Au forum des enseignants innovants de Dax, Pascal Cherbuin avait obtenu le prix de l’évaluation innovante pour la démarche d’évaluation par compétences qu’il met en œuvre dans son établissement, le lycée Robert Doisneau à Corbeil Essonne. Démarrée il y a six ans, son expérimentation est devenue une pratique ancrée dans le quotidien de l’enseignement des sciences physiques et de la chimie. Commencée à deux, ce sont aujourd’hui quinze enseignants qui appliquent le principe de la démarche d’investigation et de l’évaluation par compétences.
Un jour, Pascal Cherbuin en a eu assez du rythme immuable « cours, exercice, contrôle », des résultats prévisibles, des apprentissages éphémères. Le constat qu’il dresse est sévère. Les bons élèves réussissent, les moyens s’accrochent et ceux qui ont des difficultés accumulent les mauvaises notes et peu à peu se découragent. La typologie des élèves se calque sur les catégories sociales. Le rite est immuable : les copies sont rendues, les élèves comptent leurs points, vérifient avec leurs voisins que rien n’a été oublié, qu’aucune injustice n’a été commise. Le contrôle est rangé et les notions non acquises ne bénéficient d’aucune remédiation, on passe à la notion suivante. Pascal Cherbuin cherche comment changer ce rituel au moment même où l’un de ses collègues se demande comment changer le déroulement des cours pour favoriser un apprentissage en profondeur des méthodes et des théories. Leurs échanges les amènent à proposer de mettre en œuvre pour les secondes des démarches d’investigation qui seront évaluées par compétences.
Aujourd’hui, la proposition semble d’évidence mais il y a six ans elle était peu commune. Délaisser la note, ne plus l’inscrire sur le bulletin est une rupture franche avec les habitudes et une nécessité. « J’ai découvert à quel point le contrôle pouvait être stressant. Pour ceux qui ne sont pas bons élèves, c’est comme si à chaque fois ils jouaient leur orientation et du coup ils perdent leurs moyens ». Ce qui intéresse Pascal Cherbuin c’est de suivre l’évolution des élèves tout au long de l’année, de repérer avec eux les notions acquises et de ne pas condamner aux oubliettes celles qui ne le sont pas. Lors des conseils de classe, il propose un histogramme qui retrace les progrès. Les compétences évaluées sont des compétences transversales regroupées en quatre groupes « produire ou réaliser », « raisonner et argumenter », « mobiliser des connaissances », « communiquer ». Au début, sans note, c’est comme si sa matière n’existait plus sur le bulletin. Puis progressivement, l’intérêt de son histogramme s’est imposé pour voir autrement les résultats des élèves ; étayer les décisions, enrichir les regards.
L’évaluation par compétences s’appuie sur la démarche d’investigation, une organisation pédagogique où les élèves par petits groupes s’attellent à la résolution d’un problème en mobilisant des connaissances ciblées. Des documents avec les données et les éléments de cours sont à disposition. La solution argumentée est présentée en fin de séquence par chaque groupe conduisant à une synthèse permettant de retracer et recontextualiser les connaissances mobilisées. Chaque élève repère ses difficultés et ses réussites que l’enseignant valide ou non sur l’évaluation. Aborder les notions de physique chimie par le prisme des compétences offre à la matière un intérêt nouveau.
A quoi sert de connaitre le tableau périodique des éléments si l’on se destine à une première STG, peuvent se demander certains élèves. Le sens de l’apprentissage est un sens qui souvent se cherche et lorsqu’il s’avère insaisissable, le désintérêt, la démotivation s’insèrent dans le quotidien scolaire. La démarche d’investigation propose des activités qui s’appuient sur des compétences que l’on utilisera ailleurs, dans d’autres disciplines et plus tard dans la vie professionnelle. Etre confronté à un problème à résoudre, savoir consulter la documentation mise à disposition, argumenter, choisir une voie et se tromper, analyser son erreur et revenir en arrière, repartir, partager son raisonnement : les savoirs prennent une autre saveur lorsqu’ils sont acquis autrement.
La démarche d’investigation réclame une organisation différente des cours. Elle associe plusieurs classes et donc plusieurs enseignants. Les groupes changent au cours de l’année. Les portes des salles restent ouvertes pour favoriser communication et suivi. Le changement pour les élèves est flagrant, il l’est aussi pour le prof. S’engager dans cette méthode c’est nous dit Pascal Cherbuin « faire un pas de côté, oser ne plus voir l’enseignement comme on l’a toujours vu en tant que prof et avant en tant qu’élève ». A chaque séquence, il a l’impression de partir en « terre inconnue ». « Tu donnes un problème à l’élève et c’est lui qui pose les questions. Or l’élève pose des questions que tu n’as pas toujours prévues ». L’enseignant n’est plus uniquement un transmetteur de savoirs mais guide et accompagne. L’élève puise dans ses propres ressources pour avancer. Il faut le laisser prendre des mauvaises pistes et permettre l’apprentissage par l’erreur. Pascal Cherbuin apprécie le travail en équipe que favorise la démarche. Avec aujourd’hui 15 enseignants de physique-chimie qui l’appliquent en seconde et certains qui continuent avec les premières et les terminales, les échanges sont riches. La réforme du Bac St2i et cette année du Bac S facilitent cette généralisation en introduisant une évaluation à partir d’une situation problème.
L’intérêt croissant des profs pour l’évaluation par compétences, Pascal Cherbuin le constate lors des formations qu’il anime pour les enseignants en physique chimie de son académie. La demande est forte pour apprendre à enseigner autrement. Le déclic vient souvent du constat que les méthodes traditionnelles ne permettent plus de répondre aux exigences des nouveaux programmes et que les évaluations ne sont pas adaptées aux élèves en difficultés. Lors de ses formations, Pascal Cherbuin amène ses stagiaires à s’interroger sur « pour qui, pour quoi, comment on enseigne et on évalue», une question qui recueille le silence dans les premiers instants tant elle se pose rarement. Au collège, l’évaluation par compétences a été introduite il y a quelques années et, même si les atermoiements autour du socle aient émoussé bien des initiatives, elle est du coup passée de curiosité à possibilité. Au lycée de Corbeil ce sont six cents élèves qui sont évalués par compétences en physique-chimie chaque année. Clairement expliquée, elle est adoptée par les apprenants et les parents quelque soit la rive de l’Essonne qu’ils habitent : celle des classes moyennes voire aisée ou celle des classes populaires. La crainte de la réaction des parents est pourtant l’un des freins le plus fréquemment invoqué par les enseignants qui n’osent se lancer dans la démarche. Que ces réactions soient positives n’est guère étonnant. La valeur de leurs enfants ne se lit plus dans une note forcément réductrice mais dans des points forts et des points à améliorer qui progressent, évoluent ne s’inscrivent pas dans une fatalité de l’échec ou de la réussite.
Au lycée Robert Doisneau, développer des projets est une véritable culture d’établissement depuis fort longtemps. Ici sont nées des rénovations de programmes comme celui d’EPS ou la création de l’option cinéma-audiovisuel. Pascal Cherbuin y a été élève. Après avoir été professeur en collège, il a souhaité y revenir en tant qu’enseignant. Ici la mixité se vit sans souci favorisée par des initiatives portées en particulier par les professeurs d’EPS. Les projets favorisent les rencontres dans un établissement où 250 enseignants exercent. Ils amènent aussi une cohésion entre les élèves. Enfants de cadres, enfants des Tarterêts partagent ensemble leurs journées de lycées sans conflits. Le « vivre ensemble », l’apprentissage de la différence sont au cœur de bien des projets. Parmi eux, le projet « banlieue voiles » associe des enfants handicapés venant d’un institut médico-éducatif à un séjour de découverte de la voile. Six séances de rencontres sont organisées pour préparer le séjour. Avec d’autres collègues, Pascal Cherbuin réfléchit actuellement à la création d’une classe aménagée en 1ère STI2D pour éviter les redoublements avec un premier trimestre où le tutorat serait renforcé.
Pascal Cherbuin interroge sans cesse son métier, de « façon pragmatique » précise-t-il. Pour lui l’innovation est une nécessité pour adapter l’enseignement qu’il pratique à son époque. La rencontre, les échanges nourrissent sa réflexion. Alors, les bons souvenirs de Dax en tête, il se prépare à participer au prochain forum des enseignants innovants.
Monique Royer
Le site des enseignants de physique chimie du lycée R.Doisneau Corbeil 91