Dans les difficultés d’intégration des « élèves nouvellement arrivés en France », quelle est la part de l’élève et celle de l’école ? Le rapport 2009 de l’inspection générale renvoie l’élève à sa propre responsabilité et évite de questionner l’Ecole. Celle-ci a pourtant du mal à s’adapter à ceux qui ont le plus besoin d’elle…
Les élèves nouvellement arrivés en France sont peu nombreux (40 000 en moyenne d’après les éléments publiés par la DEPP, soit 0,4 % de l’effectif total). Peu nombreux, peu de poids ? Pas vraiment. Qu’on considère aussi bien l’accueil et l’évaluation, les dispositifs mis en place et les pratiques liées à l’apprentissage du français dans un contexte scolaire, on a ici un effet de loupe évident sur l’ensemble des questions – et dysfonctionnements – qui traversent le monde éducatif depuis de nombreuses années : la maîtrise de la langue (scolaire), les dispositifs d’aide et d’accompagnement, la prise en compte de compétences propres des élèves (leur répertoire verbal par exemple), etc. Bref c’est le modèle républicain d’intégration, tantôt machine à trier, tantôt machine à intégrer, qu’on regarde fonctionner à travers eux. Peu de poids ? Symboliquement et politiquement sûrement pas, et c’est sans doute une des explications de la publication tardive de ce rapport.
A priori – car nous sommes ici souvent dans les a priori – les élèves nouvellement arrivés sont peu conformes aux canons de la réussite scolaire : a priori ils ne parlent pas et ne comprennent pas le français, ils ont vécu la rupture de la migration, leur parcours scolaire passé est mal connu, ils portent une langue et une culture plus ou moins éloignées de la nôtre, etc. Alors oui, d’emblée la situation peut paraître inquiétante et les enseignants ont vite fait de s’alarmer des signes de difficultés et expriment alors un malaise professionnel face à des situations qu’ils pensent inédites. Pour autant, ces « symptômes » ne sont bien souvent que temporaires et les élèves entament un parcours vers une « scolarité ordinaire », devenant plus ou moins vite des « élèves comme les autres », à défaut d’ordinaires.
Le rapport rendu public le 6 juin 2009 examine la mise en œuvre de la circulaire du 25 avril 2002, écrite après le précédent rapport portant sur Les modalités de scolarisation des élèves non francophones nouvellement arrivés en France. Au-delà de la description des diversités des situations et des parcours – remettant au passage en cause la validité de la catégorie « nouveaux arrivants » – le rapport pointe à la fois le faible pilotage national (deuxième partie) et une grande hétérogénéité (pour ne pas dire contradiction) entre les politiques locales d’accueil et de scolarisation des élèves, laissant bien souvent les acteurs locaux se débrouiller avec la réalité (troisième partie). Bref, explique le rapport, le pilotage fait défaut, aussi bien au niveau national qu’au niveau des académies, et l’action des professionnels est donc de fait peu ou mal connue et peu ou mal évaluée.
Au final, que préconise ce rapport ? La cinquième partie égrène les orientations de ce que pourraient être les grandes lignes d’une nouvelle circulaire. D’abord un pilotage national et académique « actif et visible », notamment à travers les Casnav (Centre Académique pour la Scolarisation des Nouveaux Arrivants et des enfants du Voyage), qui constituent l’interface la plus évidente dans la mise en œuvre des politiques publiques en la matière. Ensuite, faire de l’accueil des élèves nouvellement arrivés une porte d’entrée dans un parcours fondé sur un « continuum éducatif », c’est-à-dire dans le cadre d’une scolarité ordinaire intégrant des dispositifs prévus pour tous (et non pas spécifiques). Dans le même ordre d’idée, le rapport insiste beaucoup – trop ? – sur la maîtrise de « la langue française comme langue seconde », présentée comme le seul sésame à la réussite scolaire. Il est difficile d’affirmer le contraire, mais on peut simplement y apporter une limite : si un élève rencontre des difficultés ou se retrouve en échec, à qui/quoi la faute ? À des difficultés scolaires ordinaires, comme les autres ? Ou à sa maîtrise insuffisante du « français comme langue seconde », sous-entendant son incapacité à s’intégrer dans la langue française… En renvoyant l’élève à sa propre responsabilité, on évite de questionner celle d’une école qui rencontre des difficultés à s’adapter à ceux qui ont le plus besoin d’elle.
Autre point à relever : la façon dont est mobilisé et interprété « le discours des chercheurs » et de son usage dans la quatrième partie du rapport. À ce propos, Véronique Castellotti, Professeur des Universités en Sciences du langage à l’Université François Rabelais de Tours, s’étonne que les recherches mentionnées dans ce rapport soient présentées comme apportant des résultats et de certitudes généralisables tels quels. Or, si le recours à certaines de ces recherches est pleinement pertinent pour le sujet, d’autres ont été menées dans des situations qui n’ont qu’un rapport très lointain avec les caractéristiques (éducatives, politiques, sociolinguistiques) des conditions d’accueil et de scolarisation des enfants allophones en France. On peut donc, comme V. Castellotti, se demander quel statut acquièrent ces recherches dans un tel rapport, si ce n’est celui d’une forme de « caution scientifique » « décontextualisée, donc peu opératoire ».
Ce rapport, tout à fait utile et instructif, ne sera donc pas une surprise pour ceux qui sont engagés dans l’accueil de ces élèves. Il donne à lire un tableau contrasté, voire alarmant, de la scolarisation des « élèves allophones arrivants », selon la nouvelle appellation qu’il utilise. L’impulsion d’une politique « active et visible » nécessite, et c’est souvent là que le bât blesse, une réelle implication et vigilance de tous, au-delà des seuls professeurs concernés, pour développer une expertise partagée qui permette que les actions entreprises ne débouchent pas sur une stigmatisation plus grande d’élèves finalement pas si particuliers.
Georges Kuni