Comment l’école publique en est-elle venue à intégrer l’éducation esthétique, privilège traditionnel de l’éducation bourgeoise? Pas sans arrières-pensées, nous montre l’exposition proposée au Musée National de l’Éducation à Rouen. Trois approches complémentaires viennent éclairer enjeux et évolutions de cet enseignement : pratiques scolaires, cadre de vie, environnement de la classe, du XIXème siècle à nos jours. Une rétrospective qui replace les querelles contemporaines dans leur contexte historique.
Évolution des méthodes et des regards
Devenu obligatoire à l’école à partir 1882, le dessin n’y est pas vraiment un exercice de rigueur académique mais plutôt la préparation à l’habileté manuelle du futur travailleur, ouvrier ou technicien, dans une société qui s’industrialise à grande vitesse. A l’instar de la calligraphie, le dessin doit développer chez l’élève la précision ordonnée du geste. Mais les pratiques évoluent rapidement vers une valorisation de l’expression personnelle, jusqu’à la libre création de la pédagogie Freinet. De l’image du « gribouilleur »- mauvais sujet, à « l’enfant artiste » qui prévaut encore aujourd’hui, le regard porté sur les pratiques scolaires du dessin suit les transformations de la place de l’enfant dans l’imaginaire collectif.
Valeur éducative du cadre de vie
Deuxième axe de l’exposition, l’évolution du décor enfantin : sous l’impulsion d’un idéal d’édification morale grâce à la fréquentation quotidienne du beau, l’offre commerciale d’objets usuels pour l’environnement domestique de l’enfant se renouvelle. Jouets, meubles, imageries, le décor doit affiner le goût et la sensibilité des futurs travailleurs pour contribuer à l’amélioration de la qualité de leur vie future. Le développement contemporain du design enfantin, renforcé par des enjeux économiques décuplés, prolonge cette vision idéaliste selon laquelle « rien n’est trop beau » pour l’enfant.
Stratégies institutionnelles
L’organisation de la pédagogie artistique par l’État, enfin, fait l’objet de la troisième partie : décoration des écoles et des bâtiments, collections artistiques et ornementation des bons points, l’école doit devenir « une sorte de sanctuaire où règne la beauté aussi bien que la science et la vertu » affirme Jules Ferry, qui initiera une politique de « culte du beau » encore prégnante dans le souci de l’institution de cultiver la sensibilité artistique des élèves dès les petites classes. Mais l’intention politique n’est pas neutre : elle s’ordonne autour des valeurs prioritaires de l’État et la primauté du patrimoine culturel national. Parti-pris implicite qui sera balayé par la rénovation des engagements de l’État (2000) en faveur de l’éducation artistique à l’école, qui veut privilégier désormais le plus large accès aux arts et à la culture.
Jeanne-Claire Fumet
L’art et l’enfant – L’éducation esthétique du XIXème siècle à nos jours.
Du 19 octobre 2012 au 1er septembre 2013, au Musée national de l’Éducation à Rouen.