Par François Jarraud
Débattu au CSE du 24 août 2012, le projet de loi sur les « emplois d’avenir professeur » (EAP) permettant un pré-recrutement des enseignants devrait entrer en application au 1er janvier 2013. Le texte facilitera l’accès au professorat de jeunes issus des quartiers populaires. Le ministère en attend une hausse sensible des candidatures aux concours et la levée de la chape de plomb qui pèse depuis la mise en place de la masterisation sur le recrutement des enseignants. Réponse originale et adroite à une crise bien réelle le texte pourrait aussi avoir des effets pédagogiques positifs.
La crise du recrutement des enseignants est un fait avéré depuis la « masterisation », c’est-à-dire l’obligation faite aux candidats des concours de l’enseignement de posséder un master 2. Elle frappe prioritairement les concours du second degré. En 2011, 826 postes n’ont pas été pourvus au capes externe et 706 encore en 2012. Toutes les disciplines ne sont pas dans la même situation. La crise est particulièrement grave en maths, en lettres (et surtout lettres classiques) et en anglais. En lettres classiques 69% des candidats présents ont été admis. C’est le cas encore en éducation musicale ou en allemand, alors que le taux de réussite habituel tourne autour de 30%. Les raisons sont bien repérées. En élevant le niveau de recrutement, on a raréfié le nombre des candidats potentiels et on a mis l’enseignement en concurrence avec d’autres métiers. A l’évidence ni en terme de salaire, ni en celui d’évolution de carrière, ni même maintenant en ce qui concerne les conditions de travail et l’autonomie, le métier d’enseignant ne peut se comparer avec les postes d’encadrement proposés par des entreprises privées ou d’autres administrations.
Recrutement en L2
Le projet de loi créant des « emplois d’avenir professeur » devrait entrer en application au 1er janvier 2013. C’est en seconde année de licence que seront recrutés les bénéficiaires de ces contrats à raison de 6 000 contrats par an sur trois ans. Pourront en bénéficier des étudiants âgés de 25 ans au plus se destinant aux concours d’enseignant , boursiers et issus des ZUS (zones urbaines sensibles) ou y ayant effectué leurs études . Ils bénéficieront d’une rémunération de 900 euros par an pendant 3 ans cumulable avec les bourses de l’enseignement supérieur. Les bénéficiaires s’engagent à exercer des activités péri-éducatives et pédagogiques, à suivre une formation initiale et à se présenter à un concours de l’enseignement.
Un recrutement populaire pour une Ecole démocratique ?
En facilitant l’accès aux études longues, les EAP visent d’abord à augmenter le nombre de titulaires de master et de candidats aux concours. Il va rechercher les futurs candidats très en amont jusqu’en L2. Ce mode de recrutement au niveau L3 est plus coûteux pour l’Etat que des contrats offerts en M1. Le gouvernement a finalement rendu un arbitrage très favorable en faveur de V. Peillon. Cette longue formation en 3 ans pourrait permettre un apprentissage sur le terrain du métier d’enseignant. Le titulaire d’un EAP bénéficiera d’un tuteur.
Mais le nouveau dispositif va également « populariser » le métier enseignant. Sans qu’on dispose de chiffres précis, la masterisation était accusée, par exemple dans le rapport de la sénatrice B. Gonthier-Maurin, d’avoir « embourgeoisé » la fonction enseignante, du fait de l’allongement de la durée des études. L’arrivée massive de jeunes issus des quartiers aura-t-elle aussi un effet pédagogique positif ? La longue fréquentation des futurs enseignants et des élèves durant les années d’EAP, leur origine sociale pourrait faciliter l’entrée dans le métier. Le regard porté sur l’Ecole pourrait aussi s’améliorer dans les quartiers. En effet le texte prévoit que le recrutement des EAP se fasse directement par les établissements scolaires.
Des inquiétudes
Si l’Unsa Éducation « considère que cela favorisera l’indispensable mixité sociale des enseignants et pourrait permettre de mettre un terme à l’inquiétante désaffection pour les concours », le syndicat s’inquiète de l’encadrement et du suivi des EAP. La FSU « demande des garanties dans la mise en œuvre de ce dispositif : type de travail demandé, obligation de formation, accompagnement sur le terrain, garantie de rémunération, liaison avec l’université afin que les étudiants ne soient pas pénalisés dans leurs études ». Pour le moment le suivi des EAP reste un point à éclaircir ainsi que le devenir des étudiants qui ne seraient pas reçus aux concours.
Des précédents
Les EAP ne sont pas sans rappeler les IPES qui avaient permis le recrutement des PEGC dans les années 1970. Mais les EAP renouent aussi avec une tradition historique : celle des écoles normales de la IIIème République. Celles-ci offraient une voie de promotion sociale à des jeunes issus de l’enseignement primaire qui n’auraient pu s’offrir la voie d’élite que constituaient le lycée et l’université. Pour faire l’Ecole du peuple, la République des Jules cherchait ses « hussards noirs » dans la classe populaire. C’est ce modèle que Vincent Peillon a aussi peut-être à l’esprit en ouvrant l’Ecole aux quartiers.
François Jarraud
Liens :
Sur la crise du recrutement
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/07/3007201[…]
Réaction FSU
http://www.fsu.fr/Recrutements-democratiser-l-acces
Réaction Unsa
http://www.se-unsa.org/spip.php?article4756
Sur le site du Café
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