Comment lutter contre le décrochage scolaire ? Vincent Peillon répond lui-même que c’est l’affaire de la refondation. Autrement dit cela commence en maternelle et… c’est long ! Comme le politique se doit d’agir aussi dans le court terme, V. Peillon emprunte à Luc Chatel. Réunissant un séminaire national le 4 décembre, il promet le raccrochage de 20 000 jeunes en 2013 en utilisant les plates formes mises en place sous son prédécesseur. Mais 20 000 décrocheurs en moins, c’est deux fois ce que Luc Chatel a réalisé.
Un pays qui abandonne sa jeunesse ?
« C’est quoi un pays qui est incapable d’assurer à un quart de sa jeunesse un avenir décent ? Si on laisse 150 000 jeunes dans cette situation, que va-t-il advenir de notre pays ? » Vincent Peillon marque fortement la nécessité d’agir en ce domaine. Tout en reconnaissant que son plan se situe dans la continuité. » On ne part pas de rien, il y a eu des résultats » rappelle-t-il citant le nombre de 9 500 « raccrochages ». Pour autant il élargit la réponse. » Avant de guérir il faut prévenir : la refondation de l’école est la réponse au décrochage », dit-il. « Les difficultés commencent en grande section de maternelle et on transforme les difficultés en échec. Elles finissent par devenir de l’exclusion ». En fin de journée, George Pau-Langevin, lui fait écho. » Votre travail est capital », dit-elle aux deux cents participants, responsables de plateformes, responsables académiques, représentants des régions et des partenaires. « On ne peut pas accepter que tant de jeunes se retrouvent sans solution ».
Qui sont les décrocheurs ?
L’objectif du programme c’est de faire du nombre tout en personnalisant face à la grande diversité des décrocheurs. « Il ne faut pas qu’un seul jeune ait le sentiment qu’on le laisse tomber » assure G Pau-Langevin. Le nombre lui-même de décrocheurs n’est pas assuré avec certitude. Il s’agit de jeunes qui ont quitté la formation initiale sans un diplôme suffisant, c’est à dire au mieux avec le seul brevet. Assez bien réparti entre les sexes (57% de garçons), l’effectif est d’environ 140 000 personnes d’après les données ministérielles. Soit environ un jeune sur six, même si les ministres parlent plutôt d’un sur quatre. La moitié ont quitté en cours de route un lycée professionnel, par exemple parce qu’ils y ont été orientés de force. Un sur cinq a quitté le système éducatif au niveau du collège, souvent à force d’y échouer avec un niveau réel de CM1. Il reste donc un quart des décrocheurs qui ont entamé des études en lycée général ou technologique, avec un niveau scolaire plus assuré. On mesure donc que les facteurs qui expliquent le décrochage sont très variables. Pour beaucoup c’est l’échec scolaire et/ou une orientation refusée. Pour d’autres c’est le refus d’une école blessante ou oppressante. Il faut y ajouter les facteurs personnels ou familiaux. Pour combien de filles décrocheuses la rupture est liée à une grossesse ou à l’obligation d’effectuer des tâches ménagères ? Pour combien de garçons , l’obligation de gagner de l’argent ?
Le programme ministériel
Le programme ministériel laisse à la loi d’orientation des actions de fond pour ne proposer que des réalisations à court terme. Le ministre promet que chaque décrocheur se verra proposer un plan de retour en formation à travers un « contrat objectif formation emploi ». Chacun sera appelé à rencontrer un tuteur et à faire un bilan scolaire. Ce travail de repérage et de suivi sera effectué par les 360 plates formes de détection mises en place sous Chatel renforcées par du personnel éducation nationale. L’éducation nationale peut proposer une offre de formation car elle dispose de 40 000 places libres en lycée professionnel. Il ne s’agit pas pour le ministère de développer les dispositifs innovants pourtant mis en vitrine comme les microlycées. Notons tout de même l’engagement rappelé par G Pau-Langevin de rétablir le conseil national de l’innovation. Les tuteurs pourront s’appuyer sur l’agence du service civique qui promet d’accueillir plusieurs milliers de jeunes dans une formule où le jeune est en mission mais accompagné par éducation nationale 2 jours par semaine. Martin Hirsch, une autre référence au précédent gouvernement, rappelle que les jeunes du service civique sont rémunérés (570 € par mois). Ces programmes pourront aussi être proposés par des référents désignés dans chaque établissement où le décrochage est important.
Vice président de l’association des régions en charge de l’éducation, François Bonneau a souligné l’engagement des régions. « La décentralisation ce n’est pas moins de respect pour l’Etat. C’est faire autrement avec l’Etat, définir de nouvelles modalités de travail ensemble ». Les régions entendent revoir l’orientation, qu’elles vont prendre en charge à la rentrée, pour orienter plus de jeunes vers les secteurs où l’offre d’emploi excède la demande. » Du point de vue des régions, la réalité du décrochage est insupportable », dit-il. « On sait qu’aujourd’hui un nombre important de secteurs économiques ne peuvent pas se développer faute de main d’oeuvre qualifiée. »
Des dispositifs éducation nationale
Le ministère avait réuni une poignée de dispositifs innovants pour les présenter aux acteurs et aux médias, même s’ils étaient peu représentatifs du programme ministériel. On trouvait un sorte d’atelier relais, « le chantier école » d’Avignon. Ce dispositif accueille une douzaine de jeunes qui travaillent en alternance à la construction de murs de pierres sèches et à une remise à niveau scolaire. Plusieurs micro lycées étaient représentés : le microlycée 94, le lycée de la nouvelle chance de Villeurbanne, le pôle innovant lycéen parisien, le Clept de Grenoble.
Enfin l’Onisep présente deux outils importants pour le dispositif. D’abord l’adaptation aux décrocheurs de son service de chat en direct. L’Onisep ouvrira aussi début 2013 une déclinaison spéciale pour décrocheurs de son moteur de recherche géolocalisé. « Masecondechanceenligne.fr » fait le pari d’amener les décrocheurs vers les conseillers des plateformes. « La médiation humaine reste indispensable » nous a confié Pascal Charvet, directeur de l’Onisep. Le site sera mis en ligne sur Facebook et lancé sur les réseaux sociaux. Il permettre de localiser facilement l’offre de formation accessible aux décrocheurs, en prenant en compte la grande variété de leur profil.
Et les autres acteurs ?
Invités à participer au séminaire, les autres acteurs de la lutte contre le décrochage ont peu été mis en valeur. Martine May-Godard et Jacques Bonnisseau, de la région Ile-de-France, ont pu rapidement présenter le programme régional alors que l’Ile-de-FRance a fait de la lutte contre le décrochage sa priorité. Le programme de Rhône Alpes, imaginé par P Meirieu, a été traité plus rapidement encore. Quant aux écoles de la seconde chance , elles n’ont pas été évoquées .
Que sont devenues les promesses de François Hollande ?
« C’est un gâchis formidable sur le plan financier et humain. On met des moyens pour que les élèves puissent être qualifiés et 150 000 jeunes quittent le système scolaire sans qualification ! » En janvier 2012, à Pierrefitte (93), François Hollande visite les locaux de l’AFPAD, une association locale pilote contre le décrochage. A sa sortie, il affirme « J’ai pris l’engagement qu’aucun jeune de 16 à 18 ans ne se trouvera sans solution… Ce que vous faites ici en Seine-Saint-Denis devra être généralisé. » François Hollande promet que tout jeune sera accueilli dans « une formation qualifiante, par apprentissage ou professionnelle, ou mis dans un dispositif y compris avec le service civique ». Il veut aussi « intégrer le travail personnel dans les établissements ». « Que l’accompagnement soit sur le lieu même de la transmission du savoir. Pour que les enfants des familles les plus pauvres soient suivies davantage que les autres ». Le grand souffle présidentiel anime encore la refondation de l’Ecole. Mais le 4 décembre, il gonflait juste les pantoufles de Luc Chatel.
François Jarraud
La visite de Hollande à Pierrefitte