Le Mémorial de la Shoah inaugurait, mardi 19 juin, la nouvelle exposition temporaire consacrée aux Enfants dans la Shoah (1933-1945). Commémorant le basculement de toute l’Europe dans le génocide en 1942, cette exposition se penche sur la dimension désormais mieux connue du sort réservé aux enfants, emportés avec leurs parents dans la folie génocidaire et plus démunis encore que les adultes . Elle s’appuie sur deux axes : des témoignages et des documents écrits à l’époque par les enfants eux-mêmes, ainsi que des dessins et des objets réalisés par eux, et un travail de décryptage, identification, vérification de sources documentaires parfois très connues mais mal interprétées. « Un nécessaire travail de vérité historique », explique Sophie Nagiscarde, Commissaire de l’exposition, mais une exposition terrible – pas forcément destinée aux enfants.
Certains furent cachés, secourus, sauvés, d’autres survécurent, quelques-uns résistèrent, beaucoup eurent un rôle de brigandage salutaire dans les ghettos, en facilitant l’approvisionnement en nourriture des populations enfermées ; la plupart moururent dans les mêmes conditions, parfois aggravées par leur jeunesse et leur vulnérabilité d’enfants, que les adultes. L’exposition du Mémorial de la Shoah expose la diversité de ces destinées enfantines sur la base d’un matériau solide, cahiers, lettres, mots griffonnés sur un bout de papier, dessins, collages, mais aussi journaux, revues, publications produites par les plus âgés, dont le style juvénile porterait presque à sourire dans un autre contexte. Ils sont bien présents, par leur écriture maladroite et leurs photos d’un autre âge, ces enfants qui ont croisé la plus terrible absurdité que l’humanité ait produite.
Autour de leurs écrits, d’autres textes : discours, décrets, appareil hallucinant de justification et de rationalisation des opérateurs de l’action. La faute à personne, en somme : une succession de rouages et d’engrenages, relayée par les autorités diverses sur le mode du réalisme pragmatique. Faire de la place dans le ghetto, régler le cas des orphelins des camps, ne pas laisser de survivants qui pourraient venger leurs parents… Comme si, au fond, il fallait bien en passer par là. Naufrage progressif du sens sous les réquisits d’une logique hallucinée.
L’humanité a besoin de mythes, l’histoire a besoin de vérité. Le remarquable travail du Mémorial, présenté à la presse par Jean-Yves Potel (correspondant du Mémorial pour la Pologne) et Olivier Lalieu, rappelle l’extrême exigence de rigueur de l’élaboration du matériau en histoire : reconstitution du contexte, des identités, des lieux, des sources de chaque donnée permettant de fourbir une connaissance acérée des faits, contre le déni partisan, les imprécisions de la mémoire, le mensonge et l’oubli – jusque dans le domaine judiciaire, comme en témoigne le télégramme, présenté à l’exposition, qui décrète la déportation des enfants de la Maison d’Izieu, produit à charge dans le procès Barbie.
La connaissance du passé, précise, conséquente, sans complaisance et sans pathos, permet d’intégrer la représentation d’une époque ou d’un événement dans un ensemble intelligible. Mais une exposition, elle, scénographie ; elle met en image ce qu’elle présente. Ici, la densité et le nombre de textes présentés, le choix de l’iconographie, exclut toute idée de facilité. On n’en touche pas moins au point limite entre science et pédagogie, intellection et commémoration, savoir et comprendre. Le cadre du Mémorial n’est pas neutre, on y attend du spectateur une certaine forme de démarche intérieure. Mais que comprendre de cette immersion « au cœur du génocide », sinon que la plus essentielle violence s’est abattue à une époque sur des enfants ordinaires, par le fait de gens assez communs ? Quel sens conférer à cette image concrète et sans le moindre échappatoire cathartique ?
Sans doute faut-il chercher dans le cycle de colloque, lectures, projections et rencontres qui entourent l’exposition quelques éléments de réponse. Une dimension de résilience doit sortir des moments consacrés aux témoignages des enfants survivants, cachés, sauvés, recueillis, aimés, qui incarnent l’échec du processus d’éradication nazi, malgré les angoisses et les traumatismes liés à la perte des proches et à la fragilisation de l’identité personnelle et sociale. L’occasion aussi d’engager la réflexion sur la situation d’autres populations enfantines confrontées aujourd’hui même aux violences de masse.
Jeanne-Claire Fumet
Programme des manifestations sur le site du Mémorial
Professeurs des écoles : Première Université d’été
Consacrée à l’enseignement de l’histoire de la Shoah, elle se tiendra du 8 au 13 juillet prochains au Mémorial.
Inscriptions possibles jusqu’au 23 juin (dernier délai).
Pour les enseignants du secondaire, l’Université d’été annuelle et la préparation de voyage pédagogique en Pologne, se tiendra du 23 au 30 août entre Paris et Varsovie (inscriptions closes pour la session 2012). Le Mémorial publie un Journal pour les adolescents, constituant un précieux mémorandum à conserver pour les élèves venus en visite au Mémorial. Un document réalisé par le Conseil Régional propose également le point sur un problème précis : le traitement du corps par le sport dans les régimes fasciste et nazi. Un précieux éclairage sur l’emprise efficace des politiques sur les esprits par le biais d’un idéal physique.