« La péniche a vacillé, le poète apparaît en ce monde ennuyé. On ne sait pas si ça existe, les fleurs du mal. » Cet extrait d’une contraction poétique de Nathan, élève de première, permet de saisir combien pour aider un élève à faire sien un texte il convient désormais de dépasser la tradition du commentaire, liée à la civilisation du Livre, et de favoriser de nouveaux gestes de lecture, adaptés à la civilisation de l’écran. Le couper-coller, autrement dit l’art du remontage, de la fragmentation et du détournement, est de ceux-là.
Du 22 au 24 juin 2012 s’est ainsi déroulée à Paris la seconde édition du « MashUp Film Festival ». Le MashUp s’est répandu avec le numérique : il associe plusieurs morceaux de musique ou différents fragments cinématographiques pour composer un objet artistique hybride, souvent créatif et original. On trouvera sur le site du festival de nombreux exemples de ces réalisations, insolites, troublantes ou amusantes, ainsi que des réflexions sur « les cultures du remix » en pleine effervescence. S’est déployé en particulier un concours collaboratif, « art[im]ages » : « sur le thème « Et si on s’y mettait enfin ? », chaque participant (petit, grand, professionnel, amateur) pouvait puiser dans un réservoir empli des images et des sons apportés par tous les participants. Par la suite, il revenait à chacun de couper, redécouper, copier, coller, monter et participer à l’aventure Part[im]ages ! Réalisateurs, vidéastes, bruiteur, photographes, musiciens, auteurs, compositeurs, graphistes, sound-designers, illustrateurs, VJ, montreurs d’ours etc… Tous ont agité leurs outils, aiguisé leurs ciseaux, fatigué leurs claviers, exténué leurs souris pour essayer d’obtenir le grand prix du jury ! »
A travers leur projet i-voix, des lycéens brestois offrent un bel exemple d’un usage scolaire de cet art du montage. « A la manière des cut-up de William Burroughs, des cadavres exquis surréalistes ou des centons oulipiens, explique leur professeur, ils explorent ainsi, à l’ère du numérique, une façon originale de s’approprier des textes littéraires et d’en créer de nouveaux. Cette activité, ludique, permet de comprendre de l’intérieur l’univers d’un auteur, de faire résonner en soi ses mots, de partager les sensibilités et les imaginaires, de faire jaillir de soi des éclats de poésie ». Les élèves publient ces jours-ci sur leur blog des florilèges de leurs créations intitulés « i-voix aux mains d’argent. » On y verra combien par cette nouvelle manière de lire-écrire-publier à l’heure du numérique la littérature peut retrouver à l’école « son pouvoir de vibration et de façonnement ».
Ces divers exemples montrent combien par le numérique se développent actuellement de nouvelles façons de lire, actives et créatives. Selon Jean-Yves de Lépinay, directeur du Forum des Images, le phénomène « réactive nos références culturelles, au risque de l’irrespect », il mêle « ignorance et érudition, désinvolture et générosité ». Dans les Inrockuptibles, Jean-Marie Durand souligne aussi combien il « ouvre de multiples questions, juridiques (quid du droit d’auteur ?) et esthétiques (comment valider le contexte des images, comment permettre une traçabilité, qu’est-ce qu’un montage réussi, comment éviter la manipulation des images… ?) ». Le plaisir du montage paraît technologique et générationnel : il peut même, on le voit, devenir artistique et pédagogique. Il doit interpeller les enseignants qui sans aucun doute y trouveront les moyens de revitaliser la relation aux textes, pour qu’à l’intérieur même de l’école se brouillent les frontières entre l’auteur et le lecteur et donc s’efface la distance entre les élèves et la littérature.
Jean-Michel Le Baut
Le site du « MashUp Film Festival »