Benoît Galand, Cécile Carra reviennent sur les liens entre l’évolution du comportement des élèves, relation pédagogique, et fonctionnement d’établissement dans la genèse de la violence scolaire.
Le titre de l’ouvrage en donne l’objectif : il s’agit de prévenir la violence à l’école. Mais l’école peut elle toujours faire cela ? N’y a t il pas des facteurs qui lui échappent ?
Il y a certainement des facteurs qui échappent à l’action des équipes éducatives, mais il y a aussi des facteurs sur lesquels ces équipes peuvent agir. Le choix de l’ouvrage est de s’intéresser à ces facteurs en particulier. Les violences à l’école sont en partie la résultante de ce qui se passe à l’école, et c’est là-dessus que les professionnels de l’enseignement peuvent avoir une action. Eviter le sentiment d’impuissance, sans faire porter aux écoles la responsabilité de tout ce qui arrive, c’est un des objectifs de l’ouvrage.
L’une des spécificités de cet ouvrage est de rendre compte du rôle de différents acteurs de l’équipe, enseignants, chefs d’établissement, mais aussi agents spécialisés des écoles maternelles ou personnels intervenant désormais dans la régulation des problèmes (comme les médiateurs scolaires). Ajoutons bien évidemment la prise en compte des parents et des élèves. Toute la première partie de l’ouvrage leur est consacrée analysant la manière dont les acteurs eux-mêmes définissent le ou les problèmes, et comment leur expérience est façonnée par les questions de discipline et d’ordre scolaire. La deuxième partie porte sur le rôle du contexte scolaire puisque le parti pris de cet ouvrage est d’aborder ces questions principalement sous l’angle de ce qui se passe à l’école et dans la classe, plutôt que sous l’angle des difficultés individuelles des élèves. Elle pose la question des facteurs explicatifs du phénomène, afin d’en mesurer au plus près les effets spécifiques et de tirer au clair le rôle de différents éléments dans l’exacerbation ou l’apaisement des problèmes. Ces deux premières parties permettent de poser un diagnostic, incontournable pour pouvoir agir.
Sous prétexte de prévention, récemment on a vu à plusieurs reprises poindre des programmes de détection des enfants susceptibles d’être violents. Quelle est votre position sur ce sujet ?
Notre propos est surtout de discuter de recherches récentes qui s’intéressent aux liens entre le fonctionnement quotidien des écoles (gestion de la discipline, pratiques pédagogiques, politique de formation, etc.) et les manifestations de violence. Il s’agit de comprendre comment ce fonctionnement peut être aménager ou améliorer pour avoir une action préventive. La question du dépistage dépasse le cadre de ce livre et implique notamment les professionnels de la santé mentale et de la protection de le jeunesse. Ceci dit, en apportant un éclairage international, l’ouvrage met aussi en lumière les spécificités du débat sur ce sujet en France.
Plus largement, et nous reprenons là un point essentiel apparaissant à la lecture de l’ensemble des contributions, cet ouvrage montre l’importance d’évaluer non seulement l’évolution du comportement des élèves, mais aussi ce que ce comportement doit au type de relation pédagogique, à une posture professionnelle de l’enseignant, ou encore à un fonctionnement ou à un « climat » d’établissement. Par la diversité des approches qu’il présente, cet ouvrage défend ainsi la nécessité d’articuler ces deux niveaux complémentaires : les comportements individuels et les contextes dans lesquels ils prennent sens. Toute la troisième partie aborde cette question du « Que faire? » puisqu’elle se penche sur les modes d’intervention et d’action actuellement proposés et débattus. À travers des angles d’approches variés, les contributeurs élargissent considérablement le champ des perspectives d’action, apportant des éclairages sur la construction d’une autorité, tant dans les pratiques professionnelles que dans la formation ou encore sur les effets de projets collectifs et le rôle de l’adhésion des membres de l’équipe.
Un autre terme intéressant c’est que vous parlez de « violences à l’école » et non de violence scolaire : pourquoi ?
A la fois parce que la violence peut prendre des formes très différentes : physiques, verbales, psychologiques, institutionnelles, etc. Mais aussi parce que sa définition et sa perception peuvent varier selon les acteurs : ce qui « fait violence » à un enseignant n’est pas nécessairement ce qui « fait violence » à un élève ou à un parent par exemple.
Cette terminologie est par ailleurs suffisamment large pour permettre aux auteurs des contributions de rendre compte d’approches spécifiques (en sociologie, psychologie, criminologie, sciences de l’éducation, pédagogie ou encore philosophie et histoire) et, ce faisant, mettre à jour des processus particuliers favorisant ou réduisant le développement des violences à l’école. A la lecture de cet ouvrage, on se rend compte que ces approches se complètent pour éclairer des situations problématiques et que finalement la « violence » est à la fois un fait et son vécu, un vécu et une perception. On ne peut se limiter à compter des faits, il faut également prendre en compte la manière dont ils sont vécus, d’une part pour rendre compte du phénomène et d’autre part pour construire des stratégies d’action.
Peut on citer, dans l’institution scolaire, des facteurs organisationnels facilitant cette violence scolaire ?
Plus que de lister des facteurs, l’ouvrage cherche à comprendre les processus en jeu, notamment ceux liés au climat scolaire, à l’échec et à la relégation, à la cohérence des équipes, à la gestion des incidents disciplinaires. Nous avons aussi voulu apporter de nouveaux éclairages avec des contributions qui s’intéressent aux conséquences du fait d’être témoin de violence à l’école, même sans être directement impliqué ; qui examinent les liens entre la perception par l’élève de son environnement scolaire et son implication dans des interactions violentes (comme auteur ou comme victime) ; ou encore qui mettent en lumière l’influence spécifique du contexte de la classe (composition du public d’élèves, pratiques enseignantes) sur l’intensité du bullying ou « harcèlement » entre élèves.
Dans la classe, quelles pratiques pédagogiques exposent aussi a cette violence ?
Les études présentées dans l’ouvrage montrent bien qu’il n’y a rien de mécanique. Néanmoins, très schématiquement, il apparaît qu’il y a davantage d’agressivité dans les classes où les adultes sont moins vigilants quant aux interactions entre élèves, confient moins de responsabilités aux élèves, ont des comportements discriminatoires ou humiliants. Certaines pratiques peuvent au contraire contribuer à l’instauration d’un climat convivial, y compris pour faire face aux problèmes quand ils surgissent. Autrement dit, pour les auteurs de l’ouvrage, la prévention ce n’est pas seulement réduire l’apparition des problèmes, c’est aussi mettre des choses en place anticipativement, pour pouvoir réagir sereinement quand des problèmes apparaissent.
Peut on dire que toute évaluation est un élément de violence ?
Certainement pas, l’évaluation fait partie intégrante du processus d’apprentissage. Ce qu’on peut interroger, c’est le contenu des évaluations (évalue-t-on bien les objectifs annoncés et ce qui a été enseigné?), leur fréquence, leur forme (quelles informations les élèves reçoivent-ils en retour et comment sont-elles communiquées?) et leurs finalités (réguler les apprentissages, sélectionner, certifier, orienter, …?).
La manière dont l’évaluation scolaire s’effectue, ses effets doivent en effet être interrogés. Elle peut être source de violence, disqualifiant les élèves jusqu’à parfois les humilier, ou, pour le moins, contribuant à développer un sentiment d’injustice chez les élèves obtenant de mauvaises notes et de mauvaises orientations, se retrouvant finalement relégués dans des « mauvaises » classes. Elle relève d’un fonctionnement institutionnel qui sacrifie des catégories d’élèves (et au delà des catégories sociales), mais aussi de jeunes enseignants, qui se retrouvent plus souvent à enseigner dans ces classes, démunis, impuissants et tentant de survivre dans ces situations.
Vous dites que replacer les apprentissages au centre est un moyen de lutte contre la violence à l’école. Que voulez vous dire ?
Pour le dire de façon lapidaire, plus on arrive à proposer des activités qui mobilisent les élèves sur les apprentissages, moins les élèves mettront d’énergie dans des comportements « perturbateurs ». C’est aussi une manière de redire que l’instruction constitue le coeur du métier d’enseignant, et que la qualité de celle-ci est le premier levier d’action des enseignants, même si ce n’est pas le seul.
Les apprentissages (scolaires) contribuent à la socialisation des élèves. Ils donnent sens à leur présence à l’école. Les élèves les plus éloignés de la culture scolaire sont aussi ceux dont les parents pensent encore que l’école reste un moyen pour avancer dans l’échelle sociale. Reléguer au deuxième plan cette dimension du métier d’enseignant, c’est, de fait, abandonner à leur destin social des catégories entières de population ; en tout cas, c’est ainsi que peuvent le vivre les parents ; les enfants, en grandissant, s’en rendent compte. C’est aussi sur cette dimension que se développe un sentiment d’injustice grandissant et une adhésion au système s’amenuisant, favorisant des manifestations de violence. Reléguer au deuxième plan cette mission du métier d’enseignant constitue également une véritable souffrance pour les enseignants s’épuisant à instaurer un ordre scolaire pour pouvoir enseigner.
A t on des exemples concrets d’écoles qui aient fait baisser sensiblement la violence ? Et comment ?
Oui, une des contributions en rend compte. Elle vient étayer l’importance de l’implication des élèves dans leur travail dans la régulation des violences, de la responsabilisation des élèves dans l’instauration de conditions propices aux apprentissages et sur le rôle d’une mobilisation collective des acteurs scolaires. Cette contribution est significative d’un point de convergence de l’ouvrage : l’évolution des comportements des élèves est inséparable des apprentissages, eux-mêmes étroitement liés à la conduite de classe par les enseignants. Cette conduite de classe ne peut se résumer à des « techniques de gestion des conflits », mais repose plus largement sur la construction de pratiques pédagogiques signifiantes et propices aux apprentissages des élèves. Le deuxième point de convergence est l’importance de la cohérence du travail éducatif ; celle-ci repose sur un travail d’équipe et un projet d’établissement capable de poser des jalons, non seulement en termes d’apprentissages sociaux mais aussi scolaires, les uns étant étroitement imbriqués aux autres. L’interrogation sur les conditions organisationnelles propices au développement de cette cohérence éducative est à cet égard plus que jamais incontournable. Il s’agit de prendre en compte le fait que la prévention de la violence à l’école ne repose pas seulement sur des « qualités » individuelles (plus ou moins développées en formation) mais aussi sur des modes de fonctionnements collectifs offrant un cadre à la fois soutenant et structurant.
Vous invitez à la formation des enseignants. Mais ou peuvent ils le faire aujourd’hui ?
Le livre fourni plusieurs exemples de lieux et de dispositifs de formation, en France et dans d’autres pays francophones. S’il y a certainement des choses à faire au niveau de la formation initiale et continuée, ce ne sont pas les seules pistes existantes. Se réunir entre collègues pour analyser une situation difficile, lire des ouvrages scientifiques, se documenter sur Internet, rencontrer des personnes qui essayent d’autres pratiques, participer à un atelier organisé par un mouvement pédagogique, peuvent être autant d’occasions de co- et d’auto-formation. Le gain en termes de confort de travail et de professionnalité ne vaut-il par le temps qui y est consacré?
L’état des lieux inédit des recherches concernant la formation des enseignants à la prévention des violences met en évidence des consensus sur les contenus, tout en faisant émerger des divergences sur les conceptions du métier d’enseignant et les représentations d’élèves. Il fait apparaître une ligne de tension, touchant la finalité de l’action, traversant toute tentative de prévention et de traitement de la violence à l’école. Vise-t-on à changer les individus afin qu’ils s’adaptent au fonctionnement de l’école, qu’ils trouvent leur place dans l’ordre social existant ; ou vise-t-on à faire évoluer l’ordre scolaire afin que chacun puisse y jouer un rôle actif et peser sur la construction d’une future société ?
Propos recueillis par François Jarraud