Présenté le 20 juin, le rapport de la mission d’information sur le métier d’enseignant évoque la souffrance des enseignants. Il préconise une réforme de la masterisation et une refondation de l’école basée sur des valeurs démocratiques.
« L’épuisement professionnel et les problèmes de santé graves d’une partie des enseignants sont des symptômes d’une crise du travail enseignant… La souffrance individuelle au travail doit être interprétée plus profondément comme une manifestation d’une déstabilisation structurelle et collective du métier. A côté de situations extrêmes caractérisées et prises en charge par la médecine, il convient d’aborder, sans complaisance et objectivement, ce que Françoise Lantheaume (Université Lyon II) a appelé « la souffrance ordinaire » des enseignants ». Cette formule, Brigitte Gonthier-Maurin, sénatrice communiste, rapporteure de la Mission d’information sur le métier d’enseignant, la prend pleinement à son compte.
La thèse du travail impossible
Le rapport, qui a été adopté par la Commission de la culture et de l’éducation du Sénat, développe longuement cette thèse qui met sur les réformes et le sentiment d’ un travail devenu « impossible » l’origine de cette souffrance. » L’éducation nationale est désormais touchée par des évolutions déjà bien avancées dans les entreprises, où les salariés sont soumis à des injonctions contradictoires : exigence de qualité et demande de rapidité, esprit d’initiative et respect des protocoles, engagement et recul. Soumis à une évaluation externe permanente, les travailleurs n’ont pourtant aucun contrôle sur les objectifs assignés. Leurs propres critères d’appréciation de ce qui constitue du « bon travail » sont niés et pourtant on leur demande d’être fiers de leur activité et de l’organisation à laquelle ils appartiennent. Ils perdent ainsi progressivement prise sur leur travail ».
La souffrance vient des réformes incessantes et de la multiplication des évaluations, estime B Gonthier-Maurin. Elle dénonce la RGPP et les suppressions de postes et la multiplication des réformes. Parmi celles-ci , l’échec de la masterisation lui semble patent. Elle a affaibli la préparation des enseignants à exercer le métier. Mais elle vient aussi d’une démocratisation de l’école inachevée. » Pour assumer le défi de la réduction des inégalités scolaires », écrit le rapporteur, « les enseignants sont à ce jour laissés à eux-mêmes pour se débrouiller avec le balancement perpétuel entre une invocation à l’initiative personnelle et les prescriptions normatives des textes règlementaires. Il n’y a pourtant aucune raison de penser que localement les enseignants trouveront seuls les solutions adaptées aux problèmes de difficulté scolaire auxquels ils sont confrontés. Il n’y a pas non plus lieu de penser que puissent suffire des circulaires ou des instruments bureaucratiques comme le livret de compétences ou les évaluations nationales, qui manquent cruellement de souffle pédagogique et ne ciblent aucun problème concret ».
Un autre facteur est « la multiplication des conflits avec la hiérarchie ». Le rapport fournit un chiffre à l’appui : la hausse des plaintes contre la hiérarchie remontés jusqu’à la médiatrice de l’éducation nationale (+15% depuis 2000) et celle des cas de harcèlement : 210 signalés au FAS en 2009, 335 en 2011.
Les propositions
Que faire face à ce bilan ? Brigitte Gonthier-Maurin veut d’abord « redonner sens à l’école ». « L’erreur centrale des transformations récentes imposées à l’éducation nationale est d’avoir brouillé le sens de l’école pour les élèves, les parents et les enseignants », écrit-elle. « Via la multiplication des expérimentations et des dispositifs, les divergences acceptées des politiques académiques, l’accroissement de la pression évaluative sur les enfants et sur les personnels, l’idée même d’une éducation nationale garantie à tous s’est affaiblie. Votre rapporteure considère dès lors que la première pierre de la refondation de l’école doit être de redonner un cap clair au service public de l’éducation ». Ce cap c’est la démocratisation de l’enseignement. « Penser une école sur le modèle de l’élève qui n’a que l’école pour apprendre ». Le rapport montre els inégalités sociales dans la réussite scolaire. Pour B Gonthier-Maurin, il faut « critiquer l’idéologie élitiste de la méritocratie et affirmer le principe du « tous capables ».
Après avoir supprimé la RGPP, relancer le recrutement d’enseignants et augmenté leur salaire, la rapporteure pense qu’il faut refondre la masterisation. La clé lui semble être un plan de pré-recrutement à partir de L3 avec une professionnalisation progressive au cours du master avec le rétablissement d el’ année de stage.
Des collectifs enseignants
L’idée la plus originale du rapport va dans le sens de la reconnaissance des enseignants comme experts de leur métier. B Gonthier-Maurin veut » favoriser l’émergence de collectifs enseignants hors des logiques hiérarchiques ». » L’expérience de collectifs d’enseignants, menée sous la houlette de l’équipe de clinique de l’activité du CNAM, offre des perspectives intéressantes.2 Elle pourrait être imitée et développée. Des groupes de travail de 6 à 8 enseignants du 2nd degré ont été constitués. Il s’agit de collectifs de pairs réunis pour échanger sur leur travail sans aucun regard hiérarchique ». Elle ne dit pas exactement comment ils pourraient se glisser dans l’espace temps du métier d’enseignant. En réalité ces groupes de travail existent déjà sur Internet mais ils ne bénéficient d’aucune reconnaissance institutionnelle et sont donc minorés par le système.
Très inspirés par les thèses de P. Rayou, A. Barrère, F. Lantheaume et S. Bonnéry, le rapport Gonthier Maurin observe la crise du métier d’enseignant du coté de la profession. Après une multitude d’expertises qui rendent les enseignants seuls responsables de la crise de l’Ecole, c’est assez rare pour être souligné. Mais il s’intéresse finalement très peu à l’évolution du statut et du métier et aux nouvelles missions des enseignants. Cet aspect là, le devenir des différents corps, la refonte du métier, est survolé au profit de thèses déjà connues.
François Jarraud