Que sait-on des conflits entre parents et personnels de l’Education nationale ? Dans cette étude, Georges Fotinos fait le point en s’appuyant sur les dernières études. « Au regard de ces chiffres il est difficile de convenir que la relation parents / enseignants est totalement sereine » estime-t-il. En tête des occasions de conflit : la discipline, l’évaluation et l’orientation des élèves.
En 2008, nous avions réalisé une étude, parue dans un ouvrage collectif intitulé « Parents et profs d’école : de la défiance à l’alliance ». La conclusion mettait en évidence que le « malentendu » entre les parents et les enseignants dénoncé par François Dubet en 1980 était toujours présent, que cette défiance réciproque nourrissait l’échec scolaire mais aussi la violence tant des adultes que des élèves et qu’elle entraînait un délitement des liens sociaux. En conclusion, l’importance bénéfique du partenariat famille / école était mise en évidence et cinq points d’ancrage partenariaux et bénéficiant d’une expérimentation étaient présentés.
Au moment où le rapport de la Concertation sur la refondation de l’école de la République prend en compte la nécessité de « redynamiser le partenariat parents- école » par quatre propositions pertinentes et où se déroule à Paris à l’initiative de l’association Ecole et Famille et de la Région ile de France le colloque « Ecole – Famille – Cité : la valeur des liens.», il nous est apparu tout à fait opportun de mieux connaître l’état actuel de cette relation.
Pour ce faire, nous avons choisi 3 approches qui nous semblent significatives de l’état des lieux de ce partenariat : côté parents d’une part le thème source de conflits de l’orientation des élèves et d’autre part les griefs et plaintes déposés auprès du Médiateurs de l’Education Nationale ; côté enseignants et chefs d’établissement, les agressions des parents dont ils sont victimes et la fréquence des difficultés rencontrées avec les parents.
1 – L’ORIENTATION DES ELEVES
L’orientation étant souvent citée comme un des motifs importants du mécontentement si ce n’est de l’agressivité des parents vis-à-vis des enseignants il nous est apparu primordial d’approfondir ce point et de connaître plus précisément l’ampleur de ce phénomène.
D’abord un rappel : dans l’organisation de notre système éducatif, l’orientation « imposée » à un élève et à sa famille ne peut s’effectuer durant un cycle d’enseignement. En revanche, à la fin de la scolarité de la 6ème, 4ème, et 2de générale et technologique, la décision du chef d’établissement fait loi. Toutefois dans le souci d’offrir un dernier recours aux familles, a été instaurée la procédure de la commission d’appel. Cette dernière, départementale, qui réunit les représentants de la communauté éducative pour l’audition des élèves et des parents accorde ou non le changement d’orientation demandé par ces derniers.
En 2011, les taux d’appel nationaux et de satisfaction se présentent ainsi :
(sources : M.E.N et Académie de Grenoble ; CSAIO)
TAUX D’APPEL NATIONAL |
TAUX DE SATISFACTION |
0,57 |
30,69 |
NOMBRE D’APPELS |
NOMBRE D’APPELS SATISFAITS |
16100 |
4941 |
A noter que le taux d’appel varie de 0,2 pour les passages en fin de 5ème et de 3ème à 0,8 pour le passage en 2de et à 1,5 pour la fin de 2de générale et technologique. Quant au taux de satisfaction national, il s’échelonne de 60,6 % pour le passage en 5ème à 49,9 % pour le passage en 2de et 45,7 % pour le passage en 1ère.A noter ici que ce phénomène est relativement inégal selon les Académies .C’est ainsi que pour une Académie rurale et montagneuse le taux de satisfaction du passage en 5em est de 53% et que pour une Académie très urbaine le taux de passage en seconde est de 43%.
Pour aller plus loin, car « faire appel » est un processus administratif lourd et contraignant pour les parents et auquel souvent, ils renoncent (notamment dans les familles peu habituées aux codes de fonctionnement de notre école) les statistiques d’orientation nous permettent de comparer les demandes des élèves et de leur famille avec les décisions prises par l’administration avant la commission d’appel.
NIVEAU |
DEMANDES |
DECISIONS |
NOMBRE DE REFUS |
PASSAGE EN 2DE G et T |
61,9 % |
61 % |
9120 |
PASSAGE EN 2DE LP |
28,1 % |
29,4 % |
9880* |
PASSAGE EN 17RE G et T |
68 % |
61 % |
35000 |
TOTAL |
53900 |
* : nombre d’élèves « orientés d’office »
Trois constats ressortent de ce tableau :
– Le dispositif d’appel est utilisé par une minorité de familles « déçues » par la décision de l’administration. 7 parents sur 10 qui font appel sortent de ce processus insatisfaits
– L’écart entre les demandes d’affectation des élèves et de leurs familles et les refus administratifs pour le passage en 2de générale et technologie est très faible (moins de 1 %). Il est plus important pour le passage en 1ère générale et technologique (7 %)
– Cet écart est négatif pour les élèves affectés en lycée professionnel. Près de 10000 élèves sont scolarisés « d‘office ».
En conclusion, près de 60000 familles ont été concernées par une décision contraire à leur demande de poursuite de scolarité de leur enfant. Plus d’une sur quatre a fait appel pour un taux de succès de 30 %.
Au regard de près des 3 millions d’élèves scolarisés à ces niveaux « d’orientation », ce phénomène apparait marginal. Et pourtant son impact au niveau des acteurs et usagers du système éducatif est considérable. Ce processus est mobilisateur plusieurs fois par an de milliers de responsables éducation et associatif. Il développe surtout un sentiment de défiance et parfois d’agressivité de la part des parents et dans une moindre mesure des enseignants.
Pour remédier à cette situation l’expérimentation mise en place par la Délégation Interministérielle à la Famille en Seine St Denis(1998-2002)reposant sur une véritable « Education à l’Orientation » visant la concordance en fin de scolarité de Collège du choix de l’élève et de celui de ses parents avec celui de l’établissement offre une réflexion prospective riche de potentiels.
Problématique reprise et amplifiée dans le Rapport récent de la « Concertation »qui préconise d’une part « d’associer davantage les parents aux choix d’orientation et de prévoir systématiquement un dialogue et une médiation en cas de désaccord »et d’autre part d’expérimenter la possibilité de laisser aux parents le dernier mot en matière d’orientation en fin de seconde (voire en fin de 3eme) et sur le redoublement à tous les niveaux de la scolarité.
2 – LES DIFFERENDS DES PARENTS AVEC L’ECOLE
(Rapport 2011 du Médiateur de l’Education nationale)
Ce document présente notamment une enquête commandée par la Médiatrice et pilotée par la DEPP(Direction de l’Evaluation ,de la Prospective et de la Performance du M.E.N)particulièrement instructive sur la nature des griefs et plaintes des parents envers l’institution éducative.
17% des parents d’élèves disent avoir eu au moins un différend au cours des trois dernières années avec des personnels de l’éducation nationale sur les sujets suivants.
Problèmes relationnels et comportements fautifs (conflits, discipline….) : 40%
Déroulement de la scolarité(notation, orientation….) 51%
Affectations(inscription, fermeture de classe, d’établissement….) 4%
Questions financières (frais de scolarité, de cantine,….) 4%
Examens(inscription, équivalence….) 1%
En complément les réponses données à la question « Avec qui avez-vous eu ce différend nous apportent des précisions qui s’inscrivent dans le sens de cette étude :
– Enseignants : pour 56% des problèmes relationnels et comportements fautifs
– Chefs d’établissement : pour 20% ‘’ ‘’ ‘’
– Enseignants : pour 61% des problèmes de déroulement de la scolarité
– Chefs d’établissement : pour 33% ‘’ ‘’ ‘’
Quant à un chiffrage global de ce phénomène nous nous appuierons sur le nombre total de dossiers traités en 2011 par le Médiateur : 9329 ; 69% de ces « réclamations » proviennent des usagers (parents, élèves, étudiants) et 72% sont relatifs à l’enseignement scolaire ; cette approche permet d’évaluer à près de 4700 le nombre de familles concernées.
Ces chiffres nous confirment si besoin était que le « malentendu »est toujours présent et qu’au regard de la progression spectaculaire des dossiers traités par le Médiateur (près de100% en 10 ans) cette situation ne s’est pas améliorée.
Là aussi des solutions existent et ont prouvé leur efficacité (voir Annexe).A noter que les propositions du rapport de la « Concertation »relatives à l’évaluation des élèves, la suppression des redoublements, la « réelle participation des parents aux décisions et projets dans les différentes instances de représentation »devraient diminuer fortement ces « différends »si elles sont mises en œuvre…
Les conflits parents / enseignants et parents / chefs d’établissement
La question que nous nous sommes posé était de savoir si dans certaines circonstances ce fameux « malentendu »se transforme en affrontements et agressions et si oui dans quelles formes et quelles proportions.
Désormais et depuis peu nous pouvons approcher de façon plus objective ce phénomène qui pendant longtemps faute d’enquêtes statistiques précises se rapprochait plus d’une opinion se construisant à partir de faits divers et de rumeurs.
Trois documents forment la base du constat qui suit. Le bilan d’activité 2010/2011 de la Fédération Autonome de Solidarité (protection professionnelle juridique des personnels de l’E.N ; 500.000 adhérents).Deux études portant, la première sur le Climat des Lycées et Collèges et la Victimation des Personnels de Direction (2011),la seconde sur le Climat des Ecoles Primaires et la Victimation des enseignants et directeurs(2012) .
Bilan rapport F.A.S : (5052 dossiers)
EVENEMENTS |
RESPONSABLE LEGAL |
PROCHE FAMILLE |
Insultes / menaces |
63 % |
4 % |
Agression physique légère |
22 % |
2 % |
Diffamation |
69 % |
0 % |
Dégradation de biens |
1 % |
0¨% |
Harcèlement moral |
23 % |
0 % |
Préjudice informatique |
15 % |
2 % |
Ce tableau présente l’implication des tierces personnes dans les événements présentés dans ces dossiers .Il montre clairement les dysfonctionnements dans le trio, personnels de l’éducation/parents d’élèves et élèves. A noter la forte présence du responsable légal pour les insultes et menaces auteur à 63% de ce type d’agression(auquel il faut ajouter 4%(proche famille) ainsi que pour la diffamation 69% et dans une moindre mesure- mais dans certains cas avec des conséquences beaucoup plus graves pour l’enseignant et/ou le chef d’établissement- l’importance du harcèlement moral par ce type d’auteur 23%
Respect et agressions par les parents
(Sources : Enquête :Violence et Climat scolaire dans les établissements du second degré en France ;Eric Debarbieux et Georges Fotinos. Observatoire International de la Violence à l’école (2011)
Enquête :Climat de l’école primaire et victimation des enseignants et directeurs d’école.Eric Debarbieux et Georges Fotinos) ; Observatoire International de la Violence à l’école (2012).
Il faut préciser d’emblée d’une part que les données utilisées proviennent de deux enquêtes nationales importantes (11820 réponses des enseignants du 1er degré et 1542 de la part des chefs d’établissement) et d’autre part qu’elles reposent notamment dans sa partie victimation sur le ressenti des personnes.
Les questions pour cerner ce champ portent sur 2 registres : le sentiment d’être respecté par les parents et les agressions sur les personnels dont les parents sont les auteurs.
En 2011 le sentiment d’être respecté par les parents est important pour les chefs d’établissement (86%) avec toutefois une baisse de 6 points en 6 ans ; pour les directeurs d’école ce pourcentage est de 81% avec cette fois ci une hausse de 8 points sur la même durée. Bien que très positif cela signifie que près de 14% et 19% de ces responsables d’établissement ne sont pas dans une situation propice pour établir un rapport de confiance et construire un partenariat de coéducation avec les familles.
Quant aux différentes agressions contre les personnels et dont les parents sont les auteurs elles se situent principalement sur les registres insultes, menaces et harcèlement ; la violence physique est extrêmement rare(0,6 pour les chefs d’établissement,0,2 pour les directeurs d’école).
AGRESSION |
PERSONNELS DIRECTION |
ENSEIGNANTS 1E DEGRE |
DIRECTEURS D’ECOLE |
|||||||
TOTAL |
PAR PARENT |
TOTAL |
PAR PARENT |
TOTAL |
PAR P ARENT |
|||||
HARCELEMENT |
12,2 % |
27,4 % |
14 % |
46,8 % |
17,2 % |
54,8 % |
||||
MENACES |
20 % |
10,5 % |
17,2 % |
12,7 % |
23,5 % |
78,7 % |
||||
INSULTES |
40 % |
16,1 % |
36 ,2 % |
20 % |
40,5 % |
62,4 % |
||||
Pour les trois types d’agression les parents sont en majorité les auteurs pour les directeurs d’école. Ils participent dans des proportions moindres au harcèlement des enseignants du premier degré (1 sur 2) et à celui des chefs d’établissement 1 sur 4). A noter l’importance globale des insultes(au moins une fois dans l’année) qui touchent près d’un chef d’établissement et un directeur d’école sur 2 et un enseignant du premier degré sur 5.
La participation des parents bien qu’à priori paraissant importante doit être relativisée au regard du nombre de personnels concernés. En effet, le harcèlement par les parents concerne 3 % des chefs d’établissement, 6 % des enseignants du 1er degré et 9,5 % des directeurs d’école ; pour les menaces ce sont respectivement 2 %, 2 % et 18, 5 %. Enfin pour les insultes, 6,5 %,7 %, 25 %.Quant à la fréquence des difficultés rencontrées au cours de l’année 2011 avec les parents : 1 directeur sur 2 déclare avoir vécu cette situation 1 à 2 fois et près d’un directeur sur quatre, 4fois.
Au regard de ces chiffres il est difficile de convenir que la relation parents / enseignants est totalement sereine. Les conflits dans leur expression violente semblent toutefois peu nombreux et touchent plus les enseignants et directeurs du 1er degré que les chefs d’établissement. Selon les enquêtes présentées, ils sont principalement dus à la discipline, à l’évaluation et à l’orientation des élèves.
Nous manquons de recul et d’enquêtes pour apprécier l’évolution de ce phénomène. Toutefois au regard de témoignages d’acteurs du système éducatif contemporains du fameux « malentendu » il semble que cette situation soit le signe de comportements relativement récents qui peuvent s’expliquer aussi bien par le côté « consommateur » de certains parents, la course effrénée à la réussite scolaire que par la perte du « prestige social » de l’enseignant.
Georges Fotinos
Ancien chargé de mission interministériel « Famille/Ecole »
Chercheur ; membre associé à l’Observatoire International de la Violence à l’Ecole