15 novembre 2002 : à l’initiative de la Chambre de commerce et d’industrie de Seine Saint-Denis une première Ecole de la seconde chance s’ouvre dans le 93. Aujourd’hui, les écoles ont essaimé dans toutes les régions et tentent de remettre à flot environ 7 000 jeunes chaque année. Ce Samu de la formation s’est construit une culture éducative qui juge sévèrement l’Education nationale. Une raison de plus pour aller y voir…
Un projet qui réunit entreprises et élus
Invité par l’Observatoire des zones prioritaires (OZP), Georges Guilbert pilote les destinées des 4 écoles de Seine Saint-Denis et est l’inventeur de la formule. « En 2002 nous apprenons que le 93 est éligible aux aides européennes. On décide de les utiliser pour former les jeunes qui tiennent les murs ». Ce petit entrepreneur, président de la Chambre de commerce du 93 s’entoure des conseils d’élus locaux et bénéficie du soutien d’Edith Cresson, alors commissaire européenne. D’emblée les écoles du 93 s’écarte de la première école imaginée à Marseille en 1998. C’est la formule du 93 qui s’est imposée dans toute la France.
Aujourd’hui le réseau des écoles de la seconde chance (E2C) compte 97 sites dans la moitié des départements français. Elles forment environ 7 000 jeunes par an. En Seine Saint-Denis les 4 écoles voient passer environ 600 jeunes. Chaque école bénéficie de soutiens des différentes collectivités territoriales jusqu’à l’échelon européen et des entreprises locales.
Une école pour les plus démunis
« Plus nos jeunes ont galéré, plus c’est facile », explique G Guilbert. Les E2C s’adressent à des jeunes ayant plus de 18 ans, n’ayant ni diplôme ni expérience professionnelle. Non seulement l’E2C ne prend pas la place de l’école mais il est essentiel pour G Guilbert qu’il y ait un temps de galère entre l’échec scolaire et l’entrée dans l’E2C. C’est sur la prise de conscience de l’échec que peut se reconstruire un passage vers la formation. Ce sont des jeunes qui veulent revenir à l’école car ils ont pris conscience que sans des fondamentaux aucun emploi, même très peu qualifié, n’est possible. « Si on prenait des jeunes de 16 ans, même avec notre pédagogie, ce serait l’échec assuré ». L’age moyen des jeunes est de 20 ans mais ça peut aller jusqu’à 26 ans. Au-delà cela devient beaucoup plus difficile. Le niveau scolaire est variable mais souvent très bas.
Les jeunes sont en alternance avec des entreprises partenaires (pas moins de 3000 en Seine Saint Denis !). Ils sont rémunérés suffisamment pour pouvoir avoir une vie sociale. L’objectif de l’E2C c’est de les aider à se reconstruire autour d’un projet professionnel.
Quelle pédagogie ?
« Quand vous entrez dans une E2C, vous le voyez tout de suite », nous dit G Guilbert. « Nos écoles ne ressemblent en rien aux écoles de l’éducation nationale ». Dans ces petites structures il n’y a jamais plus de 40 jeunes. Chaque personne bénéficie d’un enseignant référent qui aide le jeune dans tous les aspects de sa vie et pas seulement sur le plan scolaire. Le lien personnel est très fort. Il y a un formateur (le mot professeur est rejeté !) pour 5 jeunes.
En E2C, pas de salle de classe. Il y a des espaces de travail autonome sur poste informatique. Des salles de repos. Des bureaux pour les formateurs. Ici on travaille à la carte, le formateur apportant des réponses aux difficultés de chaque jeune en fonction de son projet professionnel. Aucun n’a les mêmes besoins.
« L’accueil en entreprise est déterminant », poursuit G Guilbert. C’est là où le jeune poursuit sa reconstruction, retrouve confiance en lui. La formation dure en moyenne 7 mois avec des différences fortes selon les personnes. A son issue le jeune entre en formation en CFA ou accède à l’emploi.
De la philo en E2C ?
« On ne peut pas prendre conscience que la reconstruction passe par des efforts considérables sans découvrir la vie des autres ». L’E2C est une école de socialisation. Et celle ci doit se faire avec des jeunes d’origine et de parcours de vie très différents. Ce sont les cours de philosophie qui aident à construire le sentiment d’appartenance à un ensemble. Si elle passe par l’étude de textes classiques, elle se fait aussi par des visites. Plutôt vers la fin de parcours, les jeunes vont visiter le Panthéon, l’ IMA et le Musée de l’histoire du judaïsme. « C’est ainsi que se construit la citoyenneté », explique un formateur. « Les valeurs de la République on les découvre au Panthéon. Le vivre ensemble c’est à travers l’IMA et le Musée du judaisme. Beaucoup de ces jeune sont farouchement antisémites mais ne savent pas ce que c’est que le judaïsme ». Pour l’E2C, cette formation citoyenne est la plus utile. « Les entreprises attendent des salariés qu’ils acceptent les clients comme leurs égaux ».
Quelle évaluation ?
Pour G Guilbert, les E2C réussissent à remettre sur les rails deux jeunes sur trois. Un taux qu’il juge satisfaisant compte tenu des parcours de vie des jeunes. Mais le succès c’est aussi le coût. « Un jeune qui a loupé sa formation et sa vie va couter 200 000 euros à la collectivité » estime G Guilbert. La formation donnée dans els E2C va couter environ 7300 euros. « Un bon investissement ! ».
Un modèle pour l’Ecole ?
Aucun formateur des E2C ne vient de l’Education nationale et ce n’est sans doute pas un hasard. Disons que, pour les formateurs E2C, l’Education nationale ne bénéficie pas d’un préjugé favorable… Pourtant dans ces Ecoles on fait du français, des maths et même de la philosophie ! Mais les publics sont très différents. A l’E2C pas de problème de discipline. Les jeunes qui y sont la vivent comme la chance qu’ils se sont donnée.
Peut-être l’Ecole peut-elle malgré tout en retenir trois leçons. La première c’est de rappeler qu’une partie des jeunes traversent des années d’école sans apprendre les fondamentaux. La seconde c’est l’importance de la relation humaine dans la formation des humains. Le succès des E2C tient beaucoup aux formateurs et aux encadrants en entreprise. Mais le grand enseignement c’est sans doute l’éducabilité. » En fait le niveau monte très vite », nous dit G Guilbert. « A l’école ils n’étaient pas dans le coup. Mais là pour peu qu’on gratte un peu ça revient rapidement ». Une leçon d’humanité ?
François Jarraud