Faut-il continuer à accumuler davantage d’aides « individualisées » ou revoir les programmes ? La question est posée courageusement dans un rapport de l’Inspection générale censuré depuis 2010.
Les dispositifs d’aide individualisée sont actuellement interrogés par plusieurs syndicats. Le Snuipp a publié le 5 juin un sondage qui montre qu’une grande majorité des enseignants du primaire jugent l’aide personnalisée inutile. Le Snes n’a pas caché au CSE du 8 juin ses doutes sur l’accompagnement personnalisé au lycée. Publié le 8 juin, le rapport d’octobre 2010 des inspecteurs généraux Viviane Bouysse, Ghislaine Desbuissons et Jean Vogler interroge sur l’efficacité des dispositifs d’aide et demande s’il ne faudrait pas revoir les programmes. Une position qui attaquait de front la « révolution de la personnalisation » proclamée par Luc Chatel.
Dès 2010, l’ aide est massive. A l’école élémentaire un écolier sur trois y prend part. Dès l’école maternelle un enfant sur 5 suit une aide individualisée et cela dès la petite section… Le rapport énumère les différentes formes de l’aide individualisée et d’accompagnement de l’école au lycée. A l’école l’aide personnalisée introduite en 2008 s’ajoute aux programme personnalisés (PPRE) et à l’accompagnement. Au collège, l’accompagnement éducatif est généralisé. Au lycée, en 2010 c’est encore l’époque des modules et de l’aide individualisée. Depuis 2010, ces dispositifs ont encore fleuri par exemple avec l’introduction de l’accompagnement personnalisé au lycée.
Quelle efficacité ?
Pour les inspecteurs, le bilan de ces aides laisse beaucoup à désirer. Au primaire, ils relèvent que » pour l’aide personnalisée, le caractère uniforme des moyens consacrés (deux heures hebdomadaires dans toutes les écoles) induit des inégalités de traitement significatives : des élèves légèrement en difficulté bénéficient dans certaines écoles d’une aide lourde alors qu’ailleurs des élèves ayant des difficultés avérées reçoivent une aide légère et discontinue. Les élèves les plus en difficulté – surtout au cycle 3 – sont peu pris en charge au motif que les formats d’aide sont plus efficaces pour d’autres (aide personnalisée, stages de remise à niveau) ou parce que les ressources ne permettent pas de le faire à tous les niveaux (RASED)… La professionnalisation des maîtres n’est pas à la hauteur des besoins induits par les dispositifs nouveaux : si la formalisation des projets d’aide est plutôt satisfaisante quoique la personnalisation soit à améliorer, les enseignants doivent être formés pour enrichir les modalités de la prise en charge des élèves (contenus, stratégies, attitude aidante) ». L’aide est perçue comme externe à l’enseignement. » Le plus souvent, l’accompagnement éducatif n’est pas véritablement considéré par les enseignants comme une « aide » aux élèves ». Seuls les maitres des Rased se soucient d’une véritable individualisation.
Le constat est guère différent au lycée. » L’expérience de plus de dix ans des modules et de l’aide individualisée ne semble pas avoir eu d’effets significatifs sur les pratiques des professeurs, démunis sur les stratégies et démarches d’aide aux élèves… IL y a peu de travail réel sur les mécanismes d’apprentissage des élèves ». Le rapport évoque les réticences des enseignants. » Les réticences de ces enseignants relèvent de positions de principe, d’un manque d’intérêt pour ce qui est hors de leur champ d’intervention habituel mais aussi, pour certains d’entre eux, d’un déni de la difficulté inhérente à l’apprentissage scolaire, difficulté qui n’est pas perçue comme légitime : « Ils (les élèves) n’ont qu’à apprendre ou travailler plus et ça ira ». »
Changer le système ?
Le rapport fait des recommandations. Il invite à maitriser le vocabulaire pour mieux faire comprendre els objectifs des aides. Il invite à former les enseignants et à les doter d’outils diagnostics.
Mais la principale recommandation est la plus cinglante. » Les inspecteurs généraux ont souvent observé que, pour bien des acteurs rencontrés, ces dispositifs, ne serait-ce que par cette dénomination même, sont perçus comme des moments spécifiques qui se situent à côté ou en plus du temps ordinaire d’enseignement. Les enseignants y chercheraient à agir différemment, dans une relation d’aide, avec quelques élèves « en difficulté », sans croire pour autant qu’il faille également repenser leur pratique ordinaire de la classe. L’existence de ces à-côtés justifierait même qu’il y ait deux pédagogies parallèles : celle des dispositifs et celle de la classe ». C’est rappeler que l’aide quand elle est coupée de la classe perd son sens.
Mais les inspecteurs vont plus loin. « D’ailleurs, l’évolution de ces trente dernières années, rappelée dans la première partie du rapport, pourrait suggérer que les responsables ministériels sont passés de la volonté de modifier les pratiques au sein de la classe, par la « pédagogie différenciée », à la volonté d’obtenir ces changements au sein de dispositifs spécifiques, avec l’espoir que ceux-ci auraient un effet bénéfique sur les pratiques ordinaires. Les constats de la mission ne vont guère dans le sens de cet espoir. Si l’on veut réformer les pratiques pédagogiques, c’est bien le coeur de la classe qu’il faut viser ».
Ils refusent de se laisser enfermer dans le sujet imposé et s’en prennent au système dans son ensemble. « Au-delà de la remise en cause des pratiques pédagogiques, c’est l’organisation d’ensemble du système, avec ses programmes, ses rythmes, ses modes d’évaluation qui doit susciter la réflexion. Notre ministère n’a jamais procédé à l’évaluation de ses programmes, pour vérifier dans quelle mesure leurs contenus, leurs niveaux d’exigence sont adaptés aux possibilités des élèves. Si les niveaux d’exigence correspondent aux capacités des « bons » élèves, il n’est pas étonnant de constater un nombre important d’échecs. Et les dispositifs d’aide et d’accompagnement ne suffiront pas à y remédier. C’est la logique globale de fonctionnement du système qui est ici en question ».
Cette conclusion est un véritable pied de nez à l(‘idéologie de la personnalisation introduite par Luc Chatel. Tout ne répondant à la commande ministérielle, les inspecteurs mettent en doute l’efficacité d’une aide déconnectée du temps de la classe. Deux ans plus tard, le débat reste ouvert.
François Jarraud