difficulté de lecture. C’est deux fois plus que chez les filles. En troisième les filles sont bien meilleures en français (86% contre 76% pour les garçons) et un peu moins bonnes en maths (89% contre 91%). Mais le chiffre est trompeur : déjà il y a eu un écrémage chez les garçons. A 14 ans, 200 000 filles sont en avance en 3ème alors qu’on ne compte que 179 000 garçons du même âge. En terminale générale et technologique on comptera 90 000 garçons de 17 ans contre 123 000 filles… et 55% de filles tous âges confondus. Mais ces chiffres cachent de grands écarts entre filières. Aux 93% de filles de la filière SMS-ST2S, répondent les 94% de garçons de la filière ISP. On trouve 79% de filles en L, 49% en S, seulement 10% en STI. Des écarts aussi forts se constatent entre branches du bac professionnel (en gros opposition tertiaire – production).
Mais pour quelle réussite finale ?
A la fin de l’enseignement scolaire le taux de réussite au bac des filles dépasse de 4 points celui des garçons (85% contre 81% tous bacs confondus). Les filles l’emportent dans tous les bacs sauf le bac agricole. Mais, là aussi, ce taux cache un écart trois fois plus grand : 70% des filles d’une génération seront bachelières contre 58% des garçons. Finalement une fille sur deux aura un diplôme du supérieur contre un garçon sur trois. Mais, les garçons leur ravissent les meilleures places. Dans le post bac, les filles fournissent 80% des étudiants des formations sociales, 72% des étudiants en IUFM mais seulement 28% des étudiants des filières scientifiques, 26% des futurs ingénieurs et 24% des étudiants en université de technologie. En CPGE, 57% des élèves sont des garçons. Un écart qui reflète les stéréotypes sexués : « Quand ils se jugent très bons en français, seul un garçon sur dix va en L… contre 3 filles sur dix. Quand ils se jugent très bons en maths, 8 garçons sur 10 vont en S contre 6 filles sur 10 » révèle une étude ministérielle. Mais on se rappelle que seule une petite minorité des garçons peut se revendiquer « très bonne »… C’est bien plus tard que les garçons prennent leur revanche. « A niveau de diplôme identique, le taux de chômage des jeunes femmes reste souvent plus élevé et leurs salaires sont inférieurs à ceux des hommes », note l’Insee. « En effet les spécialités de formation qu’elles choisissent ne correspondent pas toujours aux besoins du marché du travail ».
Que peut faire l’Ecole ?
La tentation pourrait être de séparer à nouveau les sexes à l’Ecole. C’est le raisonnement du sociologue Michel Fize qui propose des classes séparées au collège. Mais l’école unisexe, là où elle existe, a plutôt permis de renforcer les stéréotypes et l’ignorance qu’assurer l’intégration scolaire des garçons. PISA démolit ce programme en montrant que les filles n’obtiennent pas de meilleurs résultats dans les établissements non mixtes.
Le statu quo devient lui aussi impossible. « Il n’est plus possible de se contenter de gérer une mixité, qui serait seulement mettre des garçons et des filles ensemble avec l’intention de ne pratiquer aucune différenciation basée sur le genre », pense Jean-Louis Auduc. « Il faut sans doute dans certaines disciplines, certains apprentissages, organiser des activités pour toute la classe et des activités séparées par sexe pour mieux prendre en compte dans le cadre d’une pédagogie différenciée les rythmes et les approches de chacun ».
Peu de disciplines ont réfléchi à ces questions. Comment pourrait-on éveiller l’intérêt des garçons pour la lecture ? La solution ne passe d’ailleurs pas uniquement par l’Ecole, la lecture étant une pratique sociale. Par contre l’anxiété des maths que vivent les filles renvoie directement à la façon de les expliquer. Seule l’EPS semble aujourd’hui avoir pris conscience du rapport entre l’enseignement et la construction des stéréotypes.
Il nous reste donc à la fois à « sauver les garçons » et à lutter contre les stéréotypes qui pèsent sur les orientations et le devenir des filles et des garçons. Vaste tâche !
François Jarraud
Liens : sur le Café
Jean-Louis Auduc : SOS Garçons !
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/leleve/Pages/2009/Dossie[…]
Les filles les garçons et l’Ecole
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/leleve/Pages/2009/101_L[…]
Filles et garçons en EPS
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/lenseignant/eps/Pages/20[…]
Et ailleurs…
Ministère : Brochure 2010 sur la parité
http://media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2010/42/2/fi[…]
Insee Première 1284
http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?reg_id=0&ref_id=ip1284
Unesco : The gender gap in education and science
http://www.uis.unesco.org/template/pdf/EducGeneral/Infosheet_N[…]
Etude OCDE
http://www.oecd.org/dataoecd/59/50/42843625.pdf
N. Mons : Egalité filles – garçons, pour une réflexion globale
Quelle place pour la mixité dans la concertation nationale sur la refondation de l’Ecole ? La lettre d’Henriette Zoughebi à Vincent Peillon a attiré l’attention sur le fait que cete question n’est traitée par aucun groupe de la concertation. Nathalie Mons, professeur de sociologie à l’université de Cergy-Pontoise et membre du comité de pilotage de la concertation sur l’école, donne ici son point de vue. » L’égalité filles-garçons est une thématique qui traverse la réflexion de multiples ateliers de la concertation’.
Lisez l’article
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2012/09/11092012Art[…]
Sexisme : C. Marro : « L’Ecole persiste à perpétuer la croyance en LA différence des sexes »
Le ministère a décidé de suspendre le « Dictionnaire des écoliers ». Cette mesure est prise suite à la diffusion sur Internet d’extraits particulièrement révélateurs de cet ouvrage. A l’origine de ce buzz, la conférence de Cendrine Marro, maîtresse de conférences à l’UFR des sciences psychologiques et sciences de l’éducation de l’Université Paris Ouest Nanterre, lors de l’Université du Snuipp à Port Leucate. Le Café avait publié son intervention le 30 octobre et revient avec elle sur les questions du genre à l’Education nationale.
Lisez l’article
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/leleve/Pages/2012/137_4.aspx
Dossier Journée des femmes
L’éducation nationale de manque pas de femmes remarquables et le dossier publié par le Café le 8 mars 2012 l’illustre à sa façon. Comment mieux gérer la mixité ? Les manuels scolaires véhiculent-ils des clichés sexistes ? Toutes ces questions trouvent réponse…
Le dossier
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/2012_Lajournee[…]
L’Onisep ouvre une nouvelle plateforme dédiée à la lutte contre les stéréotypes de genre dans le champ de l’éducation, des formations et des métiers. Il propose des informations sur l’orientation et l’emploi selon le genre et donne accès à des ressources géolocalisées.
En abordant la question des choix d’études, des droits, celle de l’emploi, il a pour ambition de balayer les idées reçues, tant masculines que féminines, dans le champ de l’orientation scolaire. Le site explore par sa navigation ludique les principaux stéréotypes dans leurs représentions imagées en jouant sur leurs ambiguïtés et en les confrontant à la réalité des témoignages et des chiffres.
Chaque mois, des personnalités donnent leur vision de l’égalité hommes-femmes et évoquent leur parcours. Michèle Leduc, présidente de la Fédération française des sociétés scientifiques (F2S) : « Quand j’étais lycéenne, je n’aimais pas raconter que je voulais faire des sciences, parce que c’était mal vu ». Mercedes Erra, fondatrice de BETC Euro RSCG et présidente de l’agence de publicité Havas Worldwide : « Il existe des quantités de stéréotypes qui bloquent les filles et les garçons… c’est un des enjeux les plus forts aujourd’hui dans l’éducation ».
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