Daniel Rome, 56 ans, professeur d’économie gestion au Lycée Jean Lurçat à Paris. Militant du Groupe français d’éducation nouvelle (GFEN). Après 15 années passées à la Caisse des Dépôts il a fait le choix de devenir enseignant par goût du métier et l’envie de transmettre des savoirs. Un choix qui vient de loin : déjà lorsqu’il était élève ce métier l’attirait…
Comment présenteriez- vous le lycée dans lequel vous exercez ?
C’est un lycée général et technologique avec une forte dominante d’enseignement technologique tertiaire. C’est un lycée avec une grande variété de formations en BTS. J’y enseigne depuis 20 ans. La direction a changé depuis 2 ans. Il y a un bon climat entre la direction et les enseignants car il y a des relations de confiance de respect et la volonté de travailler sur des projets pour la réussite des élèves. Concernant les enseignants, je trouve que parfois se développe une logique de concurrence.
Vous portez une ambition forte pour le service public d’éducation comment pourrait-on la définir ?
Par la mise en pratique d’une pédagogie de la réussite. Mais on ne peut pas considérer la réussite des élèves uniquement d’un point de comptable. Que la nation reconsidère les enseignants en donnant de la valeur à leur travail ce qui est loin d’être le cas : absence de formation des enseignants débutants même si le ministre fait de timides avancées. Et sur les salaires, nous sommes un des pays de l’OCDE où les enseignants sont les moins bien payés et le salaire représente aussi la valeur que l’on donne au travail. Une révolution copernicienne serait nécessaire. Je pense aux pratiques pédagogiques mais aussi au fait que les enseignants fonctionnent très souvent en solo surtout au lycée. Chacun se sent le concurrent de l’autre et très éloigné d’un vrai travail d’équipe.
Pour vous, c’est un engagement ou un boulot d’être prof ?
Pour moi, être professeur est un métier, un métier qui s’apprend, mais un métier où l’on travaille avec des jeunes, donc une responsabilité immense. Ce n’est donc pas un simple boulot, mais un engagement qui nous prend de plus en plus de temps. Si l’on considère que tous les élèves sont capables de réussir il faut un véritable engagement pédagogique pour y parvenir.
Quatre cents ans avant notre ère, si l’on en croit Platon, les maîtres tremblaient devant leurs élèves et préféraient les flatter .
L’enseignant est à la fois celui qui impulse, celui qui suscite, celui qui encourage et accompagne mais aussi, se met à l’écoute et analyse pour faire rebondir, soutient pour que se poursuive la recherche, sans jamais cependant perdre « le cap » de l’horizon à atteindre. En recherche active, en fait, aussi bien du côté des élèves, puisque ce sont eux qui construisent, que du côté des concepts, puisqu’il en mesure toute la problématique complexe et donc peut en anticiper les moments-clés.
Dans la mesure où, conscient des enjeux (du côté des élèves comme du côté des savoirs), il est amené à s’apprendre lui-même quand intervenir et surtout quand se taire, quand être à l’écoute et quand prendre distance. Dans les confrontations, il renvoie – suivant une attitude non-interprétative d’effet-miroir – pour que tous entendent telle proposition, pour mettre en avant les contradictions (et non les masquer ni les départager). Il organise les échanges, crée les conditions d’une rigueur (faire mettre en relation les « dire » et les « faire », faire argumenter, faire revenir à l’action, etc.).
Ne peut-on pas reprocher à cette méthode d’être conçue non pas pour véhiculer des connaissances, mais pour s’ajuster aux désidératas de l’élève ?
Présence à la fois discrète et exigeante, l’enseignant crée les conditions qui permettent aux élèves une formation à l’autonomie de pensée par l’exercice même d’une telle autonomie, qui leur permettent aussi de prendre en compte différences et contradictions, dans l’exercice de la mise en confrontation, de l’argumentation et du débat.
Mais si c’est l’enseignant qui lance et accompagne la recherche des élèves, en bout de course pourtant, il se sera appris lui-même – grâce aux élèves dont il peut découvrir à quel point ils sont capables de cheminer – un sens nouveau au métier d’enseigner. Et s’il y a une forme d’évaluation à partager, avec eux, quand le but ensemble est atteint, ce sera, tant pour les élèves que pour lui, une sorte de fierté et de jubilation .
Propos recueillis par Gilbert Longhi
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