Laurent Piau
Les récents événements de violence liée aux convictions religieuses m’amènent ce mois à rappeler les droits et obligations des élèves et à donner quelques conseils sur la bonne attitude à adopter afin que la réaction épidermique d’un adolescent, par nature émotif et imprévisible, ne se transforme pas en cauchemar pour le professeur.
I) Connaître le cadre juridique
Il faut tout d’abord rappeler que les élèves de l’enseignement secondaire bénéficient de la liberté d’expression, de réunion, d’association et de publication, mais que, considérant leur âge moyen, seule la liberté d’expression est reconnue aux collégiens.
Cette liberté de conscience inclue la liberté de religion, liberté fondamentale et absolue qui inclue la liberté des attitudes religieuses, la liberté de suivre les rites, de pratiquer son culte et de propager sa foi mais aussi la liberté de prosélytisme, activité dont l’exercice normal est protégé au titre de la liberté de croyance religieuse.
Cependant, l’usage de ces droits ne peut conduire à l’expression ou la publication de propos diffamatoires, injurieux ou touchant à la vie privée d’un membre de la communauté scolaire, ni conduire à des contraintes physiques ou psychologiques disproportionnées.
C’est ainsi que le prosélytisme « agressif » a été sanctionné par la CEDH (24 février 1998, Larissis et a. c. Grèce, req. N° 23372/94) au motif que l’article 9 de la Convention ne protège pas « le prosélytisme de mauvais aloi, tel qu’une activité offrant des avantages matériels ou sociaux ou l’exercice d’une pression abusive en vue d’obtenir des adhésions à une église ».
De plus, il faut rappeler que la liberté de manifester sa religion ou ses convictions peut faire l’objet de restrictions qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publique ou à la protection des droits et libertés d’autrui (article 9-2 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales).
C’est dans ce contexte qu’en France la loi n°2001-504 du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales a été voté afin de voir condamnées les pressions graves ou réitérées portées à la conscience d’autrui de manière abusive et répétée.
C’est également dans ce contexte que la loi n°2004-228 du 15 mars 2004 encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics a créé l’article L 141-5-1 du Code de l’Education qui dispose :
« Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.
Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève. »
On ne rappellera jamais assez que le Conseil d’Etat a eu l’occasion de se pencher sur l’interprétation de cet article dans l’affaire n° 269077 en date du 8 octobre 2004 dans laquelle l’Union Française pour la Cohésion nationale contestait une interprétation de ces signes et tenues par le Ministre, et qu’il a fixé de façon très claire les principes suivants :
« Considérant qu’en rappelant que la loi du 15 mars 2004 interdit, dans les écoles, collèges et lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse, et en donnant comme exemples de tels signes ou tenues, le voile islamique, la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive, reprenant ainsi ceux cités lors des travaux préparatoires de cette loi, le Ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche a précisé l’interprétation de ce texte qu’il prescrit à ses services d’adopter ; que le Ministre n’a ainsi ni excédé ses compétences, ni méconnu le sens ou la portée des dispositions de la loi du 15 mars 2004 ; qu’il n’a pas davantage méconnu les dispositions de l’article 16 du code civil interdisant toute atteinte à la dignité de la personne ;
Considérant que la circulaire attaquée a été prise en application de la loi du 15 mars 2004 dont, ainsi qu’il vient d’être dit, elle s’est bornée à rappeler et expliciter les termes ; que, par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, des articles 5 et 13 du préambule de la Constitution de 1946 et de l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 sont inopérants ;
Considérant que les dispositions de la circulaire attaquée ne méconnaissent ni les stipulations de l’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni celles de l’article 18 du pacte international des droits civils et politiques, relatives à la liberté de pensée, de conscience et de religion, dès lors que l’interdiction édictée par la loi et rappelée par la circulaire attaquée ne porte pas à cette liberté une atteinte excessive, au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans les établissements scolaires publics ;
Considérant que les moyens tirés de ce que la circulaire attaquée méconnaîtrait les stipulations des articles 10 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, relatifs à la liberté d’expression, de réunion et d’association ne sont assortis d’aucune précision permettant d’en apprécier le bien-fondé et ne peuvent donc, en tout état de cause, qu’être écartés ; «
Il est donc clair que si l’expression des convictions religieuses est un droit, elle ne peut se faire de manière ostentatoire ou abusive et empêcher l’expression d’opinions contradictoires.
Cependant, il serait illusoire de croire que, malgré ce socle législatif et jurisprudentiel solide, on peut prévenir et empêcher des attitudes ou des réactions disproportionnées ou abusives, feintes ou réelles, physiques ou verbales parmi les adolescents qui peuplent nos classes.
Alors, comment réagir face à une agression physique ou verbale violente sur un tel sujet ?
II) Avoir la bonne réaction
Lorsqu’un conflit de ce type survient, l’enseignant est bien souvent désarmé face à l‘Administration, aux familles, voire aux avocats de ces dernières, et trop souvent, parce qu’il est peu habitué à ce genre de situation, il est amené à sur ou sous réagir.
Sur-réagir consiste à donner plus d’importance à un événement qu’il n’en a.
Bien sûr, certaines situations, telles des violences physiques sur votre personne, appellent une réaction immédiate et justifient pleinement un dépôt de plainte.
Mais d’autres, telle l’agression verbale, ne méritent pas un tel traitement si elles restent un cas isolé d’autant que si, bien souvent, le dépôt de plainte est vécue comme libératoire, rien ne dit qu’il sera couronnée de succès, la réalité des faits étant bien souvent difficile à établir.
De plus, cette plainte aura pour conséquence de crisper l’Administration et de rompre le dialogue avec celle qui reste, tout de même, votre employeur.
Un enseignant, titulaire ou non, est investi d’une mission de service public et a des moyens à sa disposition, tel le conseil de discipline, pour résoudre un conflit avec un élève.
Il faut donc les utiliser en priorité.
Bien sûr, il faut pour cela que le supérieur hiérarchique ou le Chef de service veuillent réagir et qu’ils le fassent de façon appropriée.
Mais encore faut-il leur en laisser le temps, ce qui ne sera pas le cas si vous vous précipitez au commissariat de police dès la sortie des cours ou du bureau du Chef d’établissement.
Un peu de sang-froid et de patience donc.
Sous-réagir, c’est ne pas fixer de limite à ce qui n’est pas acceptable ou ne l’est pas dans l’exercice de son activité professionnelle au regard de ses droits et obligations de fonctionnaire.
Sous la pression de la hiérarchie, et c’est tout particulièrement flagrant dans certains départements ou académies un peu sensibles dont l’Administration souhaite ménager les statistiques sur la violence scolaire, l’enseignant est bien souvent amené à sous-réagir face à une agression physique ou verbale grave, quand il n’est pas tout simplement culpabilisé.
Or, trop souvent, de telles pressions sont ressentie comme un échec et mène au doute, voire à l‘isolement alors même que la demande était parfaitement justifiée.
De plus, une telle réaction enhardit les coupables ou leurs camarades ce qui ne peut que faire empirer la situation à la longue.
C’est pourquoi, si la volonté de la hiérarchie de relativiser ce genre d’évènement peut être compréhensible sur un plan politique, l’absence totale de réaction voir le désir de dissimuler de tels agissements, n’est pas admissible et doit appeler une réaction vive de la part de la victime et de ses collègues.
Qu’elle est donc la bonne réaction ?
Elle consiste tout d’abord à ne pas réagir dans l’instant mais à se donner du temps pour réfléchir à la situation et se demander comment la traiter.
Interrogez-vous sur la pertinence de vos propos ou de votre attitude au regard des droits fondamentaux des élèves et ne culpabilisez pas si vous en arrivé à la conclusion que vos propos étaient de l’information ou une invitation à la réflexion et non une provocation.
Demandez l’avis de vos collègues, prenez l’avis d’un représentant syndical ou de l’autonome de solidarité ; même si vous n’êtes pas adhérent, ils vous conseilleront, du moins au début.
N’écrivez pas tout de suite et ne vous précipitez pas au commissariat de police le plus proche.
En résumé, analysez le problème et calmez-vous.
Dans un second temps, établissez un rapport circonstancié des faits et faites le enregistrer au courrier arrivé ou envoyez-le par lettre recommandée avec accusé de réception. Tenez-vous en aux faits et évitez d’y faire figurer des appréciations personnelles.
Pensez à réunir rapidement les témoignages ou les éléments matériels de preuves et ne tardez pas à faire constater des violences physiques par un médecin afin qu’il vous délivre un certificat médical.
Prenez le temps de bien lire les textes de droit auxquels vous comptez vous référer et faites attention à leur rédaction :
· Les termes principalement et à titre indicatif signifient que la règle de droit supporte des exceptions ou une autre interprétation,
· Les mentions de droit ou de plein droit font qu’on ne peut vous refuser le droit dont il est question,
· Mais, l’utilisation du verbe pouvoir signifie qu’un droit peut vous être refusé sans justification particulière
· Enfin, souvenez-vous que la notion d’intérêt du service est pratiquement toujours interprétée à l’avantage de l’Administration par le Juge.
Si vous vous recherchez la Jurisprudence applicable, vérifiez qu’elle correspond exactement à votre cas, voyez à quel niveau de Juridiction elle a été énoncée (Tribunal administratif, Cour d’appel Administrative, Conseil d’Etat) et vérifiez que le droit qui était applicable à ce cas n’a pas été modifié depuis la date d’introduction de l’affaire devant la Juridiction.
Enfin, n’hésitez pas à demander au greffe une copie (payante) du jugement ou de l’arrêt qui vous intéresse afin de bien avoir tous les considérants de la décision si celui-ci n’est pas disponible sur http://www.legifrance.gouv.fr.
Laissez à l’Administration le temps de réagir à vos demandes écrites, le délai raisonnable dans la plupart des affaires étant de quinze jours. Passé ce délai, vous pourrez légitimement agiter, y compris par écrit, la menace du dépôt de plainte.
Essayez de résoudre le problème à l’interne et, au besoin, prenez rendez-vous avec le Directeur des Ressources Humaines du rectorat ou de l’inspection académique et rencontrez-le seul ou accompagné d’un délégué syndical pour lui exposer votre vision de la situation.
Gardez à l’esprit que les marges de négociations sont parfois limitées, non pas par mauvaise foi mais tout simplement parce qu’il est légalement impossible de faire autrement ou que l’exception à la règle n’est pas possible vis-à-vis de vos collègues (en principe). Ayant des exigences fortes en début de négociation mais acceptez de les rabaisser par la suite, une négociation administrative au résultat moyen valant mieux qu’une procédure juridique sans résultat.
Evitez d’évoquer trop rapidement un harcèlement moral. La volonté de porter plainte pour harcèlement moral est actuellement très en vogue mais, dans la plupart des affaires, le Juge considère que ce ne sont que des relations de travail tendues ou une autorité hiérarchique exercée normalement mais mal vécue. Les victoires étant encore rares, prenez donc conseil.
Enfin, n’hésitez pas à demander la protection juridique du fonctionnaire au titre de l’article 11 de la loi n°84-16 du 16 janvier 1984, d’autant que cela sera interprété comme la volonté de poursuivre l’affaire. Cela étant, après cette nouvelle progression dans l‘aimable pression faite sur l‘Administration, sachez à nouveau lui laisser le temps de réagir et de prendre conscience de votre détermination.
En revanche, si malgré toutes ces démarches, l’Administration persiste à ne pas réagir, vous pourrez utilement déposer plainte et engager une action juridique, mais à deux conditions :
· Le dépôt de plainte n’étant pas un acte anodin et n’étant pas forcément la réaction la plus appropriée dans un environnement de travail, vous prendrez la précaution de consulter préalablement un Juriste.
· Vous envisagez le retrait de votre plainte ou de votre procédure juridique en cas d’évolution favorable de la situation, ce qui vous épargnera une éventuelle déconvenue et sera favorablement reçu par l’Administration.
En effet, mieux vaut privilégier la négociation au passage en force, à la condition bien évidemment qu’on vous écoute.
Laurent Piau, juriste, est l’auteur de l’ouvrage Le Guide juridique des enseignants aux éditions ESF
Sur cet ouvrage :
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