L’intérêt est-il nécessaire à la réussite scolaire ? Ce n’est pas sur, nous dit Julien Masson, enseignant et auteur d’une thèse sur le sujet (Paris Ouest Nanterre). » L’intérêt que porte l’élève pour les activités scolaires n’impacte que peu les résultats scolaires et qui plus est avec une amplitude négative. En d’autres termes, le fait de ressentir de l’intérêt pour un sujet n’implique pas forcément qu’on y réussisse, au contraire », nous dit-il. Pour autant, démotiver ses élèves n’est pas profitable non plus…
Une recherche menée auprès de plus de 450 élèves des départements du Rhône et de la Loire au cours de l’année 2010 relativise certaines idées préconçues sur la motivation des élèves d’école primaire.
Elle a consisté en la passation de questionnaires permettant d’appréhender trois concepts motivationnels :
– l’orientation des buts qui permet de voir quel but poursuivent les élèves lorsqu’ils sont confrontés à une tâche scolaire. Ils peuvent ainsi rechercher à prouver aux autres qu’ils sont capables, on parlera d’orientation vers la performance. Ils peuvent a contrario essayer de résoudre la tâche par simple plaisir d’apprendre de nouvelles choses et de développer leurs connaissances, il s’agit d’une orientation vers l’apprentissage. Enfin les élèves peuvent s’orienter vers l’évitement de l’activité.
– Le sentiment d’efficacité personnelle, qui correspond à la croyance que possède l’élève en ses capacités à résoudre une tâche à laquelle il est confronté
– L’intérêt
Ces trois composantes de la motivation on été mesurée pour les mathématiques, le français et pour l’école en générale. Ces données ont ensuite été mises en corrélation avec les résultats aux évaluations nationales de CM1.
Quand la compétition nuit à la performance….
Concernant l’orientation des buts des élèves, il ressort qu’à l’école primaire, cette fameuse compétition au sein de la classe, le fait de rechercher la performance à tout prix, de vouloir montrer aux autres que l’on sait mieux faire est délétère pour les résultats des élèves. Le climat de compétition instauré par l’enseignant (évaluation formelle, classement…) favorisant la comparaison avec les pairs possède un effet néfaste sur les résultats.
Si par contre l’élève poursuit plutôt un but d’apprentissage, opposé au précédent puisqu’il s’agit-là de s’orienter vers le plaisir d’effectuer une tâche pour elle-même et pour la satisfaction de progresser, on s’aperçoit alors qu’il n’existe pas d’impact avec les résultats scolaires. Si la poursuite de la performance oriente les résultats à la baisse, la « simple » envie de progresser ne semble, elle, n’avoir aucune influence sur la réussite aux évaluations scolaires.
Enfin, quid des élèves qui sont dans l’évitement de la compétition, qui ne cherchent pas avant tout à performer ? Nos résultats viennent appuyer les précédents, puisque le but d’évitement de la performance possède un impact positif sur presque l’ensemble des disciplines littéraires (lire, vocabulaire, orthographe). Dans une étude précédente portant sur des élèves de grande section de maternelle jusqu’au CE2 (Masson, Le Monde de l’éducation, 2006), nous avions constaté que même si ces derniers étaient souvent confrontés à l’échec, ils ne se résignaient pas durablement pour autant. Qu’ils soient en difficulté scolaire ou non, ils ressentaient la même motivation pour les tâches que l’enseignant leur demandait de réaliser. Seule différence, les élèves en difficulté scolaire abandonnaient plus rapidement en cas d’échec. Les élèves, même s’ils s’orientent vers l’évitement abordent la tâche de manière plus optimiste et même s’ils abandonnent rapidement et mettent au point des stratégies d’évitement, une part du travail est déjà effectué réduisant par la-même l’impact sur les résultats scolaires.
La compétition semble donc à proscrire à l’école primaire, puisque non seulement les élèves qui rentrent dans cette dynamique voient leurs résultats baisser, mais les élèves qui eux l’évitent voient a contrario un impact positifs sur ces mêmes résultats.
Math ou français ? Tout est question de confiance !
On constate que la confiance que possède l’élève en ses capacités en mathématiques impacte logiquement les résultats dans cette discipline. Mais, plus étonnant, la confiance en ses capacités en français, si elle impacte les résultats en français a également des effets bénéfiques sur les résultats en mathématiques. On peut supposer qu’à l’école primaire, la maîtrise de la langue est fondamentale pour les apprentissages.
Il s’avère donc qu’il vaut mieux avoir une haute croyance en ses capacités à réussir des tâches de français plutôt qu’en mathématiques pour réussir à l’école. En effet, en primaire, d’une part les disciplines sont nettement moins marquées qu’au collège ou au lycée mais en plus les élèves se situent en plein dans la période d’acquisition de la langue française. Certes ils savent tous s’exprimer et lire, mais les différences individuelles en terme de compréhension sont très importantes.
Ainsi dans une même classe de CM1 on peut trouver des lecteurs faibles parvenant tout juste à déchiffrer ce qu’ils lisent et des lecteurs confirmés qui accèdent instantanément au sens, possédant une lecture experte proche de celle des adultes. Face aux activités qu’on leur propose, il apparaît que cette maîtrise de la langue est primordiale et la croyance en leur capacité à maîtriser le français semble en grande partie sous tendre leur réussite. De manière empirique, on peut constater que dans un fonctionnement quotidien de classe, ce qui pose le plus de problème aux élèves est la lecture et la compréhension des consignes. Pour la plupart, si la consigne est expliquée à l’oral par l’enseignant, globalement, la tâche est plutôt bien réussie. A contrario, si l’on laisse les élèves lire et comprendre seuls, de manière autonome les consignes, on s’aperçoit que de nombreux élèves se retrouvent en difficulté et ce, quelle que soit la discipline de la tâche demandée. Les compétences en lecture revêtent donc un caractère transversal à l’école primaire permettant de résoudre les tâches aussi bien en français, qu’en mathématiques ou qu’en histoire – géographie. On imagine aisément la difficulté dans laquelle se trouve un élève qui ne maîtrise pas le français lorsqu’il lit un énoncé de mathématiques, ou lorsqu’on lui demande de faire le résumé d’un film sur le système solaire projeté lors de la séance précédente.
Ces résultats trouvent donc leur prolongement dans la pratique pédagogique des enseignants dans leur classe, puisque dès lors, on peut se demander si dans le cadre du DAP (Dispositif d’Aide Personnalisée) que les enseignants doivent mener avec les enfants en difficulté à raison de deux heures par semaine, ceux-ci ne devraient pas s’orienter principalement sur la maîtrise de la langue, y compris si les difficultés constatées se situent en mathématiques. Ne serait-il pas plus porteur pour les élèves ayant besoin de soutien de travailler la confiance qu’ils peuvent avoir en leurs capacités à maîtriser la langue française et la compréhension de lecture en particulier.
Pour réussir, l’intérêt à l’école n’a pas un grand…intérêt !
Étonnant ! L’intérêt que porte l’élève pour les activités scolaires n’impacte que peu les résultats scolaires et qui plus est avec une amplitude négative. En d’autres termes, le fait de ressentir de l’intérêt pour un sujet n’implique pas forcément qu’on y réussisse, au contraire.
On peut tout de même noter que les scores moyens aux différents items d’intérêt sont globalement élevés ce qui indique, et c’est plutôt rassurant, que les élèves d’école primaire ressentent de l’intérêt pour les activités que les enseignants leur proposent. Là encore, de manière empirique, au sein d’une classe, on constate généralement que les élèves sont plutôt partant pour les différentes activités quotidiennes et ce, quelles que soient les disciplines. On voit bien évidemment des différences et tout ce qui est nouveau et plus ludique emporte en général plus de suffrage que les exercices d’application assez. Cependant nos résultats indiquent que même si justement l’ensemble des élèves s’intéressent plutôt à ce qu’ils font à l’école, cela ne leur permet pas d’obtenir des meilleurs résultats, au contraire.
Ceci va plutôt à l’encontre de la pensée couramment répandue dans la communauté scolaire qui veut qu’un élève ne réussisse pas parce que ça ne l’intéresse pas. Si nous ne pouvons pas infirmer ceci, nous pouvons en revanche dire qu’un élève qui s’intéresse réussira plutôt moins bien. On peut dès lors se demander si tous les aménagements didactiques mis en place par les enseignants comme par les éditeurs de manuels afin de rendre les apprentissages plus intéressants pour les élèves sont réellement utiles si l’on veut que les élèves obtiennent de bons résultats. Il se pose là encore la question de l’évaluation.
Les évaluations mises en place par l’Éducation Nationale permettent-elles d’appréhender correctement ce qui se joue en classe ? Toute cette dimension plaisir qui permet aux élèves d’être bien en classe, de se construire et de construire des compétences, ressort-elle dans les résultats aux évaluations ? Ne se prive-t-on pas d’un certain nombre d’indicateur lorsque par exemple on évalue les compétences « utiliser avec aisance un dictionnaire » ou « résoudre des problèmes relevant des quatre opérations » ? On constate finalement que les élèves différencient plutôt bien les activités pour lesquelles ils peuvent ressentir du plaisir et les évaluations qu’on leur demande d’effectuer. Il semble qu’ils ne soient pas dupes, preuve finalement que l’évaluation comme elle est pensée actuellement ne constitue pas un élément à part entière du processus d’apprentissage mais bien une entité indépendante, peinant à se fondre dans le paysage scolaire. On peut en effet se demander quel serait l’impact de l’intérêt sur des activités plus ouvertes, moins formelles. Un élève passionné d’astronomie réussirait-il plus la construction d’une maquette du système solaire, un élève éprouvant un fort intérêt pour la préhistoire comme c’est généralement le cas à cet âge, n’excellerait-il pas mieux en arts plastiques lorsqu’il faudrait s’inspirer des fresques rupestres dans une activité de peinture ? Il n’est pas anodin d’ailleurs que ce soit là encore la discipline « français » pour laquelle on retrouve les résultats les plus nets. En effet, c’est bien l’intérêt en français qui grève l’ensemble des résultats. Si cela apparaît plutôt prévisible pour les résultats de mathématiques, c’est plus surprenant pour le français.
Cependant, on peut aussi se demander si un élève passionné de lecture ne ressentira pas un écart trop grand entre sa passion pour les livres et les activités de lecture et de français qu’on lui propose à l’école. Il n’est pas rare de voir des élèves friands de livres à la maison, soupirer et se mettre au travail difficilement lorsque l’enseignant veut formaliser sa lecture suivie par des fiches de questions de compréhension. Il y a fort à parier, et c’est le sens de nos résultats que l’élève pourtant amateur de lecture ne rende un travail qu’approximatif et minimal, l’intérêt que l’on peut avoir pour le français étant miné par les activités de formalisation dans cette discipline. Qui aurait envie, adulte, de répondre à un questionnaire de compréhension à la sortie de la plage après la lecture d’un roman policier dont on n’a pourtant pu se décrocher durant l’après midi ensoleillé ?
Ceci apparaît moins vrai pour les mathématiques, dont l’activité est d’une part plus rarement entreprise pour elle-même, et qui d’autre part est plus caractéristique de l’école. Il existe en effet peu de différence entre le fait de calculer un pourcentage dans la vie de tous les jours et lors d’une évaluation de mathématiques. L’activité mathématique est donc globalement toujours la même quel que soit le contexte dans lequel on la réalise. Si le fait de s’entraîner à chercher des mots dans le dictionnaire (activité courante au cycle 3) peut paraître très rébarbative aux élèves même s’ils ont plaisir par ailleurs à feuilleter le dictionnaire ou une encyclopédie chez eux, il n’en va pas de même pour les mathématiques. Les élèves intéressés par les mathématiques sont bien souvent les premiers à lever le doigt pour résoudre le problème au tableau, ou en demande d’opérations à résoudre lorsqu’ils ont terminé leur travail. Ainsi, si l’intérêt en mathématiques ne leur permet pas forcément de mieux performer, il ne grève cependant pas leurs résultats dans la discipline comme c’est le cas pour le français.
Avec les réserves que nous avons émises en ce qui concerne l’évaluation, il semble donc plus que nécessaire pour les enseignants de prendre conscience de la complexité mais de la puissance des dynamiques motivationnelles au sein des classes. S’il apparaît au travers ces résultats qu’il n’est pas possible pédagogiquement de « motiver les élèves », il semble en tout cas primordial de tout faire pour ne pas les démotiver. Connaître quelques concepts motivationnels et leurs implications apparaît comme une première étape pour y parvenir.
Julien Masson
Enseignant
Chercheur associé Laboratoire de Psychologie des acquisitions et des interactions en contexte – PACO – EA 4431. Université Paris Ouest Nanterre La Défense.
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