Céline Branchu est directrice de l’école élémentaire du groupe scolaire Paul Langevin de Champs sur Marne dans laquelle sont scolarisés dix huit enfants roms depuis novembre dernier. Dans une situation précaire, leurs familles risquent de voir leur campement détruit d’un jour à l’autre. La porte de l’école se refermera alors pour s’entrouvrir peut être ailleurs, dans une errance scolaire peu propice aux apprentissages. Céline Branchu nous raconte, entre colère et tristesse, la brève histoire de la rencontre entre son école et ces enfants qui voudraient simplement être des enfants comme les autres.
Le 15 novembre dernier, Céline Branchu est avertie par son inspecteur que des parents viendront accompagnés de représentants d’associations pour que leurs enfants soient inscrits à l’école dans le respect de la nouvelle circulaire mise en œuvre par Vincent Peillon. Dix huit nouveaux élèves intègrent le groupe scolaire. Deux enseignants spécialisés viennent épauler l’équipe. Des évaluations sont menées pour déterminer la classe dans laquelle chaque enfant sera accueilli. Les critères sont fixés par l’équipe pédagogique en fonction de l’âge, du degré de maitrise du français, des connaissances déjà acquises. Quatre enfants sont orientés vers une classe d’initiation pour élèves non francophones (CLIN). Les enseignants rencontrent les parents pour leur expliquer le fonctionnement de l’école, les horaires, le déroulement des cours. Le contact permet d’instaurer un début de confiance avec des familles que l’errance et la précarité ont émoussée.
Tout semble se passer pour le mieux sauf que Céline Branchu ne peut inscrire les quatorze nouveaux élèves dans la Base Elèves. « La mairie ne souhaite pas les faire figurer dans ses effectifs ne les considérant pas comme enfants de la commune, la cantine ne leur est accessible qu’au tarif extérieur, c’est-à-dire douze euros par repas », raconte Céline. Les rapports avec la mairie sont tendus. Il est même reproché aux enseignants d’avoir rempli des bidons d’eau à l’école pour aider une maman. Pour la ville, la fréquentation de l’école ne peut être que provisoire, pour l’équipe pédagogique, l’éducation se vit sur la durée et l’équité.
Au fil des jours, le dialogue s’instaure entre l’école et les familles. Confier les enfants à des personnes extérieures n’est pas simple surtout qu’ils contribuent en faisant la manche à la survie de la famille. Les laisser aller à l’école est un pari sur l’avenir pour sortir de la fatalité de la précarité. Et puis, la menace des évacuations du camp fait craindre la séparation, l’éclatement de la famille. Céline Branchu est invitée au campement, un lieu dépourvu d’eau courante, « surprenant de chaleur, de propreté, d’humanité » nous dit elle. Elle fait connaissance avec un univers dont elle ignorait tout. Elle découvre que les roms n’ont pas accès aux services sociaux, ni aux associations caritatives qui leur permettraient d’avoir des repas comme les Restos du Cœur ou le secours populaire puisqu’ils n’ont pas de papiers qui attestent de leur pauvreté. Ils ne peuvent pas travailler non plus. Des associations comme Médecins du Monde ou Ville-Hôpital leur viennent toutefois en aide pour les aspects médicaux. Des initiatives individuelles ou collectives de solidarité naissent aussi ça et là.
Les enfants s’intègrent dans les classes, s’investissent dans les apprentissages. Certains ne sont jamais allés à l’école, le chemin sera long pour acquérir les bases. Puis à la rentrée la nouvelle tombe, sur décision de justice, le campement doit être évacué puis détruit. Petit à petit les familles le désertent pour aller ailleurs, trouver un autre endroit où s’installer quelques temps avant de repartir, une vie d’errance. Seules celles qui ont des enfants scolarisés décident de rester jusqu’au bout pour ne pas rompre le lien, ne pas éteindre la lueur d’espoir d’intégration allumée par l’entrée à l’école. Et jusqu’au bout c’est sans doute jusqu’aux jours prochains car la date fatidique approche. Pour faciliter une future entrée dans une autre école, Céline Branchu souhaite leur délivrer un certificat de scolarité. Cette simple opération s’avère impossible sans inscription dans Base Elèves. Alors, l’incompréhension gagne dans l’équipe pédagogique.
« Nous ne discutons pas les aspects politiques de l’affaire, nous sommes simplement en face d’une contradiction que nous ne comprenons pas. D’un côté on nous demande d’appliquer une circulaire pour scolariser les enfants roms et de l’autre ces enfants ne sont pas reconnus comme des élèves à part entière ». Céline Branchu rajoute en souriant « J’ai des collègues qui ont risqué la sanction en refusant d’inscrire leurs élèves dans Base élèves, moi je serais peut-être en situation de désobéissance en inscrivant les miens ».
A vivre au quotidien, la situation est difficile. Les enfants s’interrogent, comment iront ils à l’école demain. Le mince fil de confiance, le ténu lien social, qui commençaient à se tisser semblent bien fragiles face à l’incertitude. L’école toute entière est en émoi. Au cours de la semaine prochaine, 14 élèves disparaitront des effectifs, ne se mêleront plus aux autres enfants dans la cour, ne gouteront plus la joie d’apprendre. Ils ne seront plus là sans que personne ne sache s’ils pourront continuer ailleurs ce qu’ils ont commencé à Champs sur Marne, devenir des enfants comme les autres. « Instruire tous les enfants fait partie de notre mission, lui donne du sens. ». Avec le passage des enfants Roms ; Céline Branchu et ses collègues ont ravivé ce sens. Alors cet au revoir brutal leur semble douloureux.
Monique Royer
A propos de la circulaire sur la scolarisation des enfants roms