A l’occasion de la Journée Mondiale de la philosophie à l’Unesco, l’association Philolab organisait pour la douzième année consécutive, les 14 et 15 novembre 2012, les Rencontres internationales des Nouvelles Pratiques Philosophiques. Non que les NPP soient encore si nouvelles : philo pour enfants, ateliers philo, cafés-philo, philo en prison ou en centres de soin, au cinéma ou sur le lieu de travail, ont naturellement trouvés leur place, au cours de ces 20 dernières années, dans les interrogations de notre temps. Mais leur évolution est permanente et ces Rencontres annuelles sont l’occasion de rassembler praticiens et pratiques d’inspiration parfois très diverses autour de conférences et d’ateliers qui permettent de faire le point sur l’état actuel des avancées.
Des chantiers aux quatre coins de la réalité sociale.
Les pôles de recherche de l’association Philolab, école, formation, soin, travail, Cité et Art, permettaient d’aborder des questions de didactique, de pédagogie, de psychologie et psychanalyse ou encore de vie professionnelle et sociale, selon un copieux programme dont les séances parallèles ne permettaient à chaque auditeur de suivre qu’une partie. Le programme des chantiers PhiloEcole et PhiloFormation n’étaient pas sans rapport avec le projet d’enseignement de la morale laïque voulu par le Ministère : de toute évidence, l’expertise développée au fil du temps par les spécialistes de la DVP (discussion à visée philosophique), sous l’autorité scientifique de Michel Tozzi, de l’Université Montpellier III, semble pouvoir y trouver une application institutionnelle attendue.
Philosophies « multi modales », sous toutes formes et tous états.
Le chantier PhiloFormation, dirigé par Véronique Delille et Nathalie Frieden, autour de la DVP , accueillait divers intervenants canadiens et français, au sujet de l’observation et de l’analyse de pratiques, de la pensée critique, de la logique interlocutoire, ou encore de l’éthique et culture religieuse au Québec ou des liens entre DVP et pratiques extra-scolaire. Le chantier PhiloEcole recevait le groupe de recherches PILEAS (Philosophie, Littérature, Ecole, adaptation scolaire) de l’Université de Nantes, autour d’Edwige Chirouter, coordonnatrice des Rencontres ; Jean-Charles Pettier, venu présenter le dessin animé Miss Question (France 5), Isabelle Duflocq pour sa Balade Philo et la directrice de la collection Apprentis Philosophes (De Broeck), pour l’ouvrage « Réfléchir sur les émotions » étaient également conviés. Philosoin se penchait sur le soin de la philosophie et la philosophie comme soin (analyse biographique, paradoxes de l’empathie, troubles dyslexiques et troubles du comportement chez l’enfant) tandis que Philocité se penchait sur le travail et la sociologie (théâtre, Université Populaire, café philo, questions de droit ou d’organisation du travail).
Un très vaste domaine, irrigué par la réflexion critique et l’interrogation sur le sens et l’humanité des enjeux, qui offrait un panel complet des modalités non académique de la vie philosophique.
Entretien : « Prendre l’élève dans sa dimension de sujet ».
Edwige Chirouter, coordonnatrice des Rencontres, Maître de Conférences à l’Université de Nantes, se félicite du succès de la 12ème édition. Elle espère que l’enseignement de la morale laïque offrira aux NPP un nouvel élan et une nouvelle légitimité institutionnelle, par la reconnaissance des compétences construites depuis plus de 20 ans en matière de pratique de la philosophie avec les enfants.
Quel public recevez-vous aux rencontres NPP 2012 ?
Edwige Chirouter : Nous avons reçu 600 inscriptions, de 18 nationalités différentes. C’est davantage encore que l’année dernière. On a tous les publics : beaucoup de professeurs des écoles, des professeurs du secondaire, pas seulement de philosophie mais aussi de lettres, qui s’intéressent au débat littéraire et philosophique, des gens qui viennent du monde du soin, avec le chantier Philosoin, des gens qui viennent du monde du travail, avec le chantier Philotravail… Ce sont vraiment toutes les nouvelles pratiques philosophiques qui se développent dans l’école et dans la Cité, qui sont représentées.
L’intérêt actuel du public et de l’édition pour le Care a-t-il un impact sur les NPP ?
Edwige Chirouter : Notre chantier Philosoin travaille particulièrement sur la philosophie au sens de médecine de l’âme, sur le modèle des sagesses antiques. Mais ces questions concernent aussi tous nos autres chantiers : Philoécole travaille beaucoup sur l’estime de soi avec les élèves ; dans Philotravail s’interroge sur la façon dont la philosophie peut être une aide psychologique. Le lien est très fort avec les questions du soin.
Les pratiques évoquées dans Philoécole ont une forte connotation psychologique…
Edwige Chirouter : Dans ces pratiques, on regarde l’enfant comme un sujet, pas seulement comme un élève. Le regard est particulier, et forcément bienveillant. Jacques Lévine, qui a été un des grands initiateurs de la pratique de la philosophie avec les enfants, était psychanalyste et il a beaucoup insisté sur l’importance de prendre l’élève dans sa dimension de sujet. Je travaille dans un tout autre courant, sur la didactique de la discipline, mais là aussi, le souci de prendre en compte l’enfant qui est derrière l’élève, la bienveillance et la prise en compte toutes les valeurs qui sous-tendent les pratiques philosophiques, ont un rôle essentiel.
La dimension pédagogique prime-t-elle sur l’exigence de conceptualisation ?
Edwige Chirouter : Les deux sont liées, on ne pense pas l’une sans l’autre – d’autant que nous sommes professeurs de philosophie (j’ai enseigné au lycée, maintenant à l’Université), nous travaillons dans l’intérêt de notre discipline. Mais pour ma part, que j’intervienne en maternelle, au lycée ou à l’Université, je fais le même métier. C’est juste une façon de penser l’exercice de la philosophie : en n’oubliant pas que ce n’est pas qu’un exercice intellectuel, formel et dévitalisé, en lui donnant la vitalité qu’on trouve dans les modèles antiques tels que les évoque Pierre Hadot. La conceptualisation ne peut pas se faire sans les affects, sans le corps et sans les émotions du sujet qui pense.
L’enseignement de la morale laïque tout au long de la scolarité vous ouvre-t-elle des voies ?
Edwige Chirouter : En effet ! Laurence Loeffel, qui est professeur à Lille 3, et chargée par Vincent Peillon du rapport sur ce thème, était avec nous aujourd’hui. Michel Tozzi va être auditionné par la commission. On peut espérer que les recherches sur la DVP (discussion à visée philosophique) pourraient enfin trouver une légitimité institutionnelle. Je travaille sur la littérature de jeunesse et la philosophie avec les enfants : les mythes, les contes, les fables sont un support pour penser le Bien et le Mal. On espère bien que ce sera une orientation retenue par le Ministère, et que le mot de philosophie sera introduit en tant que tel, qu’il sera enfin désacralisé dans l’institution. Beaucoup d’enseignants font déjà des ateliers de philosophie, et les Inspections y sont parfois hostiles – mais les choses évoluent : par exemple, Gallimard a une collection pour enfants dirigée par Myriam Revault d’Allonnes, ancienne présidente du jury de l’Agrégation. Des universitaires écrivent pour les enfants. L’hostilité et les préjugés qui prévalaient contre ces pratiques il y a une quinzaine d’années, ont diminué grâce à tout le travail impulsé notamment par Michel Tozzi et soutenu par l’UNESCO. Cela nous a permis de gagner en légitimité, même auprès de l’institution. On espère, avec la morale laïque, gagner plus encore.
Ne craignez-vous pas que la reconnaissance institutionnelle fige ce chantier vivant qu’est Philolab ?
Edwige Chirouter C’est toujours le problème de l’institutionnalisation. Mais nous espérons aussi transmettre ce courant de recherches à travers la formation des enseignants. Nous voudrions qu’à travers la morale laïque s’instaure non pas une discipline nouvelle mais une occasion de philosopher – ce qui suppose qu’on intègre dans la formation de tous les enseignants le souci d’une approche philosophique des questions.
Propos recueillis par JC Fumet