Le grand projet officiel lancé par Luc Chatel s’achève de façon piteuse. Plus qu’un accident c’est l’aboutissement d’une erreur pédagogique qui reste à redresser.
« Femme : c’est une maman, une mamie ou une jeune fille. Elle peut porter des bijoux, des jupes et des robes. Elle a de la poitrine ». Ces quelques lignes , mises en valeur à Port Leucate par Cendrine Marro (voir l’article de C Marro), ont fait le tour du web depuis la fin octobre. Le 6 novembre, le ministre de l’éducation nationale décide de « suspendre » le dictionnaire provisoirement et d’évaluer le dispositif.
Rappelons nous les programmes de 2008 et l’enseignement du vocabulaire à l’école primaire. Cette approche a alors le vent en poupe et est défendue avec passion par l’entourage de Robien, puis de Darcos et enfin de Chatel. Dès la maternelle, il faut apprendre aux enfants de façon organisée des listes de mots.
Des voix s’élèvent contre cette approche. Dans Le Café pédagogique, Jean-CLaude Denizot écrit » Le programmes 2008 demandent aux enseignants de mettre en œuvre un apprentissage organisé du vocabulaire ? On ne peut qu’être d’accord, à condition de penser que la langue est un système : les mots ne sont pas des éléments épars, et si on ne travaille pas en système, on perd l’essentiel de la langue. Le mot n’est pas un fantôme éthéré qui flotte dans le grand magma de la langue. »
Mais rue de Grenelle, on en reste aux listes de mots. Dans cette optique, le ministère lance, avec le CNDP, en 2010 « Le dictionnaire des écoliers ». L’expérience est présentée aux enseignants comme « une approche innovante ». « Le renforcement de l’enseignement du vocabulaire constitue un élément clé du plan de lutte contre l’illettrisme », écrit le site ministériel ouvert à l’occasion. Et le ministère se met en branle. Dans une belle osmose bureaucratique entre cette approche du français et l’Education nationale, les listes de mots sont découpées entre les circonscriptions et chacune doit fournir sa rançon de définitions. Les inspecteurs défilent sur TF1 pour vanter la pensée officielle. Au final deux dictionnaires sont réalisés et imprimés à grands frais et un site Internet prolonge ce projet « innovant ».
Aujourd’hui les définitions sont épluchées par la presse qui ressort des clichés sexistes mais aussi d’autres perles et d’autres stéréotypes. On se demande comment un système aussi hiérarchisé a pu laisser passer de telles bourdes. Il y a peut-être aussi la définition de « innovation » à revoir…
François Jarraud
Denizot : Enseigner le vocabulaire