Par Rémi Boyer de l’association Aide aux Profs
Ce mois-ci, nous attirons votre attention :
– Sur le contenu de notre premier entretien au 110, rue de Grenelle avec deux conseillers de Vincent Peillon, Jean-Paul Delahaye et Bernard Lejeune, le 27 août 2012 ;
– Sur le parcours de Florence Esnault, enseignante depuis 27 ans, qui a créé depuis un an en cumul d’activités accessoires sa micro-entreprise d’entretien d’espaces verts et de bricolage.
Une délégation d’Aide aux Profs a été reçue le 27 août 2012 au Ministère : qu’avons-nous proposé à Vincent Peillon via ses conseillers ?
Une délégation d’Aide aux Profs, composée de Rémi Boyer, président-fondateur d’aideauxprofs.org, de Pascal Bouchard, ancien agrégé de Lettres devenu journaliste et fondateur de Touteduc.fr, et de Jean-Michel Lavallard, professeur des écoles en disponibilité et créateur d’Educ-i.fr, a été reçue par deux conseillers de Vincent Peillon, Jean-Paul Delahaye, Conseiller Spécial, et Bernard Lejeune, Conseiller Social, qui nous ont consacré 1h15 environ. A la suite de l’entretien, nous avons croisé d’autres conseillers qui nous avaient déjà rencontrés en d’autres lieux par le passé, ainsi que Vincent Peillon, qui nous a chaleureusement serré la main, se souvenant de notre première rencontre au salon européen de l’Education en novembre 2011, lorsque François Hollande, alors candidat à la présidentielle, était venu sur le stand du Sgen Cfdt où Thierry Cadart, leur Secrétaire Général, nous avait conviés.
Pascal Bouchard et jean-Michel Lavallard ont pu plaider l’intérêt de bénéficier d’une disponibilité pour convenances personnelles pour créer son entreprise. Nous avons demandé à ce que cette disponibilité puisse devenir de droit, car elle est trop souvent refusée par les académies pour « nécessité de service ».
D’abord, c’est un accueil très attentif, à l’écoute de nos propositions, qui nous a été réservé, avec des interlocuteurs forts sympathiques, et très accessibles, au tempérament humaniste. Cependant, nous ne savons pas encore quelles propositions, parmi celles que nous avons émises, seront retenues, puisque la priorité du ministre n’est pas le développement des secondes carrières des enseignants, étant donné qu’il a déjà du mal à en recruter de nouveaux. Nous avons donc laissé au Ministre un document de 40 pages détaillant ce que nous proposons.
Nous avons regroupé nos propositions en quatre thèmes :
– Le développement des secondes carrières des enseignants ;
– L’amélioration de la formation continue des enseignants, en particulier les professeurs des écoles ;
– La rénovation complète de la Gestion des Ressources Humaines, qui ne donne pas satisfaction aux enseignants actuellement, car ils se sentent beaucoup plus malmenés que « gérés » ;
– La réforme des décrets de 1950 afin de quantifier le temps de travail des enseignants, pour que l’opinion publique et les médias changent de regard sur leur temps de travail, bien supérieur en moyenne à ce que beaucoup imaginent.
a. Pour développer les secondes carrières des enseignants, nous avons lourdement insisté sur l’une de nos propositions les plus importantes : l’importance de faciliter la mobilité interne ou externe des enseignants tout au long de l’année scolaire, dans le sens des départs, tout comme dans le sens des arrivées.
En effet, il n’est pas qu’en France que l’on constate des difficultés à recruter des enseignants (Belgique, Allemagne, Royaume-Uni, Canada, sont aussi concernés, avec un fort turn-over pour ce dernier), et à les conserver sur le moyen, le long terme. Il devient essentiel de fluidifier les carrières des enseignants, car il n’est pas concevable d’être aussi opérationnel à 25 ans qu’à 60 ou 65 ans devant des élèves qui auront toujours le même âge dans les mêmes niveaux de classe !
L’administration fait comme si de rien n’était :
– en refusant des demandes de disponibilité pour convenances personnelles (les académies de Créteil, de Nancy-Metz, de Rhône-Alpes, d’Aix-Marseille, ont refusé beaucoup de demandes en ce sens pour la rentrée 2012, conduisant à de nombreuses frustrations d’enseignants) ;
– en refusant des départs en détachement en cours d’année scolaire, même quand les enseignants avaient eu cette opportunité d’être recrutés ;
– en limitant au strict minimum les attributions de congés de formation, ou de bilans de compétence (quasiment plus financés nulle part, malgré l’existence d’un décret sur la question, encore une preuve que l’administration n’applique pas toujours ses propres textes quand ça l’arrange) ;
– en faisant la sourde oreille aux demandes de professeurs des écoles de se rapprocher de leurs conjoints (cf. les demandes du collectif Mutez-nous !) ;
– en refusant de plus en plus les demandes d’Indemnité Volontaire de Départ pour « projet personnel », et en attribuant les sommes minimales pour les créations d’entreprise. Bon nombre d’enseignants finissent par porter plainte auprès des tribunaux pour obtenir un montant décent d’IDV, comme les textes ont semblé le promettre.
Nous avons donc présenté une logistique qui a semblé intéresser nos interlocuteurs, qui ont toutefois souligné que c’était une difficulté pour les académies de laisser partir des enseignants en cours d’année, en raison de la difficulté de les remplacer. Mais nous avons rétorqué que si les académies arrivaient à remplacer des enseignants en congé maladie en cours d’année, alors elles avaient aussi les capacités de remplacer des enseignants qui auront eu la chance d’être recrutés ailleurs, dans le public ou le privé, en cours d’année. Cela nous semble juste une question de bonne volonté de la part des gestionnaires dans les rectorats et les inspections académiques. Dans le rapport récent d’Eric Debarbieux et de Georges Fotinos sur la victimation des enseignants du 1er degré en milieu scolaire, il est souligné que 81 % des répondants critiquent la hiérarchie proche et lointaine, les relations humaines au sein de l’éducation nationale. Faut-il attendre une réelle pénurie des vocations pour s’atteler à ce problème majeur ?
http://cafepedagogique.studio-thil.com/LEXPRESSO/Pages/2012/09/[…]
La logistique que nous avons proposée aurait le mérite de faciliter le tuilage pédagogique entre l’enseignant partant et l’enseignant arrivant, en facilitant ces départs et ces arrivées à chacune des périodes de vacances scolaires : La Toussaint, Noël, vacances d’hier ; vacances de Pâques, vacances d’été. 15 jours sont largement suffisants aux services de la DPE ou des DRH des académies pour faciliter le remplacement d’un enseignant recruté ailleurs, ou qui souhaite prendre une disponibilité pour convenances personnelles, pour créer son entreprise par exemple.
Le taux de mobilité en cours de carrière dans la profession enseignante est le plus faible de toutes les catégories socio-professionnelles (moins de 6%) et en voilà la cause profonde ! Une fois entrés dans l’enseignement, beaucoup d’enseignants ont le sentiment d’avoir été « piégés », comme un aller sans retour, comme s’ils étaient entrés dans une impasse, dans laquelle personne ne les aide à sortir. Et le Ministre voudrait rendre le métier attractif ? Il est essentiel de commencer par faire sauter ce verrou, qui bousculera un peu les habitudes des personnels administratifs, mais constituera enfin ce changement que tous les enseignants espèrent, maintenant. Un candidat le leur a promis dans de nombreux domaines, c’est le moment de tenir les promesses.
Nous avons aussi proposé de faciliter la réintégration des enseignants actuellement en détachement. Il ne s’agit pas de les contraindre à revenir, car cela aurait un effet contre-productif et dévastateur, mais de rendre attractives les conditions de leur potentielle réintégration. Car actuellement, la rotation des postes en détachement est très lente, quasi bloquée, beaucoup de détachés s’éternisant sur un même poste, comme ils l’airaient fait avec leur affectation définitive dans un établissement scolaire. Nous avons donc proposé d’accorder un barème de 1000 points pour une réintégration sur le vœu « groupes de communes », au lieu du seul vœu « département ». En effet, un enseignant parti en détachement a pu déménager à cette occasion, et n’a pas envie de se retrouver parachuté à l’autre bout de son département. Valoriser la mobilité qu’il a réalisée, en perdant son poste, son barème de mutation, un gros effort de sa part, serait de lui faciliter son retour dans de bonnes conditions. Ainsi, des centaines de postes en détachement pourraient se libérer chaque année, le détachement pouvant enfin devenir ce temps de « respiration » évoqué par les syndicats, en bénéficiant alors à plusieurs centaines d’enseignants chaque année, quelle que soit le temps de présence en détachement. Nous avons pu estimer le nombre de postes disponibles au titre du détachement entre 500 et 1000 par an avec cette logistique, contre à peine une centaine actuellement.
Nous avons aussi attiré l’attention des conseillers sur l’allègement nécessaire des procédures de création d’auto-entreprise au titre du cumul d’activité accessoire. Dès lors que l’Education nationale crée dans son administration centrale un décret, les académies qui s’en emparent pondent des multitudes de circulaires qui le compliquent inutilement, chacune des académies en ayant une interprétation différente, ce qui crée des inégalités de traitement des professeurs selon les points du territoire : cela devient intolérable, et ne plaide pas en faveur d’une confiance des enseignants envers les personnels qui les gèrent. Actuellement, les procédures sont trop complexes, décourageantes, et bon nombre d’enseignants découvrent à cet effet que leur projet n’est pas le bienvenu, alors qu’il relève de leur liberté d’entreprendre selon les textes qui le leur permettent désormais.
Nous avons aussi attiré l’attention sur l’impossibilité actuelle de proposer aux enseignants les plus investis des carrières intéressantes. Ce que nous constatons, sur le terrain, est l’apparition de fonctions « presse-citron » dans les académies, pour faire des économies, en prétextant « constituer des viviers » : qui pour épauler l’inspecteur comme chargé d’inspection, qui pour administrer le site web disciplinaire pour 3h de décharge alors que cela exige 15h de travail par semaine, qui pour concevoir des formations, etc. Toutes les fonctions proposées par les rectorats et les inspections académiques aux enseignants ont des durées courtes, ce sont ni plus ni moins des « sièges éjectables » ou beaucoup repartent amers, plein de désillusions sur la manière dont ils ont été manipulés. C’est cette Gestion des Ressources Humaines qui prévaut actuellement, et qui est indigne d’une nation moderne, qui devrait savoir investir différemment, plus positivement, dans ses richesses humaines.
Enfin, il nous semble essentiel que les enseignants puissent réaliser des VAE et des VAP pour accéder à d’autres emplois de catégorie A. Josette Théophile (ancienne DGRH) nous l’avait indiqué le 27 janvier 2012 lors de notre dernière rencontre : une soixantaine d’enseignants par an (pour toute la France !) peut accéder aux fonctions d’attaché d’administration. C’est un effort, mais c’est symbolique…
b. Développer la formation continue, c’est prévoir l’avenir, et motiver les enseignants, désireux de gagner en compétences dans leur métier, pour s’y sentir mieux armés.
Ces cinq dernières années sinon plus, les budgets de la formation initiale comme continue ont fondu comme peau de chagrin. Non seulement l’ancien Gouvernement considérait que le métier d’enseignant n’avait pas besoin d’être appris, comme s’il était inné en chacun de nous, mais en plus, il n’était pas nécessaire de dépenser plus pour entretenir ou développer des pratiques pédagogiques. Depuis plusieurs années, les enseignants qui nous contactent dénoncent des stages qui relèvent plus de l’information que de la formation, et qui se raréfient, les professeurs des écoles étant les parents pauvres de cette évolution.
Dans le même temps, les académies ont quasiment toutes cessé le financement de bilans de compétence, alors que d’après la loi, l’enseignant a le droit d’en obtenir un au bout de dix ans d’ancienneté. Ce droit n’est plus respecté, car les caisses sont vides.
La formation professionnelle, ce sont aussi les congés de formation professionnelle, que, par confort, les académies préfèrent attribuer en plein temps ou en mi-temps, pour éviter le remplacement d’un enseignant sur de courtes périodes. Pourtant, quelques inspections académiques ont commencé à introduire de la flexibilité dans leurs pratiques, et c’est heureux, en adaptant le temps de formation demandé au temps accordé. Ainsi des enseignants obtiennent-ils un ou deux mois, situés dans l’année scolaire à l’endroit nécessaire. C’est ainsi que l’on fait réellement de la Gestion personnalisée des Ressources Humaines, bien éloignée de la Gestion des Données que pratiquent encore trop de rectorats.
Mais quel scandale d’attendre en moyenne, quelle que soit l’académie, 5 à 7 ans pour obtenir un congé de formation ! Certains enseignants attendent jusqu’à 14 ans (académie de Versailles) voire 18 ans (académie de Créteil) un congé de formation ! (on est en droit de se demander, quand même, dans ces cas-là, si la motivation pour la réaliser est bien réelle, car tous les enseignants que nous accompagnons dans leur mobilité trouvent par eux-mêmes des solutions pour éviter de repousser d’année en année leur projet).
Enfin, nous avons demandé à ce que le DIF soit respecté pour les enseignants. A peine 500 en auront bénéficié pour l’année 2011-2012… la communication de l’Education nationale sur ce nouveau levier de formation continue a-t-elle été si timide ? Nous avons constaté que près d’un tiers des demandes de DIF étaient en fait refusées… ce qui montre que l’administration se permet d’émettre un jugement sur la formation que souhaite réaliser la personne, alors que son rôle est seulement de l’indemniser, si elle a lieu durant les congés scolaires.
c. La Gestion des Ressources Humaines est un véritable souci, une problématique tellement vaste et complexe qu’il faudra sans doute plus de deux mandats présidentiels à François Hollande pour tenter d’y voir clair. L’activité éclair de Josette Théophile n’y a pas suffi. Tout juste a-t-on créé des missions de repérage des hauts potentiels, facilitant en cela la mobilité des personnels d’encadrement, alors que les enseignants, comme d’habitude, sont toujours la dernière roue du carrosse !
Il nous a paru élémentaire de préconiser que les enseignants débutants soient mieux accompagnés dans leurs difficultés professionnelles. En effet, dans les milliers de témoignages qui nous parviennent, les enseignants de primaire se plaignent de leurs IEN indisponibles, pas assez à leur écoute, trop éloignés de leurs préoccupations, tandis que les enseignants de collège dénoncent des comportements culpabilisants de la part d’IA-IPR – qui semblent toutefois une minorité – négatifs dans leur attitude, conduisant des enseignants au découragement. C’est l’esprit même de la fonction d’inspecteur qu’il faut changer, car un inspecteur ne peut pas être à la fois un évaluateur et un accompagnateur bienveillant. Tout comme un rectorat ou une inspection académique ne peut pas à la fois prétendre aider les enseignants dans leurs difficultés alors qu’elle les a conduits dans cette impasse en les affectant sur des postes parfois très pénibles. Il devient important de se pencher sur la dissociation, dans les services administratifs, des fonctions d’affectation et de rémédiation aux difficultés, et des fonctions d’évaluation et d’accompagnement pour acquérir confiance et assurance dans son métier.
Nous avons aussi attiré l’attention des conseillers sur les problèmes de harcèlement moral dont sont victimes des enseignants sur leur lieu de travail :
– Par des collègues, surtout lorsqu’ils ont leurs enfants dans leurs classes (cela génère des situations très anxiogènes, un problème dont on ne parle quasiment jamais) ;
– Par le chef d’établissement, qui se comporte parfois comme un « petit chef », plus de 10% des 4500 enseignants qui nous ont contactés entre 2006 et 2012 nous l’ont indiqué, donc dans 450 établissements environ, ça fait froid dans le dos ;
– Par des inspecteurs, plus prompts à démonter le moral de l’enseignant qui n’enseigne pas comme ils le souhaiteraient le programme. Le problème est que chaque inspecteur disciplinaire a sa propre vision de la manière de travailler le programme, et qu’il est très destabilisant pour un enseignant expérimenté, dont l’inspecteur change, de voir sa pratique professionnelle remise en question après 20 à 30 ans de carrière. Nous avons donc proposé qu’il soit établi qu’après 10 ans d’ancienneté, l’enseignant soit reconnu comme compétent dans sa discipline, les inspections se concentrant dans les 10 premières années, tandis qu’au lieu d’être inspecté ensuite, il serait soumis à une obligation de formation continue ;
– Par des chefs de service, sans aucun garde-fou. Le harcèlement moral est alors très difficile à prouver, puisqu’il se confond avec des pratiques de management qui varient d’une personne à l’autre. Ainsi, d’un agent qui se plaint d’un harcèlement moral, dira-t-on tout simplement qu’il a dû mal à accepter l’autorité de son supérieur…une bonne manière de « noyer le poisson » et de jouer à Ponce Pilate. En octobre 2011, j’avais proposé qu’un processus d’évaluation remontante soit institué pour permettre à un collectif (au moins 20% des personnels d’un service ou d’un établissement scolaire) de se plaindre du comportement d’un supérieur hiérarchique au comportement anxiogène.
Nous avons aussi proposé de revaloriser les enseignants. Tout ne passe pas par l’augmentation du point d’indice, même si les syndicats ne seront pas d’accord avec ce point de vue. Revaloriser, c’est faire confiance, c’est favoriser le travail en équipe, c’est laisser plus d’autonomie en matière pédagogique, c’est surtout apporter de la paix dans les établissements en arrêtant de bombarder les personnels de circulaires en tous genres, en les laissant travailler, au lieu de les prendre pour des cobayes avides d’expérimentations pédagogiques en tous genres qui leur bouffent la vie, qui épuisent peu à peu leur énergie, en les surchargeant inutilement. Le socle de compétences avec ses 146 items à évaluer a fait beaucoup de ravages depuis 2010, puisque nous avons été contactés par des centaines de jeunes enseignants nous demandant comment démissionner, en invoquant le fait qu’ils n’étaient pas des machines à pointer…
Enfin, nous avons proposé que l’évaluation des enseignants comprenne une part de 50% d’évaluation individuelle réalisée par le chef d’établissement sur leur assiduité, leur rayonnement dans l’établissement, leur respect des règles, leur investissement dans la vie de l’établissement, et une part de 50% par le chef d’établissement également, au titre de leur investissement dans le collectif, par le travail en équipe disciplinaire. Ainsi l’inspecteur n’aurait-il plus qu’un rôle d’accompagnateur pour les enseignants les plus en difficulté, au lieu d’être celui qui vient une fois tous les cinq ans assez artificiellement assister à un cours mieux préparé que d’habitude. Cela les amènerait à changer de posture, en devenant ces cadres qui donnent envie d’enseigner, qui donnent confiance et savent se rendre disponibles pour ceux qui ont le plus besoin de leurs conseils d’experts, et de leur attention : les professeurs.
d. En matière de réforme des décrets de 1950, dans la lignée du « projet pour l’Ecole » d’Arnaud Montebourg pendant la campagne présidentielle, et qui avait reçu l’appui de Jean-Pierre Obin à cette occasion, nous avons préconisé que soit mieux quantifié le temps de travail des enseignants, en évaluant le temps de préparation de cours et de correction de copies, et les diverses activités envisageables dans l’établissement pour diversifier leur temps de travail, et briser ainsi la routine où sont plongés certains. Ce calcul est à réaliser différemment pour les enseignants des écoles, des collèges et des lycées, et selon les disciplines d’enseignement. Les décrets de 1950 sont en tous points inégalitaires sur ce point, en mettant tous les enseignants « dans le même sac ».
Dans ce que nous avons proposé, les enseignants seraient présents environ 32h sur leur lieu de travail, supposant alors que leur soient aménagés des locaux adaptés au travail individuel et au moins une salle de réunion disponible quel que soit le nombre de classes en cours dans l’établissement. Le temps d’enseignement serait dégressif au fil de l’âge, au profit de taches administratives ou techniques dans l’établissement. Ainsi faciliterait-on les fins de carrière en évitant que des enseignants décident de sacrifier leur pension de retraite en partant 5 ans avant la date prévue. Actuellement, les enseignants du primaire partent en retraite à 59 ans en moyenne, et les enseignants du secondaire à 60 ans. Si l’entrée dans le métier s’effectue avec un master, il y a lieu de croire que les enseignants des décennies à venir n’enseigneront pas jusqu’à 65 ou 70 ans (pour ceux qui auront obtenu leur concours après plusieurs tentatives), et que le métier d’enseignant aura alors conduit des générations entières vers la précarité en fin de carrière.
Florence Esnault : enseignante depuis 27 ans, elle a créé sa micro-entreprise d’entretien d’espaces verts et de bricolage.
Quel a été votre parcours professionnel ?
J’ai d’abord obtenu un BTS en Economie Sociale et Familiale en 1984 puis j’ai enseigné dans un lycée au Havre cette discipline. En 1997, j’ai obtenu le concours de PLP en Biotechnologie et j’ai donc enseigné dans le même lycée cette discipline, jusqu’en 2006, avant d’obtenir ma mutation dans un lycée de Rouen dans l’enseignement privé sous contrat, comme depuis le début de ma carrière. J’enseigne auprès de 3e, de CAP, de BEP et de Bac Pro. En Janvier 2011 j’ai eu envie de prendre un bol d’oxygène en me consacrant professionnellement à ma passion : le bricolage et les espaces verts. J’ai donc créé ma micro-entreprise dans ce domaine.
Pourquoi aviez-vous eu envie de devenir prof ?
Après le BTS, il fallait que je fasse encore une année d’études pour devenir Conseillère en Economie Sociale et Familiale, alors j’ai préféré devenir enseignante. Attirée par les jeunes en difficulté, pour leur apporter des connaissances, les aider à s’en sortir, c’est le côté humain de ce métier qui m’a intéressée, et qui m’intéresse toujours. Je trouve que le côté humain est plus développé en lycée professionnel qu’en collège, sans doute parce que nos élèves font enfin le lien entre ce qu’ils apprennent en classe et le métier qu’ils exerceront plus tard. Leur scolarité a enfin du sens, et notre action d’enseignant aussi. J’apporte à mes élèves des valeurs, je les aide à avoir confiance en eux, alors qu’ils arrivent souvent en lycée professionnel plus ou moins cassés par un système qui les a rejetés parce qu’ils n’entraient pas « dans le moule ».
Quelles compétences pensez-vous avoir développées dans l’enseignement ?
Je suis dynamique, autonome, je sais travailler en équipe, organiser. Je suis positive dans ma manière d’être face aux élèves, c’est très important pour savoir les motiver, pour mobiliser leurs énergies, les canaliser. Pour bien faire ce métier, il faut aimer les jeunes, être à leur écoute, leur donner envie de progresser, de se dépasser.
Pourquoi avoir voulu en 2011 changer de quotidien professionnel ?
J’ai à un moment ressenti un profond ras-le-bol de l’Education Nationale, de ses réformes incessantes, de tout ce que l’on nous demande de faire et qui change sans cesse, avec ce sentiment désagréable d’être toujours en train d’expérimenter, sans consolider. Lorsque l’Education nationale s’est mise en tête de mener tous les élèves au Bac, c’est là que le ras-le-bol a commencé, j’ai ressenti une espèce de saturation. Je n’en pouvais plus, j’avais vraiment envie de faire autre chose, de bouger, d’être en extérieur, de voir vraiment autre chose.
Dans ma famille, on ne jurait que par les métiers intellectuels, le manuel n’avait pas sa place. Comme j’avais élevé mes trois enfants, j’aurais pu demander à partir en retraite mais je suis une hyperactive, j’aime travailler, m’occuper. Donc, avec moins de contraintes financières qu’auparavant, j’ai décidé de me lancer en diminuant mon temps de travail comme enseignante, avec 12/18e soit 66% de quotité. Dans le lotissement où j’habite, ils recherchaient une personne pour s’occuper des espaces verts, alors j’ai saisi cette opportunité pour créer mon activité et leur proposer mes services. J’ai donc créé ma micro-entreprise.
Quelles démarches avez-vous réalisées pour cela ?
J’en ai parlé à mon chef d’établissement, qui m’a donné son accord. Puis je suis allé me renseigner à la Chambre des Métiers, pour une journée d’information. J’aurais pu faire une semaine de stage, mais j’ai préféré m’informer sur Internet à mon rythme. Au départ je voulais être auto-entrepreneuse, mais comme mon principal client allait être une association, et qu’un auto-entrepreneur ne peut pas facturer à une association, j’ai alors choisi le régime de la micro-entreprise.
A la Chambre des Métiers on l’avait fait remplir un formulaire, pour évaluer mon projet, puis j’ai obtenu un numéro de SIRET/SIRENE. Je ne cotise pas à l’URSSAF, je dépends de la MSA, à laquelle je verse des cotisations solidaires, car je ne travaille pas assez d’heures. Ce n’est pas du tout compliqué à assimiler. Les impôts, ensuite, se basent sur 50% de mon chiffre d’affaires. C’est donc moins intéressant que le régime de l’auto-entreprise, et dans les deux cas on ne peut déduire aucun frais.
Au niveau des démarches vis-à-vis de mon administration, j’ai rempli un formulaire de demande de cumul d’activités accessoires. Au bout d’un mois sans réponse, la demande est réputée être acceptée. Comme je n’ai eu aucune réponse à mon courrier, au bout d’un mois, j’ai commencé mon activité.
Comment organisez-vous votre temps ?
Je travaille dans ma micro-entreprise en fonction de mon emploi du temps scolaire, chaque année, donc mes horaires varient. Parfois mes clients me proposent du travail le samedi, et je le fais de temps en temps. Pendant les vacances scolaires, je peux passer plus de temps dans cette activité parallèle. Cet été par exemple, je n’ai pas arrêté. Au total, je travaille 40 à 45h par semaine en comptabilisant mes deux activités et les tâches annexes qu’elles génèrent.
Qu’est-ce que cette micro-entreprise a changé dans votre vie d’enseignante ?
J’y ai trouvé mon équilibre personnel, qui est devenu très bon. J’ai pris du recul par rapport aux élèves actuels (pas motivés ni travailleurs) et je reviens toujours avec plaisir travailler avec les élèves, car j’ai envie qu’ils réussissent. Je continue comme par le passé à travailler consciencieusement, je suis contente d’enseigner, j’en ai toujours envie.
Mais si votre entreprise se développe, il vous faudra choisir ?
Justement je ne la développe pas. Je refuse du travail régulièrement pour éviter que ça me prenne trop de temps, car je ne veux pas lâcher mon activité d’enseignante qui me rend utile aux autres, qui donne aussi du sens à ma vie. Et puis physiquement, on ne sait jamais, ce que je fais dans ma micro-entreprise est fatigant, et même si j’ai une bonne santé et que j’ai toujours été très sportive, je ne sais pas si je pourrais pour autant y consacrer un plein temps jusqu’à mon départ en retraite. Il me reste encore 10 ans…
Quels conseils auriez-vous à donner à des enseignants qui ont envie de créer leur entreprise en cumul d’activités accessoires ?
Je ne regrette rien du tout, et je leur dit : foncez ! Faites-vous plaisir ! Je suis contente d’avoir osé me lancer, car le pire aurait été de mûrir ce projet et de ne jamais le concrétiser, en vivant comme beaucoup d’enseignants sur des regrets. Quand on a un projet en soi, il faut l’essayer, pour ne pas le regretter.
Le regard de vos collègues et de vos élèves a-t-il changé ?
Je suis assez sollicitée par mes proches pour des tontes de gazon, du bricolage. Ils me trouvent mieux, plus épanouie, et les élèves sont étonnés que je fasse cette autre activité. Pour moi cette expérience est très positive.
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