Par François Jarraud
Pschitt ! La publication par l’OCDE de « Regards sur l’éducation 2012 » ne créera pas de séisme cette année. Néanmoins, l’OCDE envoie de bonnes questions au système éducatif français. Pourquoi le taux de scolarisation baisse-t-il ? Comment fait-on pour avoir tant d’inégalités alors que la France a un taux record de préscolarisation ? Pourquoi a-t-on si peu de doctorants ? Comment expliquer la crise du recrutement des enseignants ?
L’édition 2011 avait créé un véritable tremblement de terre sous les pieds de Nicolas Sarkozy. L’OCDE décrivait un système éducatif injuste, en régression, une véritable « dégradation » de l’enseignement en France sur les 10 années des quinquennats UMP. L’édition 2012 fait dans le feutré. Evidemment rien n’a changé sur le fond depuis 2011. Mais l’OCDE met surtout l’accent sur des points nouveaux. Enfin il faut signaler une autre nouveauté. L’éducation nationale avait pris l’affligeante habitude d’envoyer sur place, dans les locaux de l’OCDE, des fonctionnaires de la DEPP pour contredire devant les médias les propos de l’OCDE et porter la bonne parole étatique. Cette année Eric Charbonnier, pour l’OCDE, a présenté Regards sur l’Education sans contradicteur.
La France ne manque pas de profs. Mais si !
Première particularité française : la France ne devrait pas avoir du mal à renouveler les départs en retraite des enseignants. En effet, le taux est nettement plus faible que chez nos voisins où le vieillissement professoral est plus accentué. Il y a 32% de plus de 50 ans en France alors que la moyenne OCDE est 35% et que dans les pays européens elle dépasse souvent 40%. 49% des enseignants du primaire ont moins de 40 ans contre 42% en moyenne. Alors pourquoi la crise de recrutement ? Les données OCDE montrent que les enseignants français travaillent beaucoup. Il y a nettement plus d’heures de cours en France qu’ailleurs : 7500 heures par an contre 6500 ailleurs pour les 7 à 14 ans. Mais leurs salaires sont inférieurs à ceux de l’OCDE aussi bien en début qu’au milieu de la carrière. Les conditions de travail sont aussi pus dures qu’ailleurs. Par exemple en maternelle, on compte par enseignant plus de 20 élèves en Chine, en France, en Israël, au Mexique et en Turquie, et moins de 10 élèves au Chili, en Islande, en Nouvelle-Zélande, en Slovénie et en Suède et en moyenne 14 élèves pour l’ensemble des pays de l’OCDE. Ajoutons que les débutants se retrouvent souvent sur les postes les plus difficiles , seuls et peu formés. Et que l’écart du nombre d’heures de cours hebdomadaire reste plus fort en France qu’ailleurs entre primaire et secondaire.
Des rythmes scolaires « atypiques »
La France ne se distingue pas que par un nombre d’heures de cours très élevé. Selon l’OCDE e temps de travail est concentré sur un nombre trop faible de semaines de classe : 35 en moyenne en France contre 38 dans l’OCDE. « Cela laisse peu de temps pour s’occuper de l’échec scolaire » note Eric Charbonnier. Certains pays comptent des vacances d’été aussi longues qu’en France mais moins de vacances sur le reste de l’année.
Scolarisation, inégalités et maternelle
Distinction du système éducatif français , la scolarisation en maternelle est à un taux record parmi les pays de l’OCDE. Presque tous les enfants sont en maternelle à 4 ans et même dès 3 ans. Paradoxe : alors que la préscolarisation est un facteur de réduction des inégalités sociales , en France ces inégalités sont très fortes. On a moins de chance en France de faire des études supérieures quand on a des parents peu instruits que dans les autres pays de l’OCDE. Cet effet maternelle est en partie atténué par les conditions de scolarisation en maternelle où le nombre d’élèves est trop élevé. Plus tard , la France se distingue par un fort taux de sorties précoces du système éducatif . C’est ce qui explique que le pays a un taux de scolarisation en baisse depuis 10 ans, un phénomène tout à fait exceptionnel chez les pays développés. Or l’insertion professionnelle de ces jeunes est très difficile en partie parce que l’enseignement professionnel est dévalorisé.
Le retard n’est pas rattrapé pour les plus diplômés
« La France a rattrapé le retard qu’elle pouvait déplorer ces dernières décennies en matière de niveau d’éducation atteint par sa population », note l’OCDE. Ainsi le taux de diplômés du supérieur chez les 25-34 ans a doublé par rapport à celui des 55-64 ans. L’écart de salaire entre diplomé du supérieur et du secondaire est net (47%) même sil est un peu inférieur à la moyenne OCDE (55%). Mais la FRance compte trop peu de docteurs : 1% des jeunes français seulement, 1,5% avec les étudiants étrangers . Certains pays développés ont des taux nettement plus importants : 3,5% en Suisse, 2,2 au Royaume Uni). Cet effet est aggravé selon l’OCDE par une politique restrictive envers les docteurs étrangers. L’OCDE souhaite que la France puisse bénéficier de leur apport et qu’on facilite leur accès au marché du travail.
Un investissement insuffisant en éducation
« En 2009, les pays de l’OCDE ont consacré, en moyenne, 6.2 % de leur PIB au financement de leurs établissements d’enseignement contre 6.3% pour la France. Ce pourcentage est supérieur à 7 % en Corée, au Danemark, aux États-Unis, en Islande, en Israël et en Nouvelle-Zélande. Sur les 37 pays dont les données sont disponibles, seuls 7 n’y consacrent pas plus de 5 % de leur PIB, à savoir l’Afrique du Sud, la Hongrie, l’Inde, l’Indonésie, l’Italie, la République slovaque et la République tchèque », note l’OCDE. Mais « les dépenses par élève du secondaire sont 15 % plus élevées en France que la moyenne de l’OCDE (10 696 USD contre en moyenne 9 312 USD) tandis que celles du primaire sont inférieures de 17 % à la moyenne de l’OCDE (6 373 USD contre en moyenne 7 719 USD). » Enfin, particularité française, les dépenses ont très peu augmenté ces dernières années alors que les autre spays faisaient l’effort nécessaire à la démocratisation du système éducatif. « Entre 2000 et 2009, les dépenses par élève des établissements d’enseignement des niveaux primaire, secondaire et post-secondaire non tertiaire ont augmenté en moyenne de 36 %, et de 16 % au moins dans 24 des 29 pays dont les données sont disponibles. L’augmentation est inférieure à 10 % seulement en France, en Israël et en Italie ».
Un appui à Vincent Peillon ?
Autant l’édition 2011 a été redoutable pour L Chatel, autant cette édition 2012 semble conforter les projets ministériels. L’accent mis sur le primaire par V Peillon se trouve conforté par l’écart de dépense constaté par l’OCDE. L’effort de formation des enseignants également. Il reste bien sur la question de leur salaire…
François Jarraud
Liens :
Regards sur l’éducation
http://www.oecd.org/fr/edu/rse2012.htm
Communiqué
http://www.oecd.org/fr/presse/lesdepensesdenseignementaugmente[…]
Heures supplémentaires refiscalisées : Les enseignants en première ligne budgétaire
Adoptée le 19 juillet par l’Assemblée nationale, la suppression de l’exonération de cotisation sociale et de défiscalisation des heures supplémentaires est la principale mesure de la loi de finances rectificatives. Le gouvernement en attend un milliard de revenus supplémentaires pour 2012 et trois milliards en 2013. Problème : la mesure impacte fortement les enseignants. 232 000 professeurs du secondaire en bénéficiaient. L’éducation, « priorité numéro 1 » du gouvernement, trouve là une première limite.
Où trouver 7 milliards ?
C’est la question posée par Bercy, soucieux de ne pas faire passer au déficit budgétaire le seuil des 4,5 du revenu national. Une croissance plus faible que prévu, quelques « dissimulations » selon la majorité, l’annulation aussi de la « TVA sociale » imaginée par N. Sarkozy imposent au nouveau gouvernement de trouver 7 milliards pour rééquilibrer le budget. C’est le but de la loi de finances rectificative, adoptée par l’Assemblée en première lecture le 19 juillet. Pour cela le gouvernement a fait passer une vague de mesures qui génèrent des recettes. Pour 2012 il demande une contribution exceptionnelle sur la fortune aux assujettis à l’ISF (2 milliards). Pour 2013 il abaisse le seuil d’abattement sur les successions, augmente la taxe versée par les entreprises sur l’épargne salariale et prévoit un durcissement du contrôle fiscal sur les entreprises. En même temps il abroge l’exonération de cotisations salariales sur les heures supplémentaires pour les particuliers et les entreprises et supprime aussi la défiscalisation de ces heures, des dispositions prises par la loi TEPA de 2007. Cette mesure devrait rapporter peser sur les ménages à hauteur de 1 milliard en 2012 et sur les ménages pour 2 milliards et les entreprises pour 1 milliard en 2013.
400 euros en moins pour un enseignant du secondaire sur deux
Les heures supplémentaires annuelles continuent à exister et à être mieux payées à partir de la seconde heure. Mais des cotisations sociales seront prélevées sur elles et elles devront être déclarées. Elles seront donc moins intéressantes. Si elles sont pratiquement inexistantes à l’école, plus de 511 000 heures (HSA) ont été effectuées en 2010-2011 dans le secondaire par plus de 232 000 enseignants soit 56% des professeurs du secondaire. Si en moyenne chacun a effectué 2,1 h par semaine, en réalité la répartition était inégalitaire. En 2008 les agrégés effectuaient deux fois plus d’heures supplémentaires que les certifiés. Les professeurs de CPGE en effectuaient deux fois plus que l’agrégé moyen. Comme l’heure HSA est rémunérée différemment selon le corps (environ 1100 euros annuels pour le certifié et 1500 pour l’agrégé), la suppression des exonérations va toucher fortement les enseignants de CPGE, sensiblement les agrégés et moins les certifiés. Pour un certifié effectuant 2 heures supplémentaires (HSA) par an la suppression de la défiscalisation et de l’exonération représente quand même une perte de rémunération de 326 euros par an (rapport sénatorial Cartron, Férat, Gonthier Maurin de 2012). A cela s’ajoutent les HSE , elles aussi concernées par les exonérations, soit près de 63 millions d’heures. Pour un certifié moyen, la suppression du dispositif représente une perte de 69 euros pour les seules HSE. Au total on s’approche des 400 euros perdus.
Une mesure bien accueillie
Devant l’Assemblée, durant 3 jours, l’opposition s’est présentée comme la protectrice des enseignants. Ainsi, l’ancien ministre Xavier Bertrand a dénoncé une mesure qui vise les classes moyennes. « Monsieur le Premier ministre, vous avez parlé de redressement dans la justice. Comment peut-il y avoir redressement du pays lorsque l’on met à mal la compétitivité des entreprises et que l’on s’en prend au pouvoir d’achat des classes moyennes ? Vous avez dit ici même que les classes moyennes seraient épargnées. Comment avez-vous pu dire cela alors que vous vous en prenez au pouvoir d’achat des ouvriers, des employés et des enseignants qui font des heures supplémentaires et prennent vos mesures de plein fouet ? » Pour la majorité, Christian Eckert, rapporteur général, a estimé que « ce qui compte c’est que, depuis l’adoption de la loi TEPA, cinq milliards d’argent public étaient mobilisés en faveur des heures supplémentaires. Or, à l’heure où les plans sociaux s’accumulent et alors que la situation de l’emploi est désastreuse, l’argent public a vocation à servir à autre chose qu’à encourager ceux qui travaillent à travailler plus tandis qu’on laisserait sur le côté ceux qui n’ont pas d’emploi… Les grands groupes ne pourront plus, comme l’a fait Arcelor-Mittal, financer aux frais de l’État du chômage partiel à Florange, et dans le même temps bénéficier de la défiscalisation et de l’exonération de charges sociales des heures supplémentaires à Dunkerque et à Fos-sur-Mer. Ceci est terminé ! »
Présentée ainsi, l’abrogation des exonérations rejoint une vision très partagée à gauche du partage du travail. Les syndicats d’enseignants s’étaient mobilisés depuis 2007 contre la montée des heures supplémentaires alors que les suppressions de postes allaient bon train. Il est vrai que le coût des heures supplémentaires dans l’enseignement (1,3 milliard) représente l’équivalent du coût du remplacement des enseignants dans le second degré, d’après la rapport sur la loi de finances 2012 des sénatrices Cartron, Férat et Gonthier-Maurin. Le seul coût des exonérations sur ces heures coûtait à l’Etat 319 millions. Par comparaison, celui des emplois vie scolaire ne représente que 130 millions. C’est ce qui faisait dire aux sénatrices que le dispositif était « un artifice de gestion plutôt couteux et déconnecté de l’objectif pédagogique primordial d’amélioration des résultats des élèves » et qu’il symbolisait « un budget qui privilégie l’optimisation de la gestion et confond la performance financière avec la performance éducative ». Le Snes, l’Unsa, le Sgen ont dénoncé le recours aux heures supplémentaires. Ils ne vont pas s’opposer à un retour au régime de rémunération antérieur à Sarkozy qui les rend moins attractives.
La revalorisation n’est plus à l’ordre du jour ?
Priorité du gouvernement, on pouvait croire l’Education nationale à l’abri de la pression de Bercy. Le choix de cette mesure qui, dans la fonction publique, touche principalement les enseignants, peut donner à penser que si l’éducation est une priorité ce n’est pas forcément le cas des enseignants. Le gouvernement a débloqué des moyens pour créer des postes supplémentaires à cette rentrée et il en a promis 60 000 sur le quinquennat. Cet effort en faveur de l’éducation aura du mal à se concrétiser compte tenu des difficultés de recrutement. On sait que la faible niveau des salaires dans l’enseignement, leur blocage depuis plusieurs années expliquent en partie ces difficultés. La nouvelle amputation qui vient d’être décidée par Bercy ne va pas favoriser les projets du ministère de la rue de Grenelle.
François Jarraud
Loi de finances rectificative
http://www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/deuxieme_collectif_2012.asp
Rapport sénatorial
http://www.senat.fr/rap/a11-110-4/a11-110-42.html
Sur le site du Café
|