« Individualiser ce n’est pas possible. C’est trop de travail pour les enseignants. Personnaliser par contre c’est possible ». Professeur des écoles, formateur, Sylvain Connac a une longue expérience d’enseignant. Pour sortir de la spirale de l’échec scolaire, il invite dans un nouvel ouvrage, co-édité par le Café pédagogique, à revisiter l’enseignement. Une démarche réaliste qui s’appuie sur des tests et des exercices pour déjà mieux connaître ses propres repères pédagogiques.
Comment lutter contre l’échec scolaire massif dans l’école française ? Le gouvernement a entrepris une refondation. Sylvain Connac nous invite à bien comprendre qu’un élève apprend avec ce qu’il sait et ce qu’il est. Le travail de l’enseignant c’est de prendre en compte ces particularités pour s’en servir au bénéfice de la motivation de l’élève et de ses apprentissages. Pas pour proposer à chaque élève un parcours particulier. Ce serait une tâche impossible et sans doute peu motivante pour l’élève. Mais pour apprendre aux élèves à se doter des outils de coopération qui vont les aider à progresser et à réellement individualiser leur apprentissage.
C’est donc bien une révolution pédagogique que propose Sylvain Connac. Mais une révolution à portée de main, appuyée sur des exemples nombreux et des repères théoriques bien installés. Appuyé sur de nombreux exercices et tests, le lecteur se trouve en situation personnalisée de formation pédagogique. Il peut la partager avec ses collègues. Ou faire ce chemin pédagogique qui permettra une meilleure prise en compte de l’hétérogénéité des classes et finalement plus de réussite scolaire.
Sylvain Connac : » Démocratiser l’Ecole impose de penser autrement »
Résistance au changement, refondation, évaluation des élèves, Sylvain Connac définit ce qu’est la personnalisation et ses rapports avec la coopération. Il répond à nos questions
Personnaliser son enseignement est-ce vraiment profitable ?
Quand on évalue le système éducatif français en fonction des inégalités, il est très mal placé, avec 150 000 sorties sans diplôme chaque année par exemple. Il y a donc un grand enjeu à proposer un système de personnalisation des apprentissages donnant la possibilité à tous les élèves de progresser, y compris à ceux qui veulent aller très loin alors que ceux-ci également souffrent du système actuel où on n’a pas de temps pour cela. La rentabilité de la personnalisation c’est donner à chacun la possibilité de continuer à progresser.
Personnaliser c’est pourtant ce que notre système éducatif ne sait pas faire. Pourquoi est -ce comme ça en France ?
Parce que la culture du système éducatif s’est alignée sur le modèle du lycée napoléonien. Le collège est devenu un petit lycée et l’école primaire prépare déjà l’élève à ce modèle. C’est une conception très collective de l’enseignement qui est tenable du moment où on n’essaye pas de démocratiser le système. Démocratiser l’Ecole impose de penser autrement, de refuser le tri permanent. Pour faire suite à cette volonté de démocratisation on a longtemps cherché à répondre avec l’individualisation des apprentissages. Mais l’individualisation est pédagogiquement intenable car elle demande un temps de travail impossible à l’enseignant. Elle est aussi intenable pour l’élève car il ne peut pas travailler tout le temps tout seul. Il a besoin de la force des interactions. La personnalisation répond à ces préoccupations. C’est l’équilibre entre le travail individuel et collectif.
Pour vous personnaliser cela passe par la collaboration ?
La personnalisation est liée à la coopération et à une conception de la personne. Une personne c’est différent d’un individu. La personne c’est un individu dont on reconnait le potentiel de relations. Un individu devient une personne quand on accepte chez lui l’ensemble des relations avec son environnement. Personnaliser ce n’est pas s’appuyer sur des travaux de groupe, où l’important ce sont les consignes données par l’enseignant. Avec la coopération on n’est pas dans le contrôle étroit des activités par les adultes. On aide l’élève à lui échapper par exemple en organisant le tutorat. Le tutorat ce n’est pas la même chose que l’aide. Beaucoup de choses peuvent aider un élève, y compris la triche. Le tutorat par contre doit être pensé et institué.
C’est un véritable changement de perspective. Peut-on apprendre cela avec un livre ?
Le livre donne des repères théoriques et des astuces pratiques pour enclencher une dynamique. Il comporte de nombreux exercices adaptés à un travail en équipe d’enseignants. Ainsi il donne la possibilité de démarrer , de voir ce que ça donne sur le terrain . On n’est pas dans une logique de proposer une méthode pédagogique. Ce livre n’est pas un manuel mais un outil d’accompagnement au changement.
Peut-on personnaliser son enseignement dans le secondaire comme au primaire ?
Dans le primaire on a l’avantage d’avoir un seul enseignant. Le découpage disciplinaire au collège rend les choses plus difficiles si l’on veut garder de la cohérence pédagogique entre les enseignants. C’est la seule difficulté. Sinon on peut bien sur personnaliser dans le secondaire comme à l’école. Par exemple, instituer le tutorat entre élèves. C’est quelque chose que je vois personnellement dans un collège où j’interviens.
Ce qu’il faut savoir , quand on met en place la personnalisation, c’est que l’on introduit dans la classe de nouveaux espaces de liberté pour les élèves. Potentiellement cela peut générer des désordres. Il faut donc préparer les élèves à gérer l’autonomie dont ils vont disposer. Par exemple leur apprendre à gérer de façon autonome leurs conflits. Il faut des gardes fous et ça aide de ne pas se lancer seul.
Mais le changement le plus difficile c’est le changement de perspective des enseignants qui doivent apprendre à ce que tout ne passe pas par eux.
Faut-il personnaliser l’évaluation ?
Non surtout pas. L’évaluation doit rester la même pour tous les élèves. Mais son moment peut différer selon les élèves. L’élève doit pouvoir passer l’évaluation quand il estime avoir achevé son entrainement.
A-t-on des exemples d’établissements qui fonctionnent sur ces principes ?
C’est le cas par exemple des établissements alternatifs, ceux de la Fespi par exemple. Mais c’est aussi sur ce principe que fonctionne l’Ecole des Roches, un des établissements les plus huppés qui accueille des enfants de la haute bourgeoisie. La personnalisation n’est donc pas réservée aux plus défavorisés. De nombreux établissements ont développé de façon spontanée des éléments de la personnalisation. Cela en dehors de toute participation à un mouvement pédagogique ou idéologique.
La particularité de ce livre c’est qu’il propose de nombreux tests, exercices dans chaque chapitre. C’est un livre pour formateurs ou pour des enseignants ?
Certains exercices sont typiquement pour des formateurs comme les « Q qorts ». Les autres, comme les « pédago tests » sont faits principalement pour aider des enseignants.
Aujourd’hui la personnalisation vous semble-t-elle prise en compte dans la refondation de l’Ecole ?
Je ne me suis pas trop retrouvé dans les comptes rendus des ateliers de la concertation. Par contre le rapport final me semble plus en cohérence avec la personnalisation. On y lit le souci d’arrêter des pratiques collectives systématiques et d’introduire des formes de personnalisation. Je ne sais pas comment cela prendra forme dans la loi et les textes qui suivront. Ce qui me préoccupe ce n’est pas ces textes. Mais ce que les enseignants arriveront à en faire.
Propos recueillis par François Jarraud
Sylvain Connac, La personnalisation des apprentissages, Esf – Café pédagogique, Paris 2012, isbn 978-2-7101-2417-7, 23, 35 €.
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