Chapitre 6 de notre saga de l’été
Dans la quête d’un idéal pédagogique, pas d’exception à la règle, le pré est toujours plus vert chez les voisins ! C’est notamment le cas des systèmes nordiques, souvent fantasmés mais pas toujours bien connus. Preuve en est, une part de leur pensée pédagogique fondatrice est d’origine… française ! En effet, pour un visiteur étranger, les écoles suédoises pourraient pratiquement toutes être assimilées à des écoles appliquant la pédagogie développée par Célestin Freinet.
Les années 70 ont vu nombre de réformes éducatives dans le Nord de l’Europe. A l’instar de la Finlande, la Suède choisit alors de faire siennes les bases théoriques de l’Éducation nouvelle, instiguée notamment par Célestin Freinet en France : tâtonnement, participation et expression de l’élève, coopération en la classe, recherches documentaires, évaluation par compétences… Ces pratiques, distillées en formation d’enseignant, s’allient à une philosophie nordique de l’enfance particulièrement mise en mots par Ellen Key, féministe suédoise du début du XXe siècle.
Certains détails frappent le visiteur et renforcent l’impression de parcourir un système bien différent : maternelle très éloignée d’une forme scolaire, grande liberté de circulation des enfants, mise à disposition de matériel dangereux et/ou fragile pour témoigner de la confiance accordée… Mais ces pratiques se rencontrent aussi très souvent dans des classes françaises !
A l’observation, on peut constater de nombreuses différences avec le fonctionnement classique d’une classe française… Une grande place est faite à l’auto-évaluation : tous les semestres, les élèves sont invités par l’enseignant à se fixer des objectifs personnels. Ces objectifs sont régulièrement évalués conjointement par l’enseignant et l’enfant au cours du semestre, au cours d’entretiens plus ou moins formels. Cette pratique témoigne de la forte individualisation de l’enseignement mais aussi de la mise en place d’une évaluation par compétences. Ainsi, les autorités éducatives ont récemment étendu et rendu obligatoire un outil étonnant : après chaque période d’enseignement sur un « thème » (environ 5 à 6 séances), une feuille récapitulant le domaine d’apprentissage, les compétences en jeu et le chemin d’enseignement choisi par l’enseignant est proposée au remplissage des élèves. Individuellement, ceux-ci font part de ce qu’il ont apprécié ou non, ainsi que ce dont ils se sentent désormais capables. L’enseignant juge, lui des compétences acquises (celles-ci sont « en voie d’acquisition » ou « acquises » mais jamais « non acquises » !).
L’école maternelle, par sa forme plus proche du « jardin d’enfants » donne également lieu à des activités différentes. Comme en France, la socialisation est un des premiers objectifs. Pour l’atteindre, on demande aux enfants une grande participation à la vie quotidienne : mettre la table, débarrasser, nettoyer la salle, organiser des événements… Encore une fois, des pratiques courantes dans certains établissements de l’Hexagone !
Et que pensent les enseignants suédois de leurs collègues français ? « L’école française est ici connue pour être très stricte. Chez vous, la discipline est mieux tenue. », sont les mots qui reviennent le plus souvent chez les enseignants que je rencontre. Est-ce une bonne chose ? « Oui et non… Nous sommes peut-être allés un peu loin, mais la liberté et la confiance que l’on confère aux élèves nous semblent indispensables à leur développement ». De plus, nombreux sont les professeurs à ouvrir de grands yeux lorsque je tente de leur expliquer le fonctionnement du système français. Alors qu’à l’instar du monde de l’entreprise privée, ceux-ci doivent directement postuler auprès du chef d’établissement, ils n’envisagent que difficilement qu’on puisse leur attribuer un poste sur critères de réussite, d’âge ou d’ancienneté. De même, en Suède, pas d’inspection individuelle et les heures de préparation des cours se font très souvent assis à un bureau personnel, au sein de l’école. « Je n’envisage pas de préparer ma classe de chez moi ! Comment font-les enseignants français pour travailler en équipe ou même ranger leurs documents professionnels ? Nous devons être à disposition des élèves, et donc disponibles dans l’établissement. »
Mais le système suédois, comme beaucoup, est aussi en grande restructuration. Pour combien de temps encore ces observations seront-elles valables ? La libéralisation du système qui a engendré l’autonomie des établissements et le libre choix des enseignants quant à l’école qui les emploie est aussi synonyme de contrats plus précaires et de concurrence entre écoles, augmentant les écarts de niveau et de réussite sociale. L’interrogation sur l’école semble, elle, être une donnée valable à l’échelle européenne !
Eva Ruaut
A suivre…
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