Il y a six ans, Coraline Soulier, professeure de lettres classiques, a rencontré le mouvement OuLiPo, « Ouvroir de la Littérature Potentielle », mouvement littéraire qui est né autour de Queneau, Pérec, Calvino, Roubaud … et qui cherche à explorer toutes les structures formelles favorisant la création. Cette rencontre a changé sa vie : elle est maintenant présidente de « Zazie Mode d’Emploi », association oulipophile lilloise, créée par Robert Rapilly et a commencé des recherches sur « l’influence des ateliers d’écriture et des lectures publiques sur l’écriture des oulipiens. » A la lumière de ces pratiques et réflexions savantes, elle témoigne des potentialités de la contrainte comme extraordinaire stimulus d’écriture, pédagogiquement transférables aujourd’hui jusque sur Twitter. A la lumière de ses expériences d’enseignante, elle nous rappelle d’ailleurs que paradoxalement l’atelier d’écriture forme moins des écrivains que des lecteurs. En ce sens aussi, il a toute sa place dans les cours de français, pour peu qu’on envisage ceux-ci comme un lieu d’apprentissages vivants, comme un auditorium où développer sa capacité d’écoute, comme une école de la créativité et de la bienveillance
Comment vous êtes-vous formée aux ateliers d’écriture ? Qu’est-ce qui vous y a amenée ?
Ce qui me semble marquant, c’est que l’atelier d’écriture a avant tout été pour moi une découverte personnelle. Je n’écris pas. Je suis une professeure de français lectrice, pas écrivaine. Je n’ai pas eu de journal intime, je n’ai pas écrit de poésie, je n’ai aucune pratique d’écriture régulière (bien que les choses changent doucement). La découverte de l’atelier d’écriture a été pour moi une découverte de l’écriture autre que scolaire, un vrai questionnement sur la créativité latente de chacun et sur la légitimité du professeur à parler d’écriture.
Mon intérêt pour les ateliers d’écriture remonte finalement à mon début de travail comme prof. Très rapidement, donnant des sujets de rédaction aux élèves, je me suis dit que je devais à chaque fois m’y atteler aussi. C’était déjà se mettre dans une démarche d’atelier, au travail avec les élèves, même si ce n’était pas en synchronie toujours. C’est quelque chose que je peux dire maintenant, rétrospectivement.
Puis j’ai suivi une formation dans l’académie de Lille, une formation originale organisée par Geneviève Sion, qui réunissait des gens de formation initiale et continue : des professeurs des écoles, de collège, de lycée, des formateurs de GRETA. L’objet de la formation était l’illettrisme. Et pour nous faire travailler notre rapport à l’écrit, la formation commençait par un atelier d’écriture. Une journée d’atelier d’écriture dans notre petit groupe de 10 ou 12 professeurs. Des ateliers conçus spécialement pour nous faire comprendre notre rapport à l’écrit, à nous spécialistes de l’écriture en théorie. Des ateliers qui nous forçaient à nous impliquer : acronymes sur nos prénoms, dons de mots d’un participant à l’autre (mots choisis dans les acronymes et sélectionnés pour leur adéquation apparente avec la personne qui les prononçait), logorallye avec ces mots données. Nous nous sommes sentis incertains, nos voix baissaient au moment de lire nos textes, s’éteignaient à la fin de nos phrases, nous précédions de « heu, je ne pense pas que c’était ce qui était demandé », chacune de nos lectures. Et nous osions demander aux élèves de se lancer, de nous rendre régulièrement leurs écrits, de les offrir à notre regard censeur ! Aïe.
Cette première expérience a déjà clairement modifié certaines de mes pratiques et renforcé ce qui caractérise mon rapport aux copies d’élèves : la curiosité. C’est l’attitude qui me semble la plus à même de contrer l’attitude de jugement qu’entraîne la note, ou même quelquefois toute évaluation.
Je ne sais plus exactement la chronologie de mes découvertes. Je pense avoir beaucoup utilisé aussi La petite fabrique de littérature mais je ne sais plus si je l’ai fait sous forme d’atelier en classe ou sous forme d’exercice.
Le dernier élément déclencheur a été la rencontre avec les oulipiens. Robert Rapilly m’a proposé, en 2004, de faire venir Jacques Jouet et Ian Monk au lycée Pasteur de Lille où j’enseigne. Et j’ai vu des écrivains discuter avec les élèves, raconter leur métier et inviter les lycéens à essayer, à se lancer. J’ai vu aussi leur curiosité aiguisée, leur écoute, leur attention aux textes écrits et lus. J’ai vu des élèves oser. J’ai vu des textes créés, certes sous la contrainte (littéraire et scolaire, ils devaient être là, public captif), mais créés pour la lecture, pour le jeu, sans enjeu de note, sans enjeu d’évaluation. Car le retour dans un atelier oulipien consiste à dire, et cela sans jugement : tu as respecté la contrainte, tu as dévié par rapport à la contrainte. La contrainte est un stimulus d’écriture, elle n’est pas un outil d’évaluation mais de conscientisation pour pouvoir dire : voici ce que j’ai fait.
J’ai ensuite suivi les stages de l’Oulipo à Bourges une semaine chaque année, dans un bain d’écriture et de conversations vivifiantes, pour expérimenter contraintes traditionnelles et nouvelles idées des oulipiens. Parallèlement, à Lille, Zazie Mode d’Emploi avait été fondée sous l’impulsion de Robert Rapilly. Avec cette association oulipophile, nous avons fait venir régulièrement des auteurs de l’Oulipo dans des classes et des lieux culturels. Je me suis ainsi formée sur le tas, proposant aux élèves ce qui m’avait été proposé naguère. Puis j’ai commencé à animer des ateliers pour adultes, notamment lors du festival normand de Pirouésie. Cela se passe quelquefois en co-animation, Jacques Jouet vient avec toi, te laisse faire, te fait ensuite quelques remarques.
Il y a au début (en fait le sentiment n’a disparu que cette année) un fort sentiment d’imposture : qui suis-je pour animer un atelier d’écriture puisque je n’écris pas moi-même en dehors des ateliers ?
Je me suis engagée depuis l’an dernier dans un master 2 : « L’influence des ateliers d’écriture et des lectures publiques sur l’écriture des oulipiens ». Cela m’a permis, cela me permet (le travail est en cours) de prendre du recul par rapport à ma pratique, de théoriser certains points. Jacques Jouet, notamment, toujours lui, explique très bien que l’atelier d’écriture ne veut pas (si tant est qu’il veuille quelque chose) former des écrivains mais des lecteurs. Je ressens cet effet. Je suis, depuis que je pratique les ateliers d’écriture (et certainement aussi grâce à des formations universitaires tout à fait intéressantes lors de l’agrégation interne et du master 2), une lectrice décomplexée, une lectrice qui voit plus clairement ce qu’elle est en train de lire. Je sais aussi que je me sens plus légitime aussi pour animer des ateliers d’écriture si je m’y vois comme une passeuse de lecture.
Si j’ai bien compris, il y a plusieurs « courants », pourquoi celui de l’OuLiPo ?
Dans les ateliers oulipiens ou non que j’ai fréquentés, je n’ai pas l’impression d’avoir été confrontée à des courants différents : les points communs me semblent beaucoup plus forts que les différences.
C’est par l’Oulipo, par hasard, par rencontres, que j’ai découvert les ateliers d’écriture. Si j’ai poursuivi avec l’Oulipo c’est pour deux raisons majeures : l’amitié qui est née avec plusieurs membres du groupe et le bonheur d’avoir trouvé des gens qui partageaient ma conception de la littérature. Le plaisir de voir des écrivains « être intelligents avant d’être sérieux » (selon les mots de Paul Féval repris par François Le Lionnais dans l’entretien autour du Disparate).
J’ai aussi trouvé avec l’écriture sous contrainte une façon très rassurante d’écrire. Je suis, comme beaucoup, persuadée que je n’ai rien à dire de particulier. Pourquoi alors couvrir du papier ? Mais si l’on me lance un défi formel, je me lance. L’écriture devient un jeu de société, le plaisir aussi de construire quelque chose ensemble car il me semble que, même quand l’atelier suppose une écriture individuelle, la synchronie des écritures, le partage par la lecture finale crée une impression de communauté. La bienveillance qui prévaut fait que les gens qui ont participé à un même atelier partagent quelque chose.
L’Oulipo n’a rien de sectaire, il s’intéresse à toutes les potentialités de la littérature. C’est un groupe de travail réduit qui vise à créer des formes pour que d’autres s’en emparent. C’est devenu une espèce de marque galvaudée dans le discours ambiant mais leur travail est beaucoup plus subtil, divers et profond que ce que laisse apparaître la partie émergée de l’iceberg. Ce qui est marquant chez eux, c’est leur curiosité pour ce qui se fait, ce sont d’énormes lecteurs, de grands érudits. J’ai pu retrouver ce plaisir dans d’autres ateliers : Ludovic Degroote, un poète, est venu, par exemple, animer un atelier artistique pendant deux ans dans mon lycée. Il est venu avec des propositions très stimulantes, et une écoute et des retours très sensibles sur les textes des élèves.
Quelles sont les plus-values des ateliers d’écriture en classe ?
L’atelier d’écriture est devenu mon mode d’entrée privilégié dans l’écriture et dans la lecture, en classe. Cela prend longtemps avant de se départir des habitudes. Au début j’ai fait beaucoup de décroché, qui apportait déjà par le plaisir de faire, le plaisir des mots qui envahissait les élèves, le renversement de certains rapports de force aussi : l’élève scolaire est quelquefois déstabilisé par ce genre de travail, alors que le décrocheur peut tout d’un coup trouver ce à quoi se raccrocher. Et je l’associais souvent à la rencontre avec un auteur.
Maintenant, c’est inscrit dans mes séquences. Mes élèves de 1ère pourront présenter au bac un livret de leurs écrits de l’année. Nous avons lancé la séquence sur « La poésie dans la vie, la poésie dans la ville », en nous essayant à la Tentative d’épuisement d’un lieu, à la Perec. Comment dépasser l’impression qu’il n’y a rien à dire ? Comment faire attention aux détails, se rendre compte qu’en quinze minutes, on a déjà écrit une page ? Que chacun a écrit devant cette place calme des choses qui sonnent différemment ? On a continué avec une haïkaïsation de « Paysage » de Baudelaire, le texte de notre première lecture analytique : ils doivent du texte tirer un haïku en respectant la métrique, cela leur permet de s’emparer du texte. Cela me permet aussi de voir ce qui les frappe dans le poème. Ils posent aussi des questions sur le texte de manière beaucoup plus active. En seconde, on entre dans le récit avec Les exercices de style de Queneau. On réécrit ensuite des Nouvelles en trois lignes de Fénéon à la manière de Queneau (je sélectionne des contraintes qui font travailler le point de vue ou le vocabulaire, par exemple). Un concours d’écriture du rectorat de Lille permet d’en découvrir quelques exemples.
Auriez-vous des exemples d’ateliers d’écriture à nous raconter pour nous lancer ?
Difficile de choisir deux ou trois exemples, cela dépend beaucoup de ce qu’on veut faire.
Un exercice classique est la forme fixe de la morale élémentaire. Inventée par Queneau dans son dernier recueil, c’est une forme extrêmement concise, qui a été beaucoup reprise. Queneau cherchait une forme qui ait la puissance du sonnet. C’est une forme qui permet l’écriture mais aussi la réécriture de textes, le résumé de romans, le travail de la grammaire (car elle suppose de n’utiliser que noms et adjectifs dans toute une partie). Je viens de la pratiquer avec mes 2ndes et mes 1ères avec des objectifs assez différents. Avec les secondes, il s’agissait de résumer en morale élémentaire Pierre et Jean ou Une partie de campagne que nous sommes en train d’étudier. Avec les premières, d’explorer une forme fixe après avoir déjà écrit un haïku, et lu un sonnet.
L’écriture combinatoire est aussi très intéressante à développer avec les élèves. J’avais une année avec eux fait des quatrains combinatoires. Chaque élève écrit d’abord un quatrain résumant la vie d’un personnage (mythologique, en l’occurrence), quatrain en alexandrins qui doit respecter le schéma suivant
Quand X …,
il … .
Il …
car … .
Et grâce à un peu de langage programmé que m’a donné un ami, on a un petit module de combinatoire en bas de page !
Cette année, vous avez commencé à utiliser Twitter dans vos ateliers : avez-vous déjà remarqué un changement par rapport à un atelier classique ?
Grâce à Amélie Charcosset, amie prof de FLE, et Delphine Regnard, j’ai plongé depuis fin août dans Twitter. Comme pour l’atelier, la découverte a d’abord été personnelle : des gens à suivre, qui diffusent des outils et des liens passionnants.
J’ai lancé deux ateliers avec Twitter : le concours #TwtFestS et des tweets à démarreur #celuiqui. Les deux ont été lancés en classe. Les élèves sont stimulés par la publication immédiate de l’écrit. Par rapport à l’atelier habituel, il n’y a pas temps de lecture commun mais des réactions dans la salle au fur et à mesure. Je manque encore un peu de recul. C’était le tout début d’année, les élèves ne se saisissent pas des outils informatiques plus que d’autres outils. Et pour l’instant Twitter n’est pas devenu un atelier hors classe. Mis à part, peut-être, le cas d’une élève qui m’a fait suivre un tweet #LaFinDuMondeEstDansDeuxMoisET … qui était très drôle et constituait un petit atelier d’écriture à démarreur.
Quels conseils ou références bibliogaphiques donneriez-vous pour aider l’enseignant neophyte a se lancer ?
J’ai déjà cité La petite fabrique de littérature de Duchesnes et Leguay qui se sont eux-mêmes énormément inspirés de l’Oulipo. Il y a aussi Pratiques oulipiennes de Dominique Moncond’huy en Bibliothèque Gallimard qui est très bien fait et plus abordable que La littérature potentielle et L’atlas de littérature potentielle en folio. En m’appuyant sur ces deux documents, j’ai mis en ligne sur Weblettres une typologie des consignes d’écriture en donnant des exemples et en essayant de montrer ce que cela permettait. L’Anthologie de l’Oulipo (chez Gallimard poésie) et L’Oulipo mode d’emploi, très beau et clair film de présentation du groupe, qui était passé sur Arte et existe en DVD, sont de très bonnes introductions également. Dans l’Anthologie, vous avez les textes et vous pouvez aller chercher l’explication des contraintes sur le site de l’Oulipo. Sur le site de notre association Zazie Mode d’Emploi, il y a beaucoup de réécritures de textes également, avec une explication des contraintes. Nous lançons chaque année un atelier virtuel de réécriture d’un extrait sélectionné dans l’œuvre de l’oulipien de l’année.
Mais, pour se lancer, je conseillerais surtout d’aller soi-même à un atelier d’écriture ou d’aller voir un collègue en pratiquer un. Au-delà de la technique, je crois qu’il est important de sentir l’écoute et la bienveillance qui prévalent.
Delphine Regnard et Jean-Michel Le Baut
A suivre : Atelier d’édition critique à Sarcelles
Liens :
Le concours d’écriture du rectorat de Lille :
Typologie de consignes d’écriture sur Weblettres :