Maître de conférences à l’Université d’Artois, Christophe Joigneaux fait état de travaux menés avec l’équipe ESCOL (Paris 8) mais également avec Christine Passerieux et Colette Catteau du GFEN.
Il annonce une thèse dont la publication serait en vue, une enquête ethnographique s’appuyant sur l’étude d’un corpus documentaire dont il considère les évolutions sur une longue durée (dès années 1920 aux années 2000).
Son propos se situe également dans la poursuite de ceux de Viviane Bouysse le matin, mettant en exergue la nécessité d’exigences vis-à-vis de l’école maternelle pour réellement pouvoir réduire les inégalités. Les enquêtes statistiques actuelles montrant effectivement les effets bénéfiques de la scolarisation en maternelle dans la poursuite de la scolarité mais alertant également sur le fait que malgré tout, cette scolarisation ne réduit pas les inégalités originelles. C’est bien ce paradoxe qu’il s’agit de comprendre alors que depuis 20 ou 30 ans on s’est attaché à réduire les inégalités.
Universitaire, Christophe Joigneaux resitue les évolutions pédagogiques et didactiques en cours à l’école maternelle, prenant le parti pris d’une lecture subjective. Si beaucoup de chercheurs et de praticiens s’accordent à voir une scolarisation, primarisation de l’école maternelle, il pense qu’elle a su se préserver une certaine identité pédagogique. Selon lui, la difficulté réside dans le maintien d’un équilibre fragile entre spécificité et plus grande continuité des apprentissages (mission propédeutique).
Reprenant le corpus des revues spécialisées, il constate que les dispositifs pédagogiques proposés par celles-ci se sont petit à petit imprégnés des exigences des programmes. L’ambition est croissante en termes d’apprentissages, moins ciblée sur les contenus que sur les postures d’élèves attendues. Il relève également une grande insistance donnée à la nécessité pour l’élève d’être capable d’analyser, d’avoir une posture réflexive (l’élève doit anticiper son activité) dite également « posture de surplomb » c’est à dire savoir s’arrêter sur sa tâche, revenir ce qui vient d’être accompli, demander de l’aide en fonction des difficultés perçues par l’élève lui-même.
Rejoignant Viviane Bouysse, il questionne lui aussi l’histoire des ateliers, mis en place de façon plus systématique depuis les années 50 selon l’historien de l’éducation Antoine Prost, alors que les travaux de groupes étaient déjà prescrits par les inspecteurs dès les années 20/30. C’est au cours des années 80 qu’apparaissent les débuts de tâtonnements en vue d’adopter une posture réflexive, l’alternance ateliers / regroupements permet d’anticiper sur ce qui devra être effectué ou de restituer ce qui vient de se vivre. Mais demeure un problème quand des élèves restent muets sur ces questions.
Du point de vue de la cohérence de ces évolutions, Christophe Joigneaux remarque qu’au cours des années 80, l’association devient de plus en plus prégnante entre « travail en atelier » et « fiche », d’ailleurs c’est à ce moment que cette terminologie « fiche » apparaît. La fiche se diffuse, se systématise, s’installe dans le contexte scolaire pour mieux évaluer les apprentissages et pour signifier aux parents ces apprentissages. Dans le temps, la complexité sémiotique des tâches à effectuer sur ces fiches évolue elle aussi, apparaissent beaucoup plus de mises en relations, des comparaisons, des propriétés plus importantes, des univers plus riches. Les tâches sont beaucoup plus exigeantes. Cette évolution semble conforme à la volonté de faire progresser les élèves sur leur activité réflexive.
Toujours dans une perspective historique, Christophe Joigneaux voit apparaître un point de rupture où on attribue à l’école de nouvelles missions. Alors qu’elle avait pour tradition de prendre en compte épanouissement et développement de l’enfant, à partir des années 80, l’école doit compenser les inégalités, combler les écarts de développement, ce qui prend le dessus sur toutes ses autres attributions (développement, éducation, garderie…) C’est le moment où l’on affirme que l’école maternelle est bien avant tout une école, et que par exemple, il ne faut pas leurrer l’élève sur ses tâches, même quand on lui propose un jeu il faut qu’il comprenne qu’il y a des apprentissages… en jeu. Alors qu’ils étaient décriés auparavant les termes « élève » et « programmes » commencent à être adoptés en particulier avec la mise en place des cycles au cours des années 90 (réforme d’ailleurs accueillie fraîchement par les enseignants).
Le modèle réflexif est en train d’émerger (contre le modèle productif, créatif qui prévalait avant), il entraîne une nouvelle conception du rôle de l’enseignant : nouvelle modélisation de sa place, sa fonction à l’école maternelle. Avant il ne fallait pas entraver la libre expression de l’enfant (modèle expressif) : jeu libre, auto-découverte… L’enseignant devait avant tout aménager le contexte, ne pas trop intervenir, mais réguler en retrait. Avec les orientations de 86, les références théoriques évoluent : l’enseignant doit aider l’élève à réussir, on mentionne sa fonction d’étayage, on dépasse Piaget pour se place dans une perspective imprégnée des travaux de Vygotski, Bruner. Il ne suffit plus d’organiser le milieu. L’enseignant doit s’intéresser beaucoup plus à ce que fait l’élève, mais à distance avec pour objectif de permettre à l’enfant de faire seul ce qu’il ne pouvait faire seul avant. C’est là que s’articulent les temps alternant regroupement et ateliers.
Concernant l’enfant : on serait passé d’un enfant créatif à un enfant réflexif. L’élève idéal doit apprendre à apprendre, savoir être autonome pendant des périodes de plus en plus longues.
Mais persiste un point d’achoppement, conséquence de ces évolutions. C’est que ce modèle éducatif avec cette conception de l’élève idéal demeure difficile à mettre en pratique. Malgré cette ambition, la posture réflexive attendue se construit pour certains élèves, mais pas du tout pour d’autres.
De plus les enseignants sont parfois eux-mêmes mal à l’aise, perplexes face à cette évolution, tout en ayant adopté l’essentiel de ce modèle pédagogique. Christophe Joigeaux cite les travaux menés avec d’autres chercheurs d’ESCOL dont Colette Catteau et Christophe Touny, qui ont interrogé des enseignants sur cette problématique. Leurs réponses sont contrastées, quand il s’agit qu’ils définissent leur propre posture. Deux conceptions demeurent, celle relevant du modèle des années 70 qui s’appuie sur le fait que les élèves « s’apprennent » entre eux (Ferreiro), et que l’enseignant doit demeurer en retrait, quand d’autres enseignants pensent que les élèves ne sont pas capables de cette autonomie, qu’il faut contrôler ce qui se passe, ainsi concernant la proposition des fiches dans les ateliers autonomes ils demeurent perplexes sur le mode de régulation à distance qu’elle nécessite.
Christophe Joigneaux conclue sur le fait que l’école maternelle est à un tournant, en période de transition, de rodage, à la recherche d’un nouvel équilibre qui doit être juste. Qu’il va lui falloir trouver des réponses sans perdre son âme… Il laisse en suspens une réelle problématique de métier : la question du temps laissé en autonomie, celui-ci ne se vit-il pas pour l’élève comme un temps de grande solitude ?
C’est l’heure de se répartir à nouveau dans différents ateliers, on quitte l’amphithéâtre avec le regret d’avoir peut être juste touché du bout du doigt nos préoccupations du jour. Si la mise en perspective est nécessaire, dépasser les constats pour prendre enfin à bras le corps ces questions demeure une attente forte.
Pour mémoire, intervention de Christophe Touny, lors de la journée de 2009
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/pages/2009/gfen_mat_escol.aspx
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