Par François Jarraud
Alors que les invités de la « concertation » ministérielle entament le 10 juillet leur première vraie journée de travail, des établissements montrent que le changement est possible. A l’école élémentaire Labori de Paris, tout a basculé très vite. L’équipe pédagogique mène seule sa conduite du changement. Comme Célestin Freinet, elle invente au jour le jour avec les enfants une école qui fait société.
« Ca s’est fait très vite parce qu’il y avait la volonté de le faire ». Françoise Salmon, directrice de l’école Labori dans le 18ème arrondissement ne se met pas en avant. Pourtant l’arrivée de cette ancienne formatrice, rompue aux méthodes Freinet, a du catalyser les envies. « Les collègues ont choisi le métier et aussi l’enseignement dans un quartier populaire », explique F Salmon. « Certaines avaient fait des expériences : un mémoire sur une méthode Freinet, un passage dans la classe d’un formateur GFEN par exemple. Mais l’élément le plus important c’est l’envie de faire quelque chose ensemble pour pacifier l’école ». Sans doute, il reste aussi chez ces enseignantes l’envie de changer le monde, d’allumer chez les enfant la petite flamme d’un autre possible…
Petite méthode du changement…
Située en zep, surplombée par les HLM des années 1930, l’école avait des problèmes avec des parents et un climat scolaire dégradé. « Les élèves n’étaient pas dans le travail, les parents n’étaient pas accueillis », résume F Salmon. « Il nous est apparu tout de suite que le B A BA de la pacification, c’est que les enfants soient mis au travail. On a fait appel à ce qu’on connaissait de la pédagogie Freinet pour atteindre ce but ».
Guidée par sa directrice, l’équipe s’est formée sur le tas. « Tout s’est fait en interne à travers le conseil des maîtres », explique F Salmon. Les enseignants ont décidé d’expérimenter ensemble les institutions Freinet. Il y a bien eu un stage à Nantes pour une partie de l’école, mais sur les congés scolaires, sans rien demander à personne. « Au bout d’un trimestre on avait mis les élèves au travail et fait baisser la violence dans la cour de récréation ». On n’en saura pas beaucoup plus sur la façon dont les enseignantes ont vécu le changement. Ni sur ce qui a permis de souder un groupe de d’enseignantes d’âge et d’expérience variables.
Et l’article 34 ? L’école fait partie des établissements déclarés officiellement comme expérimentaux. Alors que souvent on l’utilise pour régler des questions de dotation horaire, à Labori l’article 34 n’a pas apporté grand chose en terme de moyens. Mais il est perçu comme un bouclier pour que l’équipe puisse continuer à construire sa loi.
Pas de baguette magique
Ce changement durable s’appuie sur les outils Freinet. L’école a son conseil de délégués et chaque classe son conseil. « Les conseils se réunissent tous au même moment pour toutes les classes ». Cela permet de régler les problèmes entre des élèves de classes différentes. L’école a adopté la méthode du « message clair » de Sylvain Connac. « Les enfants mettent des mots sur leurs émotions. Cela nous a permis de former et mettre en place des médiateurs. Ca a bien apaisé la cour de récréation », explique F Salmon. Au conseil, les enfants font des propositions. Ils peuvent aussi critiquer ou féliciter.
« Les enseignants ont souvent peur de donner la parole aux élèves car ils croient que cela remet en cause leur autorité. Mais c’est tout le contraire. L’enseignant est celui qui permet que ça existe, qui autorise la règle et cela la fonde très fermement ». Les propositions des enfants sont inscrites dans un cahier et remontent au conseil des maîtres avant de passer au vote. Le conseil des maîtres autorise ou pas. « Cette année on a eu à décider sur les jeux de toupies dans la cour de récréation. On a autorisé les toupies en bois, interdit les autres en expliquant que c’est source d’histoires. Et invité les élèves à travailler sur leur fabrication dans des pays où les enfants travaillent… ». Les délégués de classe font appliquer les propositions votées en conseil. Là aussi un cahier enregistre les demandes et leur suite.
La question des toilettes…
Dans les classes bien d’autres éléments symbolisent le changement. Les élèves travaillent pour remplir leurs brevets. Les progrès sont validés et affiché sans que cela pose problème : dans la classe multi niveaux, chacun a la garantie d’y arriver à son rythme. Les responsabilités sont partagées dans la classe pour l’appel, l’entretien de la sale et du matériel etc. Un panneau recueille « les questions que l’on se pose ». On note en cycle 2 « Est-ce que quelqu’un est déjà allé sur Mars ? Pourquoi Van Gogh a eu l’oreille coupée ? ».
Les questions liées aux toilettes sont souvent très représentatives du fonctionnement de l’école. A Labori, la libre circulation vers les toilettes est régulée par une signalétique et des règles que les enfants connaissent. La signalétique permet au professeur de savoir où est chaque élève. « Les toilettes sont le seul endroit où les enseignants ne surveillent pas. C’est le lieu où l’on peut déroger à la règle. Et ces dérogations sont liées à son acquisition ». La régulation passe par l’explication, le filtrage des entrées et les fiches de réflexion. En cas de bêtise l’enfant est appelé à remplir une « fiche de réflexion » où il explique pourquoi il a dérogé à la règle et à proposer quelque chose pour ne pas recommencer.
L’Ecole, ses résultats et le loi de la cité
Ce changement a-t-il relevé le niveau des élèves ? La question est difficile et la réponse basée sur des évaluations nationales très critiquées n’est pas très claire. « Ce qu’on remarque au collège », nous dit F Salmon, « c’est que nos élèves sont organisés, qu’ils ont l’habitude de travailler, de s’exprimer et de poser des questions ». Mais il n’est pas certain que le collège tienne à ces qualités…
Les résultats se lisent aussi dans le cahier des délégués où s’inscrivent les demandes des élèves et ce qu’il en est advenu. Cette année les élèves ont demandé et mis en place des lectures faites par les cycle 3 pour les cycles 2 et par les Cp-ce1 pour les GS. Les cycle s3 ont obtenu l’ouverture de la salle de dessin avec un médiateur pour veiller au respect des règles. Ils ont géré le planning d’utilisation des trottinettes dans la cour de récréation. Par contre la demande de présenter à toute l’école les exposés des élèves cherche encore une solution.
Les élèves sont-ils durablement marqués par la méthode Labori ? « Ca serait une utopie de croire que la loi de l’école puisse s’imposer dans la cité », estime F Salmon. Mais celle-ci ne se sort pas indemne de la confrontation avec la démocratie scolaire sauce Labori. Le carcan de la loi divine, le poids des interdits familiaux sont efficacement contestés par l’apprentissage de la loi qui est fait par les enfants.
La refondation
Bien qu’ils aient fait le changement tout seuls dans leur coin, les enseignantes de Labori attendent beaucoup de la refondation. « Il faut partir du socle et de ses objectifs », demande l’une. Justement c’est une des questions du 10 juillet…
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