En écho à l’acquisition de trois œuvres de Pierre Soulages, dont la couleur noire est le signe distinctif, le Musée des Beaux-Arts de Lyon accueille jusqu’au 28 janvier un ensemble d’une vingtaine d’œuvres produites par l’artiste entre 2000 et 2012, dont certaines encore inédites. Conçu en étroite collaboration avec Soulages lui-même, le commissariat de cette exposition a été co-réalisé par la directrice du musée et par Eric de Chassey, professeur d’histoire de l’art à l’ENS-Lyon, directeur de l’Académie de France à Rome- Villa Médicis. L’exposition démontre l’incroyable vitalité de cet artiste qui, à 91 ans, expérimente toujours de nouvelles possibilités. Elle offre au regard les vies multiples de l’outrenoir, c’est-à-dire les possibilités multiples de faire advenir la lumière au sein du noir, par le travail de la matière. qui représente un tournant dans l’œuvre de Soulages en 1979. Elle dévoile aussi les développements des peintures ouvertes aux expérimentations les plus variées : présence de blanc, juxtapositions de surfaces lisses ou en relief, collages, jeux de variétés de noir.
« Ce que j’explore depuis plusieurs années est, pour une grande part, fondé sur la qualité particulière, l’état spécifique de la couleur réfléchie par la toile, venant au devant d’elle et transmutée par l’état de surface et la couleur qui la renvoie », disait Soulages. Dans la salle noire, que vous traverserez au 1er étage, les œuvres sont accrochées sur un mur entièrement noir, simplement éclairé en face par un mur blanc, amenant ainsi le spectateur à faire l’expérience d’une lumière qui émane du noir lui-même.
La « salle initiatique » (au 2ème étage) « C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche. Ma peinture est un espace de questionnement où les sens qu’on lui prête peuvent se faire et se défaire. Parce qu’au bout du compte, l’œuvre vit du regard qu’on lui porte. Elle ne se limite ni à ce qu’elle est, ni à celui qui l’a produite, elle est faite aussi de celui qui la regarde. » Les 7 peintures, réalisées entre le 28 décembre 1990 et le 17 février 1991 sont autant d’expériences de la lumière. Si Soulages les présente comme un « accident », elles n’en sont pas moins représentatives d’une recherche qui fait songer à un cheminement spirituel, montrant l’artiste dans ses tâtonnements. Quand il a peint sa première toile, Soulages ne savait pas encore que six autres suivraient. Chacune des toiles sera alors réalisée, « venant de la précédente, par similitude ou par opposition ». Cette suite décline de manière inédite l’outrenoir , ainsi qualifié par l’artiste lui-même, et qu’il explore depuis plusieurs années, jouant d’une surface initialement lisse, troublée par la profondeur des stries qui module la lumière.
Les « acquisitions » (au 2ème étage) toutes récentes du musée. Trois oeuvres ont été achetées, qui dévoilent des étapes charnières de la création de Soulages. Brou de noix sur papier (1947), est l’une des premières œuvres où Pierre Soulages expérimente ce médium dont la couleur profonde se fait opaque ou fluide selon les superpositions. De 1947 à 1949, il a ainsi réalisé une cinquantaine de brous de noix sur papier, dans un contexte d’après-guerre encore marqué par la pénurie. L’élaboration de ces constructions dépouillées, la sobriété du geste et l’immédiateté de ces compositions, détournant l’image des arbres qu’il faisait enfant, feront sa notoriété. Peinture, 22 novembre 1967 approfondit le jeu de contrastes entre le noir et le blanc, cette dernière couleur ne transparaissant désormais que par de rares percées dans un vaste champ où domine le noir. Quant à Peinture, 25 février 2009, elle marque l’aboutissement d’une quête de la lumière picturale, caractéristique de la nouvelle manière de peindre qualifiée d’outrenoir, terme employé depuis 1990, bien que la première peinture entièrement recouverte de noir ait été créée dès 1979. De la naissance de sa vocation de peintre lors de la visite de l’Abbatiale de Conques , en passant par sa rencontre, en 1941, avec l’Art Moderne qualifié d’ « art dégénéré » dans la revue de propagande allemande « Signal » ( qui, pour l’artiste, était le seul qui en vaille la peine) à la rétrospective Soulages au Centre Pompidou qui reçut plus de cinq-cents mille visiteurs, Soulages n’a jamais cessé de « creuser son sillon », expérimentant de nouvelles voies pour sa peinture. Son enthousiasme, à 91 ans, reste intact. Peut-être la période la plus expérimentale de son œuvre est-elle celle qui s’est ouverte au tournant du nouveau siècle, sans qu’une chronologie extérieure ne l’ait suscitée, car, si le travail de Soulages est inscrit pleinement dans son époque, ce ne sont pas les événements historiques qui le provoquent et en marquent les tournants, mais son propre développement. Photo Spectateurs La place occupée par la peinture et les recherches de Soulages s’inscrit dans un triple rapport : l’homme qui a créé la toile, celui qui la regarde et le moment (intensité de la lumière, place du spectateur, compréhension). Il sera certainement riche d’apprentissages pour des élèves, quel que soit leur niveau, de s’interroger sur une œuvre aussi magistrale, multiple, et, pour employer un vocable actuel : « interactive ».
Pour la classe. L’exposition se terminant le 28 janvier, il ne reste que quelques semaines pour « honorer cette invitation » à se rendre avec sa classe du côté de la Place des Terreaux. Un parcours jeu pour enfants peut être téléchargé sur le site de l’exposition. Des visites et ateliers enfants sont organisés en lien avec l’exposition et les collections permanentes du musée. Pour les 5-6 ans : visites actives Jeux de lumières Pour les 7-9 ans : visites ateliers Effets de surfaces Pour les 10-12 ans : visite atelier Le noir aux mille facettes.
Dominique Gourat