Chers enseignants, permettez qu’ainsi je vous interpelle, à l’heure des conseils de classe et des bulletins, soyez cléments. Non pas d’une clémence qui porte à croire que tous les efforts se valent, quelque soit leur intensité, que tout acquis est glissé égalitairement dans les besaces, je parle là d’une clémence qui laisse dans les couloirs les jugements hâtifs pour considérer d’un œil encourageant ce qui chez l’élève prédispose à un apprentissage.
Je vous parle des rangs du fond, des coins de classe où j’ai séjourné, je vous parle, les yeux encore écarquillés de mots peu amènes lus sur des bulletins, les miens, ceux de mes enfants ou d’autres, peu importe, un trait d’humour, une remarque acerbe couchés sur ce satané papier qui clôt un trimestre. Pour combien d’indisciplines, de désinvoltures ou de manque de travail élégamment signalés lit-on des formules certes élaborées mais blessantes qui laissent les enfants peu enclins à un fleuve scolaire tranquille, renfrognés, recroquevillés dans leur coin imaginaire, celui des cancres à vie.
Ces bulletins marqués du sceau d’un échec souligné deux fois, une fois dans la réalité de ce qu’on n’a pas réussi, une deuxième par une appréciation peu amène, pèsent encore de longs mois après, à l’heure de l’orientation même lorsque l’élève à qui ils sont destinés a rejoint le cours d’une scolarité plus paisible après avoir frayé avec la turbulence.
Pourquoi, me direz- vous, regarder uniquement du côté du « pauvre élève » qui aurait droit sous prétexte de mansuétude à une impunité quant à ses désinvoltures, son manque de travail, son indiscipline ? Comment trouver le ton juste, le terme adéquat pour signifier sans blesser, pour souligner sans renfermer ? L’exercice du bulletin, rite trimestriel et obligatoire, est un pensum car il contraint en quelques mots, en un ou deux chiffres, à résumer données concrètes et comportement, cases à la fois trop petites et trop longues pour décrire l’élève, ce que l’on attend, ce qu’il a réellement fait.
Le bulletin par son rôle dans le rituel scolaire, sa place dans la relation pédagogique, le lien qu’il crée entre famille et école, illustre toute la complexité de l’évaluation, de la note, de la sanction aussi et des représentations que chacun y jettent, élèves, parents, enseignants. Interroger le bulletin de notes revient à se demander comment rendre compte sans jugement des acquis, des évolutions, partager progrès et difficultés de l’enfant avec sa famille. Informer sans condamner, comprendre sans être complaisant, la tâche est compliquée mais sur ce bout de papier c’est un coin d’avenir qui se joue. Voilà pourquoi, chers enseignants, tandis que vous recherchez le ton juste pour poser une appréciation, que vous partez à la recherche de votre mot de passe pour saisir vos notes, je vous parle de clémence, oui juste à ce moment là.
Monique Royer