L’Etat croit-il toujours en ses valeurs ?
Mais pourquoi ce qui ressembait à une idylle semble soudain si compromis ? Les priorités affichées pour le primaire ou les élèves les plus en difficultés semblaient au moins assurer à Peillon une cote de popularité sans faille de ses agents, au moins pour quelques temps… Mais depuis quelques jours, nombre de réactions semblent marquer l’impatience devant le risque de sur-place. Et pour comprendre, il est sans doute nécessaire de faire un pas de côté. Histoire de se rappeler pourquoi la politique n’est pas soluble dans les petites phrases et les déclarations généreuses.
Depuis plusieurs mois, les participants engagés dans la concertation n’ont pas manqué de remarquer de désormais, quand on parle de l’école, on parle aussi « territoire », au pluriel ou au singulier. Avec un filligrane une nouvelle évolution du cadre national intitulé « l’acte III de la décentralisation ». Promesse de campagne, cette réforme aurait lieu par « expérimentation » successive, instaurant de nouveaux partenariats entre les collectivités territoriales et l’Etat. D’origine largement économique (donner aux régions de nouveaux pouvoirs dans la recherche des conditions du dévelopement économique), cette nouvelle étape de la décentralisation verrait les régions dotées de nouveaux espaces de décision notamment dans la carte des formations ou l’orientation. Mais plus largement, les collectivités y trouveraient davantage de possibilités d’organiser des politiques spécifiques ou même, dans une certaine mesure, prendre des initiatives permettant d’adapter les lois aux réalités locales.
Cette logique « girondine » tend à limiter les prérogratives de l’Etat, suspecté d’édicter des normes lointaines sans pouvoir les mettre en oeuvre. Dans l’Education, force est de constater que l’étape précédente, avec le passage des collèges aux départements et des lycées aux régions, s’est traduit dans le quotidien par une amélioration dans l’investissement et les conditions d’entretien des bâtiments, même si le passage des agents territoriaux aux collectivités, alors que les gestionnaires dépendent de l’Education nationale, pose des problèmes au quotidien dans les établissements, et pas uniquement du fait des inégalités de ressources des payeurs.
Dans ce contexte, comment l’Etat peut-il maintenir des normes contraignantes s’il n’a pas les moyens de ses ambitions ? C’est sans doute une des raisons pour lesquelles le ministère de la Ville a récemment insisté pour lever les différents labels de la politique de la Ville, perspective à rapprocher de l’annonce par Hollande de délabelliser l’Education Prioritaire, alors qu’aucune force sociale ne le réclamait. En remplaçant les labels présumés « stigmatisants » par des traitements au « cas par cas » des zones et des établissements, on comprend bien que le « pilotage » devra être concerté avec les différents niveaux de collectivités territoriales. Mais si on voit bien l’idée (supprimer les usines à gaz), on ne manque pas de s’interroger : sans politique d’impulsion nationale pendant plusieurs longues périodes, on sait que les trente ans de ZEP n’ont que trop rarement facilité les dynamiques locales par un réel pilotage venu du haut, et que la magie de l’initiative locale n’est que trop souvent le masque de l’absence de politiques publiques nationales visant à réduire les inégalités (ségrégation socio-spatiale notamment). Or, aucun signe tangible ne donne pour l’instant l’assurance qu’une « relance » de l’impulsion nationale va engager chaque niveau hiérarchique à mieux accompagner et former les personnels qui travailent dans les établissements les plus « difficiles ».
Pour les rythmes scolaires, le problème semble du même type : depuis plusieurs mois, nombre de représentants de réseaux de villes ou de collectivités locales ont expliqué aux conseillers des ministres qu’ils se faisaient fort de régler à leur manière la question des rythmes scolaires, en prenant plus de place dans le temps de l’enfant, dans le cadre d’une journée réduite. Mais pas de chance pour cette « bonne idée » : nombre de communes n’ont absolument pas les moyens de mettre plus d’argent dans les nécessaires structures à mettre en place pour accompagner la réduction de la journée scolaire, sauf à renvoyer les enfants dans leurs foyer à 15h30… Du coup, pour le ministère, obligation de retropédaler en urgence, d’annoncer la prise en charge des élèves par les enseignants pour une demi-heure supplémentaire, déclenchant immédiatement l’agacement des cours d’école devenues marges d’ajustement…
Du coup, on comprend que c’est dans les détails de la mise en oeuvre qu’il est difficile d’organiser une réelle « refondation » de l’école : à force d’externaliser les solutions vers les partenaires ou les collectivités, il semble que la machine centrale ne s’imagine plus capable de piloter elle-même ses différents étages : académiques, départementaux, locaux. Et ce ne sont pas les multiples comités Théodule, généralement prescripteurs de normes sans moyens de les faire vivre, qui rendront la sphère techno-administrative capable de donner une substance à la démocratisation de l’école.
Le diagnostic, largement fait par les inspections générales, est maintenant à mettre en action, en articulant pilotage fort à tous les étages, initiatives locales, confiance au terrain, accompagnement et formation.
« Repenser le métier » a dit V. Peillon à Médiapart. Les enseignants sont pour si ça permet de gagner sur l’essentiel : les apprentissages des élèves. Et si cela passe par un renouvellement des cadres qui soient capables de piloter par les valeurs plutôt que par les tableaux de bord informatique, il semble que le terrain l’attende avec impatience. Ne désespérez pas Billancourt, une fois de plus.