En matière de carte scolaire, est-il possible de rompre avec le fatalisme ? C’est la question que pose le rapport du Senat présenté aujourd’hui par Françoise Cartron, sénatrice socialiste. « L’échec de l’assouplissement de la carte scolaire est patent », mais le retour à la case départ ne permettrait pas d’espérer faire des progrès dans la démocratisation, puisque les causes essentielles des inégalités subsistent : la ségrégation socio-spatiale.
Appuyé par l’audition de nombreux spécialistes bien connus du Café (S. Broccolichi et C. Ben Ayed, A. Van Zanten, X. Pons, P. Merle, J. Y. Rochex…) le rapport renvoie à la question de la concurrence, sourde ou explicite, entre établissements, publics ou privés.
Lutter contre la résignation
Mais comment construire la mixité sociale et scolaire ? D’abord en luttant contre la « résignation », dans l’Education nationale elle-même, pour que «l’autonomie et l’excellence ne soient plus les nouveaux masques de l’inégalité assumée », en fixant aux recteurs des objectifs ambitieux, en refusant les classements médiatiques entre établissements, en développant l’autoévaluation par les équipes d’établissements « afin de permettre aux parents de disposer d’informations non-biaisées».
Le rapport appelle surtout à « ne pas abandonner les établissements les plus en difficultés », notamment en maintenant les dotations de ceux qui sont victimes de fuites d’élèves, et en renforçant les temps de formation en direction des personnels. Il est très dubitatif sur l’intérêt des sections de prestige ouvertes dans les établissements difficiles, « qui ne peuvent renverser les dynamiques d’évitement ».
Renverser l’attribution des moyens
C’est la proposition d’attribuer de moyens directement proportionnels à la composition sociale de l’établissement (y compris dans le privé) qui serait sans doute une révolution dans la construction de la carte scolaire : plus de CSP défavorisées, plus de moyens, à la fois pour les crédits départementaux que pour les postes attribués par l’Etat… Cette méthode aurait l’avantage, selon le rapport, de soutenir autant les zones rurales défavorisées que les quartiers urbains « sensibles », et permettrait d’être « plus exigeants envers les établissements privés sous contrat » dans la lutte contre les inégalités.
Enfin, F. Cartron recommande un redécoupage des zones de recrutement de collège afin de rendre « plus homogène la composition sociologique de chaque secteur », ce qui nécessite le renforcement des liens entre conseil général et DASEN, pour la mise en œuvre de politiques cohérentes. Dans ses déplacements, la commission sénatoriale dit avoir rencontré plusieurs exemples de ces nouvelles collaborations fructueuses qui se mettent en place. La lutte contre les dérogations de confort passe aussi, selon le rapport, par une utilisation renforcée du logiciel Affelnet pour l’affectation au collège comme en lycée pour limiter les « interventions discrétionnaires », mains aussi en redéfinissant les barèmes pour donner plus d’importance au critère de bourse.
Quelle politique prioritaire ?
En conclusion, ce rapport courageux synthétise les apports de la recherche de ces dernières années. La mise en œuvre de ses conclusions demanderait un courage politique exemplaire, au niveau des collectivités locales comme au niveau central, d’abord parce que les pauvres sont moins prompts à défendre leurs intérêts dans les urnes comme dans les lobbys actifs, à tous les niveaux.
La gauche en assumera-t-elle le projet, maintenant qu’elle détient pour la première fois les leviers de l’action publique à la tête de l’Etat comme dans les territoires ? Le 26 juin, à Asnières, Vincent Peillon expliquait qu’il ne fallait pas attendre de la révision de la carte scolaire la solution miracle à la réduction des inégalités sociales et scolaires. On attend avec impatience la nouvelle politique prioritaire qu’il entend mettre en place.
Marcel Brun