Comment faire entrer les projets éducatifs locaux (PEL) dans la réalité ? Dotés de 250 millions par François Hollande, les PEL devraient monter en puissance dans le cadre de la réforme des rythmes. Reste à savoir qui les pilotera. Les municipalités plaident pour leur savoir faire et l’historicité de leur rôle. Le Snuipp demandent que les conseils d’école soient consultés. Certains craignent de voir les EPLE piloter les PEL. Yves Goepfert, IA IPR, qui suit cette question depuis des année s, plaide pour une nouvelle structure.
Le fonds d’amorçage de 250 millions d’euros dégagé par le ministre de l’éducation nationale pour appuyer sa politique de réforme des « rythmes scolaires » (1) est une occasion sans précédent qu’il ne faut absolument pas manquer pour promouvoir une démarche nouvelle en matière de gouvernance éducative. J’ai bien dit éducative et non pas simplement scolaire.
Avoir obtenu que les projets éducatifs locaux (PEL) soient inscrits dans la loi d’orientation est un premier pas très important. Ce n’est toutefois pas suffisant car l’ambition que portent les PEL (dits de nouvelle génération parce qu’il ne s’agit pas de dupliquer ce qui a été fait jusqu’ici et n’a pas significativement changé la donne en termes de continuité et cohérence éducative à l’échelle territoriale) n’est pas clairement perçue de tous. Loin s’en faut. Les PEL sont malheureusement souvent assimilés, soit à des projets d’école ou d’établissement intégrant une dimension partenariale plus ambitieuse que d’ordinaire, soit à des contrats éducatifs locaux (CEL) intégrant une dimension scolaire plus affirmée que la simple mise en cohérence entre temps scolaire et temps péri-éducatif que promouvait ce dispositif précurseur dans le prolongement des dispositifs d’aménagement des temps de vie de l’enfant qui se sont succédés depuis 25 ans. (2)
Nous sommes un certain nombre à porter depuis l’appel de Bobigny, la volonté d’installer dans le paysage législatif (condition absolument nécessaire même si elle n’est pas suffisante) une modalité de gouvernance qui accorde une place et reconnaisse une responsabilité à tous les partenaires concernés dans le processus de définition et dans la mise en œuvre de l’action éducative commune à l’échelle d’un territoire.
De ce point de vue, certains termes ont leur importance. Je pense notamment que ceux d’éducation partagée et de coproduction éducative sont plus pertinents dans le contexte actuel que les termes de co-éducation et de partenariat. Car il s’agit bien d’instituer un cadre permettant de définir ce qui relève du domaine de l’éducation partagée (3), d’organiser et de mettre en œuvre la coproduction éducative. Ce qui ne correspond ni à l’extension du champ d’action (et/ou de compétence) de tel ou tel (école, municipalité, associations,…), ni à la simple addition des interventions (et/ou compétences) de chacun. On est dans la logique systémique du 1+1 = 3 qui doit permettre de faire émerger de nouvelles marges de manœuvre (y compris dans la mobilisation des moyens humains et financiers), de nouvelles potentialités et de nouvelles réponses, le plus souvent innovantes.
Le PEL tel que nous l’entendons, n’est pas un dispositif de plus mais un cadre fédérateur incontournable pour définir et mettre en œuvre sur des valeurs partagées, une politique éducative à l’échelle territoriale qui mobilise l’ensemble des acteurs concernés et prend en compte en les articulant entre elles, les différentes dimensions qui concourent au développement du jeune (scolarité, santé, culture, éducatif, social,…).
Le PEL tel que nous l’entendons, privilégie les logiques de développement éducatif et de réussite éducative par rapport à celles de compensation et de réparation qui ont prévalu jusqu’ici. Il couvre la totalité du spectre des âges jusqu’à l’entrée dans la vie adulte et s’adresse à l’ensemble des jeunes quels que soient leur situation sociale et le territoire urbain, périurbain ou rural où ils vivent. Ce qui n’interdit pas de cibler et prioriser certaines interventions.
A une logique de dispositifs qui est dépassée et contreproductive (4), le PEL substitue une logique de parcours éducatif (5) qui permet de traiter correctement et dans la durée la double question de la continuité et de la cohérence éducatives à l’échelle territoriale.
Organisant la coopération des partenaires, le PEL permet d’unifier le pilotage de l’action éducative à l’échelle territoriale, condition indispensable à la continuité et à la cohérence de l’action éducative à cette échelle. A la condition enfin de lui donner une assise juridique adaptée (6) , il peut constituer le cadre unique de contractualisation, de mobilisation, de gestion (optimisée et sécurisée) des crédits publics. Ce faisant, on donne aux acteurs locaux les marges d’autonomie ainsi que les outils juridiques et comptables que requiert cette autonomie, tout en organisant la responsabilité collective du projet, de sa mise en œuvre et de ses effets.
Pour avancer sur cette voie d’avenir, il faut absolument proposer et obtenir que l’attribution de moyens au titre du fonds d’amorçage intègre un engagement à mettre en œuvre sur un échéancier à déterminer de l’ordre de 1 à 3 ans, un projet éducatif local de nouvelle génération. Les crédits du fonds pourraient être fléchée sur des fonctions (coordination ?) et des actions emblématiques (aménagement des temps de l’enfant ?). Il faudra alors avancer vers la création d’une entité juridique ad hoc (EPLCE ? GIP Educatif ? Caisse des Ecoles modernisée ?) (7) qui permettra notamment d’optimiser la gestion des crédits du fonds d’amorçage alloués aux PEL.
Je suis convaincu que le PEL, tel que nous le portons, est la voie d’avenir pour dépasser les difficultés et les contradictions actuelles pour mettre en œuvre avec l’ambition nécessaire, une Refondation de l’action éducative où l’Ecole a toute sa place (mais n’est pas hégémonique) aux côtés des autres acteurs de l’éducation (collectivités territoriales, autres services publics, associations, acteurs économiques…).
Yves Goepfert
IA IPR chargé de mission
Notes
1 Rappel utile fait par Claire Leconte: Il faut arrêter de parler des « rythmes scolaires » car c’est une solution de facilité, qui fausse le débat. Le conseil économique et social a utilisé ce terme pour la première fois en 1979 pour exprimer, à la suite d’Alain Reinberg (Cf. Les rythmes biologiques), l’idée que l’emploi du temps scolaire ne respectait pas les besoins reconnus des enfants. Mais ce terme n’existe pas dans les textes officiels et dans les publications scientifiques. Continuer à l’utiliser revient à se focaliser sur le temps passé en classe. Refondons notre vocabulaire : parlons de l’aménagement des temps de vie de l’enfant ! Il faut aborder ce dossier en imaginant des projets éducatifs intégrant (sans les cloisonner) les temps scolaire, périscolaire et extrascolaire.
2 Circulaire Chevènement-Calmat en 1984, contrats bleus en 1987, circulaire Jospin-Banbuc relative à l’aménagement des rythmes de vie de l’enfant (ARVE) en 1988, contrat d’aménagement du temps de l’enfant (CATE) en 1989, aménagement des rythmes de vie de l’enfant et du jeune (ARVEJ) en 1991, contrat d’aménagement des rythmes de vie de l’enfant et du jeune (CARVEJ) en 1995, contrat éducatif local (CEL) en 1998, circulaire interministérielle du 3 décembre 1999 relative à la « préparation et au suivi du volet éducation des contrats de ville ».
3 Définir ce qui relève du domaine partagé en matière d’action éducative est une nécessité absolue dans le contexte actuel où les chevauchements mal maîtrisés sont nombreux. Cela permettra de préciser utilement, ce qui relève des missions spécifiques (dont certaines ne peuvent être déléguées) de chaque partenaire et de lever ainsi de nombreuses ambiguïtés sources de tensions.
4 L’entrée par les dispositifs a montré ses limites, notamment parce qu’elle alimente des logiques de guichet qui concourent à la segmentation de l’action publique à l’échelle territoriale avec des écarts importants d’un territoire à l’autre.
5 Sans opposer toutefois l’individualisation du regard porté sur le parcours du jeune et la nature individuelle ou collective des modes d’intervention.
6 En s’appuyant sur l’expérimentation des structures juridiques dans le cadre du Programme de réussite Educative (loi n°2005-32 du 18 janvier 2005 de pour la cohésion sociale), la création d’établissement publics locaux de coproduction (ou coopération) éducative (EPLCE) est une piste à approfondir. Un projet de texte avait été préparé et pourrait servir de base de discussion.
7 Les conseils d’école, les conseils d’administration des EPLE, les CESC et les CCAS qui ne réunissent pas en leur sein une représentation équilibrée des différents acteurs de l’action éducative ne semblent pas adaptés.