« Les enseignants sont hors de ce monde. 80% ignorent ces questions. Les contrats tripartites vont leur permettre de comprendre qu’on est dans de nouvelles réalités qui impactent leurs pratiques ». Ces propos de Philippe Tournier illustrent le colloque tenu par Education et territoires à Paris le 27 novembre. Cadres de l’Etat et des collectivités locales ont cherché à faire le point des défis et des objectifs de l’Acte III de la décentralisation. En conclusion une certitude : c’est bien une nouvelle époque qui commence pour l’Education nationale. Comment on ne vous a pas prévenu ?…
Cabinet de conseil en politique éducative, Education et territoires a réussi son pari de réunir de nombreux représentants des collectivités territoriales et de les avoir fait échanger entre eux et avec ceux de l’Etat. Car la grande affaire de ce colloque c’est l’échange de réflexions et d’expériences au moment où s’ouvre une nouvelle étape de la décentralisation avec l’Acte III qui devrait être présenté au Parlement au printemps. Bernard Toulemonde, ancien recteur, fait état d’un rapport non publié sur la décentralisation. Il montre une pénétration des EPLE par les collectivités territoriales et des pressions vers un copilotage des établissements. Il y a aussi « régionalisation » dans el sens où c’est cette collectivité qui s’impose. L’Acte III devrait offrir aux régions des compétences stratégiques nouvelles comme l’orientation, l’enseignement professionnel, la lutte contre le décrochage.
Ouvrir le système
« On est en train de retisser les liens d’un partenariat durable » estime Edouard Leroy, conseiller du ministre de l’éducation nationale. Ainsi la place des collectivités dans les conseils d’administration des EPLE devrait être revue à la hausse. Mais elles veulent plus. « Les collectivités n’ont pas à mettre des moyens en face des besoins sans avoir un mot à dire face aux besoins », déclare Marie Richard, conseillère générale du 77. Responsable Education de l’association des régions de France, François Bonneau juge la nouvelle étape très positive. « On se bat pour que le transfert de l’orientation aux régions soit dans la loi d’orientation », annonce-t-il. Avec l’augmentation du poids régional au CA, l’acte III « permet à l’établissement de se mettre en devenir, de réfléchir à la finalité des savoirs » qui sont bien de former les jeunes pour accéder à l’emploi. La nouvelle contractualisation tripartite, Etat, région, établissement, doit amener les établissements à affirmer leur projet. « Il faut ouvrir le système éducatif », lance F Bonneau. Faut-il aller jusqu’à faire dépendre le gestionnaire des EPLE de l’autorité régionale ? Certains dans la salle le souhaitent. F. Bonneau pense que ce serait faire éclater l’équipe de direction. Faut-il imposer des présidents de CA différents des chefs d’établissement ? Beaucoup dans la salle estiment que ça faciliterait l’ouverture des établissements sur leur environnement. Les TICE semblent une bonne voie pour faciliter cette ouverture aux pouvoirs régionaux.
Le numérique éducatif enfin clarifié ?
C’est que depuis des années , les collectivités locales, régions en tête, ont énormément investi pour introduire les TICE dans les établissements, sans grands progrès dans les usages. On attend de la nouvelle décentralisation qu’elle trouve une solution au vieux problème de la maintenance, aujourd’hui attribuée ni à l’Etat ni aux régions. Eric Mazo rappelle qu’en région PACA cela représente un emploi pour 3 lycées, 60 au total pour la région. Un chiffre à faire réfléchir la région Ile-de-France et ses 470 lycées. Pour Sandrine Dangreville, chargée des TICE au conseil régional Ile-de-France, la gestion des TICE dans les EPLE demande d’abord d’établir une relation de confiance avec les enseignants. La pédagogie, la formation des enseignants doivent rester des compétences étatiques. Jean-Pierre Quignaux, chargé des usages numériques à l’Assemblée des départements de France souligne le « basculement sociétal » qui s’est produit dans la société sans l’Ecole. Celle-ci fait preuve « d’inadaptabilité » dans uen société qui s’est largement ouverte au numérique. Il pose aussi la question de l’évaluation des usages issus des investissements des collectivités territoriales. Représentant le ministre, Gilles Braun, conseiller TICE de V Peillon, ne dit pas grand chose des choix ministériels qui devraient être connus le 13 décembre. Mais il présente une vision du déploiement des TICE qui privilégie leur centralisation. Ainsi la floraison des ENT impose maintenant des normes de compatibilité. L »intégration des TICE doit amener à « définir une vision commune sur ce qu’il convient d’acheter ». L’accès au très haut débit doit se faire aussi dans un souci d’égalité qui ramène l’Etat en position d’arbitre. Si les TICE ont été une porte d’entrée des collectivités locales dans les EPLE, l’Etat semble vouloir en garder le pilotage…
Quel contenu pour les nouveaux contrats ?
Puisque l’Acte III envisage la signature de contrats tripartites entre l’EPLE, l’Etat et la région quel doit en être le contenu ? Qui doit le signer ? Une dernière table ronde partage les expériences de la rectrice Florence Robine avec celles de Jean-Charles Ringard, DG délégué des Pays de la LOire, Cécile Bourderionnet, directrice des collèges de la Creuse, Philippe Tournier, secrétaire général du SNPDEN et Marie-Dolorès Cornillon, gestionnaire d’un EPLE. Dans l’académie d’Amiens, F Robine a mis en place des contrats d(‘objectifs qu’elle détaille. Le contrat repose sur un diagnostic, est suivi à travers des indicateurs et permet au chef d’établissement de concevoir sa stratégie. Il doit engager la communauté éducative. Le contrat tripartite doit permettre de dépasser les conflits de territoire.
Faut-il mettre des objectifs de résultats dans ces nouveaux contrats ? Pour JC Ringard, ils ont l’avantage de concentrer le rectorat sur le pédagogique. Ils font apparaitre les régions non comme des surintendants mais comme une structure qui apporte une vraie contribution. Il n’est pas possible de faire ces contrats sans qu’ils contiennent des objectifs ambitieux comme la démocratisation. Doivent-ils flécher de smoyens ? C Bourderionet craint que les collectivités soient prises en otage de politiques d’établissement. Mais JC Ringard estime que le fléchage de moyens est indispensable. P Tournier y voit une condition d’un vrai contrat. « La convention à trois obligera les trois à respecter leur signature ce qui n’est pas le cas pour les contrats d’objectifs actuels.
Et les enseignants ?
« On aura du mal à faire admettre aux enseignants que la région signe en bas d’une document qui fixe des objectifs pour l’établissement », prévient F Robine. » Les enseignants sont hors de ce monde. 80% ignorent ces questions », rappelle P Tournier. Les nouveaux contrats tripartites s’avèrent être des supports d’une modernisation de l’Ecole. Encore fait-il que les enseignants, à qui on demande de les porter, en saisissent les enjeux. Rien que pour cette prise de conscience le colloque organisé par Education et territoires se justifiait.
François Jarraud