Quels enjeux et quelles avancées pour la coopération numérique ? Du 10 au 13 juillet, le Forum de Brest a réuni des acteurs de réseaux de tous horizons, de l’éducation, de l’innovation sociale, de entrepreneuriat ou encore de l’économie sociale et solidaire, à l’initiative de la ville de Brest, la Région Bretagne et Télécom Bretagne. Trois journées intenses, animées par Michel Briand, conseiller municipal de Brest et responsable de formation à Télécom Bretagne. En toile de fond, l’émergence d’une ère nouvelle de coopération et de libre partage des données à l’échelle planétaire, mais aussi les obstacles concrets du terrain où se jouent aussi la question fondamentale de la propriété intellectuelle.
Comment conduire les acteurs de terrain à coopérer ?
Le partage en réseau ne se décrète pas, il ne s’applique pas du sommet vers la base, reconnaissent les participants d’une session sur l’élargissement de la participation numérique en éducation. En ce domaine, il faut sortir de l’institution pour élaborer ses propres outils sous la pression de la nécessité. Nécessité matérielle pour les formateurs d’enseignants en secteur rural, nécessité d’efficacité pédagogique, pour les formateurs en formation continue, géographique et économique pour les acteurs de coopération, chacun s’accorde à reconnaître que les circonstances font les vocations et qu’un outil préformaté ne peut pas susciter une dynamique de réseau opérante. Le parachutage de Moodle au sein de l’institution éducative (au prétexte d’un possible confinement des élèves à l’occasion de la grippe aviaire) est citée comme un modèle de contre-productivité en la matière. « Je mets tout en ligne : mes cours, mes archives, mes contrôles, mes corrigés…. » affirme un professeur de maths spé, qui déplore que ses collègues ne le suivent pas dans cette démarche. Peur de se déposséder d’un long travail personnel d’élaboration, sur lequel ils seul ils sont de surcroît évalués par l’institution ? Mais ils y gagneraient en efficacité, ça aussi ça compte dans l’évaluation, rétorque-t-on.
Tout mettre à disposition de tous et sans contrepartie ?
Les bibliothécaires documentalistes évoquent les « copy-parties » (numérisation et diffusion de documents par des professionnels dans un esprit de contournement de la loi) ou la lutte (illégale, en l’occurrence) contre les DRM (digital rights management) qui empêchent la duplication des DVD, comme des formes de militantisme pour le partage et l’accès à la culture pour tous – mais les participants présents reconnaissent ne l’avoir jamais osé.
Plus généralement, souligne-t-on, le travail coopératif demande une familiarité personnelle avec le numérique, forgée dans la fabrication de solutions propres, en dehors de l’établissement, de la tutelle et des frontières habituelles de la pratique professionnelle. D’où un paradoxe, qui n’en est peut-être pas un : les plus « innovants » ne sont pas nécessairement les plus coopératifs, surtout sur les réseaux d’échange libre. Économes de leur créativité, dont ils connaissent le prix en termes d’efforts personnels ?
On évoque beaucoup la question de la propriété industrielle, moins celle du droit d’auteur ou de la propriété intellectuelle, juridiquement plus fragiles. Mais au sein d’une société économiquement organisée, où les moyens de subsistance sont liés à la capacité de travail et de production, peut-on considérer le fruit de la création intellectuelle, un cours, une méthode, une œuvre, comme un bien commun, exploitable sans contrepartie dès lors qu’il est susceptible de duplication ? Et si ces produits sont sans réelle valeur, pourquoi en demander la mise à disposition publique ?
Les réseaux pour essayer de se comprendre
Autre direction de travail et autre difficulté : les réseaux favorisent la mutualisation et les échanges entre des environnements professionnels et techniques différents, ils peuvent permettre de redécouper les domaines de répartition et de compétence. Ils permettent de penser les questions d’abord en termes de territoires avant de les étendre à une conception globale. Mais faire dialoguer des univers hétérogènes demande d’abord de réussir à s’entendre au sens propre : ainsi, dans le domaine de l’éducation, les Greta, l’Afpa et la « vieille dame » Éducation nationale auraient beaucoup à gagner à mutualiser leurs approches et leurs pratiques, mais cela supposerait en premier lieu l’élaboration d’un vocabulaire commun par-delà les jargons spécifiques, qui requerrait lui-même du temps et des efforts considérables, sans promesse de succès. L’éthique du partage présuppose une utopie implicite de la transparence dont les conditions ne sont peut-être pas toujours suffisamment interrogées.
Jeanne-Claire Fumet
Retrouvez le Forum de Brest et ses contributions :
Entretien avec Jean-Michel Cornu, Imagination For People France
Jean-Michel Cornu, responsable d’Imagination for people France : « On est en train de passer une étape : la question n’est plus de trouver des projets intéressants, mais de savoir comment on peut les faire coopérer entre eux au lieu de se concurrencer. »
« Jusqu’à ces dernières années, on savait coopérer jusqu’à une douzaine, aujourd’hui, on sait le faire jusqu’à cent et mille – voire jusqu’à cent mille comme avec Wikipédia. On essaie d’étudier ça et de former de gens pour accompagner le développement de tous les types de groupes. Les fondamentaux sont les mêmes : les réponses sont différentes, pas les questions. On essaie d’aider les gens à se poser les bonnes questions. »
Que faut-il savoir pour faire fonctionner une réseau ?
« Quatre conseils simples : ne pas être seul pour animer, ne pas compter moins de 100 participants (seulement 10% des gens réagissent spontanément, à moins de 100 on n’a pas la réactivité nécessaire), se rencontrer régulièrement et se demander ce qu’on a envie de faire ensemble dont on pourrait être fier. »
Comment fonctionne Imagination for people ?
C’est un réseau international qui repère et soutient tous les projets sociaux créatifs dans le monde. Donc à la fois une grande communauté, une petite association qui gère les supports techniques pour aider les animateurs de groupes, et une entreprise qui repère et vend du service en consulting citoyens. »
Avec quels types de groupes fonctionnez-vous ?
« Les tiers-lieux, intermédiaires entre le bureau et la maison, les tab-lab, qui sont des lieux de fabrication numérique collectifs, des groupes qui fonctionnent par fonction (comment former des groupes, par exemple), des groupes géographiques, etc. Les plus intéressants sont ceux qui rassemblent toutes sortes de gens : formateurs, collectivités locales, simples particuliers. C’est là que les échanges sont les plus riches. »