Par Gilbert Longhi
Qui s’intéresse au Principal de collège Pierre-Jean Briard ? Il n’est pourtant ni incorporel ni intemporel, mais il ne correspond à aucune des définitions qui s’étalent dans les circulaires dithyrambiques du ministère le décrivant comme représentant de l’État. Représentant de l’État ; certes ! mais sans les fastes de la République. Pierre-jean Briard, se transforme à la demande en opératrice de saisie, standardiste, archiviste, vaguemestre ou surveillant de récré. Ses dossiers dépassent d’une armoire brinquebalante aux étagères atteintes de strabisme. Son bureau déborde d’emballages : dans ce carton de Thon à l’huile on trouve les livrets de sixième et les Pâtes aux œufs frais, c’est le Brevet. Un tel dénuement ne prête pas à conséquences et crée même le pittoresque de l’établissement. Ici c’est la débrouille, avec un adjoint en congés de longue durée non remplacé, une infirmière à temps partiel, pas d’assistante sociale, une secrétaire dysorthographique, un conseiller d’éducation tétanisé par les élèves, une attachée d’intendance frigorifiée sous son châle, un cuisinier pochard et un gardien atrabilaire. Alors, Bernard Briard maintient son collège en état de marche à grand renfort de stagiaires, de contractuels et d’emplois-aidés.
Le chef d’établissement n’est jamais assis que sur son cul…
Sous l’État RPR, le chef d’établissement n’avait pas de statut spécifique, il restait un enseignant coopté par l’administration. Sa capacité à faire descendre l’autorité académique vers les professeurs était sa principale mission. Le printemps 68 a atténué ce schéma ; mais, bon an mal an, durant la décennie suivante, les proviseurs sont restés des caciques. Les années quatre-vingts ont appelé les masses dans les lycées qui en 1985 se sont transformés en EPLE dont le chef (représentant de l’État) doit installer une autonomie toute relative. Il s’agissait d’absorber cette massification tandis que la loi de juillet 89 imposait la pratique du projet d’établissement dont le proviseur devenait idéalement le pilote… Durant les années quatre-vingt-dix, les chefs d’établissements (notamment dans les zones en difficulté) étendaient leurs compétences au-delà de la scolarité. Ils assument depuis des missions d’insertion, de prévention, d’encadrement de la parentalité, de partenariat avec la police… et d’alliance avec les entreprises particulièrement pour aider les élèves en échec scolaire. À cette période apparaît clairement un clivage dans la nature même des fonctions entre les chefs d’établissements plébéiens et ceux des lycées huppés.
À l’aube des années deux mille, dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) un chef d’établissement se doit de comprimer les options, réduire les filières, calculer des diminutions horaires… S’il veut un avenir professionnel, il doit se fait technocrate de la rigueur budgétaire appliquée à l’école. Sans véritablement être imprégné par l’histoire de leur corporation, en 2012, la plupart des treize mille chefs d’établissement (et adjoints) pratiquent un management empirique et sont très peu enclins à analyser leur mode de gouvernance. Cependant quelques proviseurs (et principaux) auraient intérêt à méditer la réflexion de Montaigne lorsqu’il précise très crûment que sur le trône le plus élevé du monde, on n’est jamais assis que sur son cul. Les dix « conseils » qui suivent proposent juste un regard déontologique sur l’exercice normal du service public dans l’accomplissement des responsabilités courantes d’un chef d’établissement.
Premier conseil : Renoncer à une gouvernance clanique
Un chef d’établissement gouverne parfois en constituant une coterie autour de lui. Son mode de direction n’est alors que l’instrumentalisation de quelques courtisans servant son image et sa carrière contre de petits avantages. Parfois, ces mœurs passent pour une belle culture d’établissement, alors qu’elles ne sont qu’une connivence entre affidés.
Deuxième conseil : Évaluer en conscience
Outre la prudence nécessaire concernant la sûreté de l’outil d’évaluation, tout chef d’établissement devrait veiller à ne pas déprécier la personne qu’il évalue. Il lui appartient de se libérer de toute interférence affective et de toute préoccupation liée à son image ou à l’opinion qu’il veut donner de lui à sa propre hiérarchie.
Troisième conseil : Informer sans calcul
L’information que détient un chef d’établissement en certains domaines lui donne un pouvoir. La tentation peut naître de s’abandonner à une forme de gouvernance par rétention, omission, instillation… Il n’y a aucune sorte de Raison d’État invocable en administration scolaire.
Quatrième conseil : Différencier la fonction et la personne
On peut confondre commander avec du tempérament et diriger avec compétence. Quelques proviseurs (principaux) subjectivisent leur fonction. L’exercice de l’État dans un établissement ne saurait ressembler à une mise en scène de la personnalité ou du personnage du chef.
Cinquième conseil : Pratiquer une écoute maîtrisée
On peut être dépassé par les confidences que l’on reçoit. Un proviseur (principal) est nécessairement le réceptacle d’épanchements. Après un accueil de bon aloi, il s’agit pour lui d’amener les gens à limiter leurs déclarations au champ des relations professionnelles.
Sixième conseil : Accueillir le changement et l’expérimentation
Quand des enseignants impulsent des innovations, leur direction peut être tentée de se rétracter. Nombre de chefs d’établissement allèguent l’impossibilité des expérimentations uniquement pour préserver leur tranquillité. L’exercice de la responsabilité ne devrait pas développer un certains penchant pour le conservatisme et la stagnation.
Septième conseil : Articuler éthique et subordination hiérarchique
Un chef d’établissement devrait être capable de refuser toute subordination susceptible d’empêcher la neutralité de ses actes. Dès lors, un conflit peut exister entre une aspiration éthique et un certain pragmatisme (ou opportunisme). Pour un avantage (promotion, mutation, distinction, mission) un individu peut-il se laisser aller à négliger les questions de principe ?
Huitième conseil : Être confraternel avec les pairs
Un proviseur peut connaître des situations qui transforment ses pairs en rivaux (par exemple : répartitions des moyens, création d’options…). En l’occurrence, un comportement déontologique devrait primer sur les aléas concurrentiels. Dans le même ordre d’idée, un chef d’établissement ne saurait tenter d’influencer ses supérieurs, ou quiconque, en émettant des opinions péjoratives au sujet d’un collègue.
Neuvième conseil : S’interdire les passe-droits
Un chef d’établissement ne saurait faire bénéficier sa parentèle, (ses proches ou des tiers recommandés…) de priorités indues en divers domaines (recrutement, gestion de carrière, choix de cursus, affectation en établissement…).
Dernier conseil : Ne pas confondre transparence et communication
Tout chef d’établissement doit trouver un équilibre entre la discrétion utile à certaines actions et l’information nécessaire au respect et à la dignité de tous. Parfois la communication intense n’est qu’une phraséologie déloyale.
Gilbert Longhi
En cette période de rentrée, retrouvez nos fiches conseils tous les jours du lundi au jeudi.