Depuis de nombreuses années les enseignants documentalistes posent la question de la formation des élèves à la recherche de l’information. Devant les attitudes des élèves face à cette activité, ils sont nombreux à déplorer les difficultés des jeunes et à réclamer une action. Ce que ne dit pas cette demande et qui apparaît en creux, c’est plus généralement le fait que depuis Internet, Google et les autres, l’ensemble de la société, enseignants compris, est mis devant une difficulté bien plus grande que chacun n’accepte pas facilement de reconnaitre. Le taux d’utilisation du moteur de recherche phare est tel que nier l’utiliser est difficile, même quand on est enseignant, voire même enseignant documentaliste. Or cette utilisation est loin d’être simple, dès lors que l’on prétend dominer l’action.
Tant que la recherche d’information se limitait à un ensemble fini de documents, ce travail pouvait se formaliser assez simplement. Même sur de très grandes sources de documents, on pouvait quand même s’y retrouver. Il est vrai qu’on a pu s’inquiéter en lisant des informations sur des disparitions suspectes de documents dans de grandes bibliothèques. Même dans un espace physiquement déterminé, il y avait de la perte. On imagine donc que la recherche d’information peut se trouver contrariée par ces disparitions intempestives. D’ailleurs les CDI et les bibliothèques sont appelés à faire des inventaires réguliers pour éviter cette évolution des fonds. C’est l’an 1 de l’informatique documentaire qui a permis d’apporter une amélioration sur deux points : d’une part la gestion des ressources, du coté des bibliothécaires et documentalistes, d’autre part une facilité d’accès pour l’usager qui est passé des fiches carton à l’interrogation de bases de données informatisées. On le sait et on continue de le vivre, l’informatisation des fonds documentaires a été une révolution pour leur gestion dynamique, en temps réel. Même si cela n’empêche pas des disparitions inexplicables, cela favorise l’usage quotidien.
L’entrée des supports audio et vidéo dans les espaces documentaires a été d’autant plus facile à gérer, que les objets supports (cassettes, CD, DVD) singeaient le livre et donc pouvaient être gérés de la même manière. L’évolution majeure vient lentement : c’est l’accès à des informations (documents) délocalisées au format numérique. Première conséquence, les murs et les étagères sont dépassés en ampleur, taille et contenus. Peut-être même sont-ils dépassés en mode d’usage… ? A cette évolution s’en ajoute une seconde la possibilité pour les établissements de constituer leur propre fond numérique, en lien ou pas avec d’autres fonds. En d’autres termes, il peut aussi y avoir un serveur de contenu dans l’établissement composé de sources locales ou même mieux encore un lien avec d’autres ressources en ligne associées à des ressources locales.
La particularité de l’arrivée des ressources numériques dans la recherche d’information a d’abord été l’étonnement de voir les élèves adopter mille fois plus vite que les adultes ces outils. La déploration qui s’en est suivie n’a pas permis de comprendre le phénomène au delà d’un déni de leurs compétences. En fait ce qui a été mis en évidence, en creux, c’est qu’accéder directement à l’information, que ce soit sur papier ou autre, ce n’est pas simple. Contrairement à ce que l’on croit, les élèves sont aussi (in)compétents devant des livres, dans un CDI, que devant un écran. Mais avec les écrans cela se voit bien davantage, car les occasions de se perdre sont nombreuses, alors qu’avec le livre et sa rareté, les chemins sont suffisamment peu nombreux pour entraîner une perte de repères. Mais cette analyse n’a pas beaucoup d’écho, tant les remarques négatives sur l’usage des moteurs de recherche par les élèves sont nombreuses et tant l’inquiétude qui accompagne le développement du numérique fait émerger les craintes.
On s’aperçoit que cette étape peut être dépassée, mais pas à n’importe quel prix. D’une part il y a un niveau d’appropriation des adultes qui doit être suffisant pour avoir une certaine aisance avec les élèves. D’autre part il faut aussi que les adultes, et en particulier les enseignants documentalistes aient une vision convergente des enjeux, ce qui semble être loin d’être le cas dans l’ensemble de l’institution scolaire. La recherche d’information est une activité qui a été longtemps enfouie, du fait même du fonctionnement scolaire : l’enseignant circonscrit le champ informationnel avant d’enseigner. Le numérique révèle, encore mieux que ne l’ont fait les CDI depuis leur création l’importance de l’accès direct des élèves à l’information. Le développement actuel des outils numériques tend à rapprocher les logiciels de documentation des outils grands publics : la disponibilité sur le web des « collections » du CDI, les liens direct avec le web des contenus, quand ce n’est pas l’arrivée de la numérisation de plus en plus importante des ressources ainsi mises à disposition.
Les débats qui entourent l’évolution des CDI et la question de mission des enseignants documentalistes sont un révélateur des conséquences du numérique sur le monde de l’accès aux savoirs. Malheureusement, ce débat ne concerne pas encore suffisamment les enseignants des autres disciplines, voire les hiérarchies intermédiaires. Si c’était le cas, une réflexion globale sur l’organisation de l’école émergerait plus rapidement. Le numérique transforme le rapport à la « source documentaire », d’abord dans la nécessité de maîtriser les moyens d’y accéder, ensuite sur la nécessité de savoir la traiter, l’utiliser. Il est probable que le phénomène n’a pas pris encore une ampleur suffisante pour ébranler le modèle scolaire.
Ce qui est le plus troublant pour l’instant avec le numérique c’est la dispersion : dispersion des ressources, dispersion des outils, des méthodes. La grammaire du web est loin d’être construite, si tant est qu’elle doive l’être. Cependant l’absence de normes amène chacun à se construire ses outils : les portails Netvibes sont concurrencés par les outils de curation comme Scoop-it, ou encore Pearltrees. D’autres en reste à BCDI, ou à des outils locaux avant d’en passer à e-sidoc ou à PMB. Et pendant ce temps les moteurs de recherche grand public avec leurs algorithmes de Page Rank (popularité interne par le nombre de liens) continuent de se développer et les réseaux sociaux avec leur Edge Rank (popularité par copinage…) prennent de plus en plus de place dans les modalités usuelles de recherche d’information.
Bruno Devauchelle