Le rapport de l’Inspection générale sur le plan de développement des usages du numérique lancé par Luc Chatel en 2010 conclue à sa faillite sur la totalité de ses objectifs : formation des enseignants, mise à disposition de ressource, généralisation des ENT et relations avec les collectivités locales. Au moment où la concertation nationale travaille sur le numérique ce rapport apporte un éclairage important sur les échecs passés. Il reste à imaginer l’avenir…
Rappelons nous : 25 novembre 2010, dans le cadre du salon Educatice, Luc Chatel lance un nouveau « plan de développement des usages du numérique » (DUNE). Il veut « changer de braquet » et le plan est « une formidable opportunité d’élargir la possibilité d’enseigner et d’améliorer la personnalisation et le suivi des élèves ». Mis en cage par les restrictions budgétaires, Luc Chatel semble vouloirs associer son nom à une véritable action en faveur du développement des TICE. Il annonce 60 millions de crédits dont 46 pour l’achat par les établissements de ressources numériques sur 3 ans. Il promet un accord avec les collectivités locales sur les ENT et la maintenance.
Echec sur toute la ligne
Deux ans plus tard, le rapport dirigé par les inspecteurs M Pérez et P Fortsmann dresse un bilan très négatif du plan DUNE. » Les conditions de pilotage national de ce plan n’ont pas permis que ces objectifs soient atteints », affirme le rapport qui incrimine « les contraintes financières, limitant le budget à 30 M€ pour les trois ans ». Mais de fait les causes sont bien plus profondes puisque ce budget limité n’a même pas été dépensé !
Le premier facteur d’échec a été » la concertation trop tardive avec les représentants des collectivités territoriales ». La formule laisse à entendre que la concertation s’est installée ce qui reste à démontrer. Dans au moins un tiers des académies les relations entre collectivités locales et rectorat sont mauvaises. L’accord sur la maintenance des matériels reste à faire. Les régions la revendiquent pour les lycées mais contre compensation financière. Le rapport signale que l’effort de formation des enseignants par l’Etat n’a pas suivi les investissements des collectivités.
Les ENT remis en question
Pour la première fois, un rapport officiel critique ce qui a été le fer de lance des politiques menées durant une décennie, les espaces numériques de travail (ENT). Lancée il y a plus de 10 ans, leur généralisation est toujours attendue. Malgré leur coût, pris en charge par les collectivités locales, les usages sont faibles. « Là où ils existent, les ENT sont en général peu utilisés par les enseignants, sauf pour la vie scolaire ; ils leur préfèrent d’autres services numériques », note le rapport. » Les débits sont en effet jugés le plus souvent insuffisants, les connexions aléatoires et les procédures d’identification dissuasives.. L’ENT, dans ses conditions de mise en oeuvre actuelle, ne favorise pas les pratiques pédagogiques innovantes ». L’ENT « est perçu comme une contrainte »
Les ressources offertes délaissées
Plus surprenant peut-être pour le contribuable moyen, le rapport montre l’échec du catalogue de ressources proposées gratuitement aux établissement. Finalement le plan a été réduit à 8 millions soit 500 € pour les écoles et 1000 à 2500 € pour les établissements. Or fin juin 2012 seulement 3 millions d’euros ont été dépensés. » La perspective d’un chèque ressources de 1 500 € ne semble pas provoquer un grand enthousiasme », note le rapport. Il met en cause l’ergonomie de la plateforme et l’accompagnement insuffisant des établissements et le faible intérêt pour les manuels numériques.
Les référents TICE
La plan prévoyait le remplacement des personnes ressources par des « référents TICE » dans chaque établissement secondaire. » En février 2012, on ne trouvait dans aucune des six académies visitées un référent numérique dans chaque établissement. La liste est rarement complète et reste mouvante : dans une académie visitée, une proportion importante de démissions a été enregistrée quelques mois après les désignations », note le rapport. A cela une raison simple : le faible volume de la rémunération de la fonction.
Les préconisations sont-elles à la hauteur de l’échec ?
Au terme de ce tableau d’un échec global des politiques menées depuis plusieurs années, on aurait pu attendre que les préconisations rompent avec elles. Il n’en est rien. L’Inspection continue à proposer un plateforme d’achat unique mais avec un ergonomie améliorée : « un outil pérenne doté d’un dispositif d’infomédiation permettant aux utilisateurs de faire connaître leur appréciation sur chacun de produits proposés ; cet outil aurait vocation à englober tout type de ressource accessible, commerciale ou gratuite ». Elle souhaite s’appuyer sur le réseau des CRDP » comme lieux de concertation et comme instruments de mutualisation, d’échange, de développement et d’appui logistique dans les plans numériques académiques ». Enfin elle demande à « conduire en amont, avant toute annonce ministérielle, les concertations utiles avec les associations représentant les collectivités territoriales et conclure des conventions cadres dès le lancement du plan ». Nous voilà à peu près revenus aux promesses du plan de 2010…
Démocratiser le numérique
Deux facteurs importants d’échec nous semblent sous estimés dans ce rapport. Le premier c’est l’absence de gouvernance sur le dossier du numérique. On peut toujours rêver d’un accord entre collectivités locales et Etat. Il n’y aura toujours au final aucun décideur identifié pour piloter la politique numérique mais des acteurs portés par leurs logiques d’organisation. La question du rapport entre culture scolaire et numérique n’est pas abordée. Pourtant voir que les enseignants, en permanence soumis à une pénurie de moyens, n’acceptent pas ce qui est donné est très éclairant. On peut penser comme le rapport que ça tient à l’ergonomie de la plateforme ou à la qualité des produits. Et si ça tenait à la démocratisation de la décision ? Ou à l’écart entre la pression pédagogique exercée sur les enseignants par l’image du métier véhiculée, les programmes, les horaires et les corps intermédiaires et l’offre numérique ? Plutôt que penser que les enseignants sont passéistes peut-être faudrait-il s’intéresser aux raisons de ces refus d’achat. Alors que se prépare un nouveau plan, une des leçons de ce rapport c’est qu’il serait judicieux d’investir dans ce qui existe, de reconnaître les acteurs existants et reconnus par leurs pairs plutôt que lancer de nouvelles machines bureaucratiques. Pour développer le numérique il faut déjà que ceux qui sont censés le faire sur le terrain y trouvent leur compte matériellement, professionnellement et intellectuellement dans l’exercice de leur métier. Dès que le numérique sera au service des enseignants, le paysage pourra changer. En attendant les intéressés bricolent leurs propres outils…
François Jarraud
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