Présenté dans le Café pédagogique du 9 janvier, le projet du GRFDE pour la formation des enseignants montrait la nécessité d’un recrutement en L3. De puis il faisait la démonstration qu’il était plus économique que le projet gouvernemental de recrutement en M1. C’est ce point que combat la tribune de Claire Pontais et Christian Couturier du Snep Fsu. Ils préconisent une admission en L3 avec concours en M2.
Le GRFDE, groupe de formateurs et d’universitaires, a annoncé ces jours-ci que le schéma de formation qu’il propose (concours à l’issue de L3, puis 3 années de formation) est le plus performant et le moins cher du marché ! Ce groupe affiche le soutien de personnalités connues du monde de l’éducation comme Meirieu, Rochex ou Dubet.
Nous nous étonnons, dans cette initiative, d’au moins deux choses. Tout d’abord que la question du financement global de la formation que personne, à notre connaissance n’a été capable de chiffrer jusqu’à présent, pas même le ministère, devienne un argument principal. Ensuite que ce scénario (concours en L3) qui avait complètement disparu du paysage depuis la mastérisation, revienne, alors même que les conditions et le contexte ont été complètement bouleversés.
Le SNEP-FSU, lui-même porteur d’alternatives au schéma officiel, engage ici certaines controverses au projet présenté, qui non seulement oublie un certain nombre de paramètres dans ses calculs mais pose en outre de sérieux problèmes.
Un raisonnement qui oublie certains paramètres
La proposition du GRFDE, passé l’ensemble des tableaux, se résume à l’idée suivante : c’est du gâchis de former 400 étudiants en M1 et M2 quand l’Etat n’a besoin que de 100 professeurs. Sa solution est simple : recrutons les 100 profs plus tôt et économisons le coût de 300 étudiants. Ce raisonnement soulève trois problèmes :
– Le GRFDE part du principe que des études débouchant sur les concours d’enseignants sont tubulaires : elles n’ouvrent à rien d’autre ; alors un échec au concours est un échec de la formation et donc un gâchis. C’est selon nous une erreur d’appréciation qui ne correspond pas à la réalité. Toute qualification à Bac + 5 doit permettre d’accéder à un niveau de formation qui ouvre des possibles. Dans ce sens ce n’est certainement pas un gâchis, mais plutôt un investissement.
– Si l’Etat recrute 100 profs en L3, les 300 « autres » font de toute façon des études universitaires et représentent le même coût (le GRFDE l’accorde, il n’y a donc pas d’économies possibles de ce côté là).
– Aujourd’hui, la quasi-totalité des étudiants qui se préparent au métier deviennent enseignants. En effet, le ratio n’est plus de 1 sur 4 mais de 1 sur 2, voire moins dans les CAPES, CAPEPS et CAPLP. S’il y a des économies à opérer, elles sont dans la rapidité du parcours de l’étudiant, qui pourrait être réglée par un réel pré-recrutement. Celui-ci sécuriserait les parcours individuels, augmenterait les possibilités de réussite, tout en régulant les flux, sans empêcher les entrées après la Licence, indispensables aujourd’hui pour répondre aux besoins de recrutement.
Le GRFDE propose que les deux années de formation soient rémunérées. On ne peut qu’être d’accord. Il propose également que les étudiants ne soient pas en responsabilité totale en M1 et M2. Encore d’accord. Si l’on compare ce projet à celui du gouvernement, il y a 10 000 postes d’écart puisque le GRFDE envisage de rémunérer les étudiants de M2 pour étudier, tandis que Peillon les rémunère pour enseigner ! Le GRFDE doit donc rajouter 10 000 postes dans son calcul si les étudiants ne sont pas utilisés comme moyens d’enseignement ! Pour les économies, c’est raté !
Un raisonnement politiquement problématique
Même si la démonstration du GRFDE était convaincante, elle poserait problème dans la démarche. Que le ministère cherche le moindre coût au regard de son projet, c’est son rôle. Que des acteurs de la formation avancent cet argument est politiquement risqué : qu’il le veuille ou non, par sa communication basée sur les coûts, le GRFDE accrédite l’idée que le problème principal de la formation est celui du coût, et qu’il faudrait trouver le moins disant. Qui aujourd’hui annonce à la nation entière que former des médecins, des ingénieurs, des cadres… coûte cher et qu’il faudrait en diminuer le coût ? Depuis 5 ans, la question du coût de la formation a été surdéterminante, et nous ne pouvons que répéter que l’on n’a pas assez investi dans ce domaine.
Confusion pré-recrutements, bourses, allocations
Concernant les allocations d’études, le GRFDE estime son schéma peu coûteux, il a raison cette fois-ci mais là-encore c’est politiquement que ses propositions posent de sérieux problèmes aux syndicalistes que nous sommes !
En effet, le GRFDE invente un nouveau statut : une allocation d’étude sous statut d’élève professeur. Le statut d’élève professeur existe déjà (statut des normaliens de l’ENS, statut des ex-IPES). Il correspond à un pré-recrutement qui donne droit à un salaire lié à un indice de la grille salariale de la fonction publique, avec cotisations pour la retraite. Le GRFDE propose de casser ce statut et de le remplacer par une allocation d’étude (indice moindre). Il parle de droit à la retraite mais ne l’intègre pas dans son calcul !
La confusion s’amplifie quand le GRFDE parle de pré-recrutements en Licence. Il parle en fait de « bourses FDE » accessibles via « un concours national des bourses FDE accessibles sur critères sociaux » (impossible car anticonstitutionnel aujourd’hui) et conditionnées ensuite à un engagement à servir l’Etat.
Or, l’Etat peut exiger un engagement d’un élève-fonctionnaire, mais pas d’un étudiant ni d’un contractuel. Donc, soit le concours de pré-recrutement donne accès au statut d’élève-professeur et l’Etat peut exiger un engagement quinquennal, soit le « concours national » donne accès à de simples bourses sans engagement de la part de l’étudiant. L’intérêt pour l’Etat de pré-recruter est bien de pouvoir anticiper et sécuriser ses recrutements sur plusieurs années, ce qui n’est absolument pas garanti aujourd’hui.
En conclusion, la démonstration « économique » du GRFDE est loin d’être convaincante. Elle est même sur certains plans plus que problématique (casse du statut d’élève professeur notamment).
Un raisonnement non ancré sur le contexte et l’université d’aujourd’hui
Sur le plan de la qualité de la formation, le schéma de 3 années de formation après la Licence est celui nous défendons, mais nous sommes en désaccord sur un recrutement à L3, et pas seulement pour des raisons économiques ou idéologiques.
Le concours placé en L3, dans le contexte actuel, ne peut qu’aboutir à un pilotage exclusif de la formation par l’employeur tenté d’une part, d’utiliser les étudiants comme moyens d’enseignement et d’autre part de les formater sur des « bonnes pratiques ». Certains prônent deux années de « master en apprentissage » dans cette optique.
En effet, le concours placé en fin de L3 se situe dans la logique d’une école professionnelle dédiée à une formation des enseignants tubulaire. Dans cette logique, il serait beaucoup plus cohérent d’en situer l’entrée dès Bac +1 pour maitriser une totale « intégration » des connaissances académiques et professionnelles.
La France n’a pas fait ce choix, mais celui d’un ancrage universitaire, qui suppose de lier disciplinaire et professionnel avec la recherche. Pour la FSU, il s’agit de former un professionnel, fonctionnaire de catégorie A, concepteur de son activité professionnelle, quel que soit le degré d’enseignement.
Ce rapport entre le poids de l’employeur et celui de l’université est d’ailleurs l’enjeu actuel des ESPE. Telles qu’elles se configurent, celles-ci seront sous la responsabilité de l’employeur. C’est totalement logique, diront certains. Nous disons que cela va obligatoirement limiter le poids et la responsabilité de l’université, bâtie sur les principes d’une formation critique, et renforcer l’orientation normalisante du ministère. L’insistance de V.Peillon et d’autres sur les « bonnes pratiques » devrait alerter. Ne pas voir cela, c’est être un peu naïf sur l’état de la gouvernance de l’enseignement d’aujourd’hui. De même, comment ne pas imaginer la pression qui sera exercée sur les responsables de master pour l’obtention de celui-ci en fin de parcours ?
Pour le SNEP-FSU, le cadrage national assuré par le concours d’une part et un cahier des charges d’autre part, devrait permettre d’offrir une formation équivalente sur le territoire qui tienne compte des besoins de l’employeur tout en lui assurant un ancrage universitaire. Ce ne sera pas le cas si le recrutement se fait en L3, les 3 années de master et de fonctionnaire stagiaire étant alors très dépendantes du local (contexte rectoral + autonomie d’université).
Autre problème : sans vouloir dénigrer le premier cycle universitaire, qui fait ce qu’il peut avec ses moyens, les universitaires soutenant ce projet devraient savoir ce que représente aujourd’hui un étudiant de L3, en termes de connaissances disciplinaires et de connaissance générale. Organiser un concours de recrutement (ce qui est totalement différent d’un pré-recrutement) ne peut se réduire à une épreuve dite disciplinaire et une épreuve de motivation vérifiant « la capacité à communiquer et à argumenter » comme le demande le GRFDE. C’est insuffisant pour recruter un cadre A de la fonction publique.
D’autre part, le GRFDE envisage un concours en début de M1 avec des résultats à la Toussaint. Ce délai est extrêmement court (utopique). Quand se ferait la nécessaire préparation au concours ? L’été ? Dans l’année de L3 et/ début M1 ? Pour n’amputer aucune année universitaire, on aboutira au schéma que nous avons déjà connu quand le concours était au niveau Licence : les étudiants consacreront une année à la préparation de ce concours. Année qui faudra ajouter au calcul financier.
Des pré-recrutements en L3, concours en M2.
Si l’on exclut pour la raison précédente le recrutement en L3, il faut obligatoirement des pré-recrutements qui ont plusieurs fonctions : un salaire pour étudier, une sécurisation du parcours (avoir plus de chance d’être recruté), et une gestion des flux pour avoir suffisamment de candidats assurés et laisser ouvert à des reconversions. Le pré-recrutement (avec cotisations pour la retraite) n’exclut pas des bourses ni des aides sociales qui peuvent débuter dès L1 si l’on lutter contre les inégalités.
Cela nécessite par ailleurs une réflexion sur la pré-professionnalisation dès la Licence pour les étudiants qui se destinent tôt au métier d’enseignant. Au-delà, cela nécessite également une réflexion sur les licences elles-mêmes (horaires, contenus, rapport spécialisation-polyvalence, tronc commun…) de façon à ne pas enfermer la réflexion uniquement sur les métiers d’enseignant, mais sur la relation université- pré-professionnalisation.
Nous avons par ailleurs fait des propositions sur l’ensemble du cursus.
Claire Pontais, Christian Couturier
SNEP-FSU